Lancé par deux journalistes en avril 2010 à Nantes, Le Canard social est un média en ligne spécialisé dans l’action sociale dans la région des pays de Loire. «On travaille avec des publics fragiles, des personnes en situation d’exclusion et de pauvreté, allant des demandeurs d’asile, aux itinérants, en passant par les personnes âgées, explique son rédacteur en chef, Frédéric Lossent. On rend aussi compte de ce qui est fait par les travailleurs sociaux en matière d’insertion. Notre journal n’a pas d’équivalent ailleurs, car, dans le secteur de l’action sociale, il manquait des médias régionaux et de proximité».

Les articles en ligne sont exclusivement disponibles sur abonnement. Le site compte une moyenne générale de 3000 visiteurs quotidiens, dont 1500 lecteurs payants. Employant 4 salariés à temps plein et un réseau de pigistes, il a été monté en coopérative grâce au mécénat public et privé, incluant des subventions de la Caisse d’Épargne, du Conseil général de Loire Atlantique, de la Mutualité française et de Fonds européens. «Nous avons sollicité des soutiens financiers sous forme de subventions de 20 000 euros, sans contrepartie éditoriale, précise Frédéric Lossent. On a fait valoir auprès des mécènes, l’intérêt public de notre information. Ils ne sont pas au capital de l’entreprise.»

Une information vitale

C’est par la valeur ajoutée d’une information exclusive, glanée sur le terrain, que Le Canard social a fait sa marque de fabrique. L’année dernière, il a publié sur son site une circulaire du ministère de l’intérieur français demandant le démantèlement explicite du campement des Roms, mot-valise utilisé en France pour désigner pêle-mêle Gitans, Gens du voyage, Manouches, Ashkali, Sinti etc. L’affaire a été reprise dans les plus grands hebdomadaires parisiens, jusqu’à faire la Une de l’édition internationale du New York Times en septembre 2010.

Cette propulsion soudaine sur le devant de la scène médiatique n’a pas pour autant fait bondir le nombre d’abonnements. Malgré les 4 000 visites hebdomadaires qu’enregistrait le site durant cette période, Cécile Petident, fondatrice du journal,  avouait dans une entrevue à Presse Océan le 16 septembre 2010 que cet incident «n’aurait aucune retombée économique (…) pour nous, cette affaire est une parenthèse.»

Un modèle coopératif exploratoire
 
Car la raison d’être du média ne tient pas à ses revenus, mais à son utilité publique. «Après deux ans d’existence, nous constatons que le média a démontré sa pertinence éditoriale. Néanmoins l’équilibre économique n’est pas encore atteint, ce qui n’est guère surprenant», note Eric Lossent. «À l’instar de la plupart des titres de la presse payante en ligne, notre modèle économique est à peaufiner, et nous devons également continuer à convaincre un certain nombre d’acteurs du secteur social de s’abonner eux aussi à nos éditions.»

Autre signe d’une éthique manifeste: la publicité n’apparaît jamais comme une ressource toute désignée pour accroître les revenus de la Scop. Pour relancer son modèle d’affaire, le journal a sollicité «des subventions de développement du Conseil Régional et emprunt régional et national auprès du FONDES des Pays de la Loire, organisme de développement de l’économie sociale et solidaire», précise Eric Lossent.

À ceux qui verraient dans de tels partenariats une possibilité d’ingérence des acteurs publiques dans sa ligne éditoriale, l’ancien reporter d’images rappelle que  «Le Canard Social est une Scop, a et aura toujours pour associés majoritaires des salariés du journal. Ce choix est stratégique pour garantir l’indépendance du média.» Et de donner l’exemple du Conseil général de Loire-Atlantique, l’un de ses donateurs, «que le Canard social a souvent mis en cause en matière de protection de l’enfance».

Les projets de développement ne s’arrêteront pas là pour la petite rédaction: une Société des lecteurs du Canard social verra bientôt le jour et deviendra associée de la Scop «pour participer elle aussi aux grandes décisions», précise Eric Lossent. L’équipe devrait aussi s’enrichir sous peu d’une journaliste et d’une directrice commerciale… et implanter une nouvelle rédaction dans une région limitrophe à Nantes, la Bretagne. Preuve que l’élan coopératif donne des ailes!

Cet article fait partie d’une série sur la presse coopérative française, réalisée par Gaëlle Ruaux, correspondante du journal Ensemble qui s’est rendue en France. Le premier a été publié dans l’édition mensuelle par abonnement. Troisième coopérative de presse de ces portraits en série, Le Canard social est un petit média de région mu par une éthique inébranlable.