Pour dénoncer les impacts de la loi C-38, ils ont scandé leurs slogans et affiché le symbole du trou noir qu’ils ont créé, les travailleuses et travailleurs de la Haute-Côte-Nord à Tadoussac, avant-hier, le 27 février. Alors que leurs représentants attendaient à Ottawa leur rendez-vous avec la ministre Finley, plusieurs manifestations similaires ont eu lieu dans la région, comme dans l’est du Québec.

À Tadoussac, quelque 200 personnes se sont rassemblées à l’initiative de l’organisme Action-Chômage Haute-Côte-Nord, à 13 h, devant les installations du quai du traversier. Pour la plupart, il s’agit de travailleurs saisonniers. Au même moment, la présidente l’organisme, Line Sirois, était à Ottawa pour rencontrer en fin d’après-midi Diane Finley, ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences, avec la délégation de l’est du Québec. Elle était accompagnée par Micheline Anctil, préfète de la MRC La Haute-Côte-Nord. La ministre de l’Emploi, de la Solidarité sociale et du Travail du Québec, Agnès Maltais, et le ministre délégué au tourisme, Pascal Bérubé, étaient également au rendez-vous pour faire reculer la loi.

Sur le lieu de la manifestation, c’est le député de René-Lévesque, Marjolain Dufour, qui réaffirme son soutien accordé à Action-Chômage depuis de nombreuses années et qui s’en fait le porte-parole: «La loi « mammouth » adoptée par le gouvernement fédéral a changé les règles. Elle s’attaque de plein fouet aux travailleuses et aux travailleurs saisonniers, mais aussi au développement économique de la région».

Le trou noir, c’est la période pendant laquelle les bénéficiaires de l’assurance-emploi ne perçoivent plus leurs prestations arrivées à terme et attendent la reprise de la saison touristique de travail. Avec l’abandon des projets pilotes, mis à l’essai ici pendant deux ans comme dans 20 régions économiques du Canada, et les nouvelles mesures de la loi budgétaire C-38, le calcul des prestations a nettement changé. Notamment, le nombre d’heures de travail requis pour se qualifier à l’assurance-emploi augmente. Pour de nombreux saisonniers, le trou noir s’allonge, pouvant atteindre jusqu’à 16 ou 18 semaines, selon les cas.

L’attente de données régionales fiables

«Avec tous les emplois perdus au niveau de la foresterie, ce n’est pas possible qu’on n’ait que 8 % de taux de chômage», martèle le député. Le gouvernement fonctionne avec les statistiques de 2006. Il faut travailler avec des chiffres réels et à jour, municipalité par municipalité, et on demande aussi des études d’impact de la nouvelle loi». C’est bien cela qui exaspère les gens de la Haute-Côte-Nord: ils réclament les chiffres détaillés du taux de chômage et du travail des ménages, mais devant être mis à jour tous les cinq ans, il est prévu qu’ils ne seront disponibles qu’en juillet 2013.

La région remet en question le nouveau découpage géographique servant au calcul qu’elle considère comme pénalisant et ne pas correspondre pas à sa situation socioéconomique réelle. Elle est actuellement reliée à la Côte-Nord et au Bas-Saint-Laurent. «En étant jumelés à des régions où le taux de chômage est bas, les travailleurs et travailleuses de l’industrie saisonnière de la Haute-Côte-Nord doivent avoir accumulé plus d’heures que, par exemple, ceux de la région Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine», explique Line Sirois par voie de communiqué. En Haute-Côte-Nord, la population d’environ 10000 habitants vit essentiellement des activités touristiques ou reliées aux conditions climatiques, comme les pêcheries, la sylviculture et la construction.

Quitter la région pour travailler

La loi C-38 oblige désormais les prestataires à trouver et à accepter un emploi «convenable» dans un rayon d’une heure de chez eux, un temps de trajet qui peut couvrir en région rurale une centaine de kilomètres. Parce que les travailleurs saisonniers sont désormais considérés comme des «prestataires fréquents», ils ne peuvent refuser cet emploi après sept semaines de prestations, même si le salaire ne représente que 70% de leur précédent revenu. «Ce sont les employeurs et les travailleurs qui paient l’assurance-emploi et on veut avoir un juste retour, reprend le député Marjolain Dufour. Le gouvernement ne met pas une cenne depuis 1992 et sauve des surplus. Il ya des motions unanimes à l’Assemblée nationale nonobstant tous les partis confondus. Ceux qui vont manquer de prestations vont aller sur la sécurité du revenu et c’est toute l’économie qui va en pâtir».

Pour Guillaume Tremblay, président du Conseil Côte-Nord-CSN (Confédération des syndicats nationaux), «il faut faire reculer le gouvernement sur cette réforme qui est inhumaine, inacceptable pour les gens d’ici qui vont passer une partie de l’hiver sans revenus. Les employeurs commencent à en percevoir les impacts possibles : ils vont perdre leurs employés parce qu’ils iront ailleurs pour trouver de l’emploi, avec le risque qu’ils ne reviennent pas».

C’est bien le risque évoqué pour cette région qui doit relever le défi démographique d’une population vieillissante, qui diminue, et dont les jeunes partis à la ville pour leurs études ne reviennent pas. «Qu’est-ce qui va m’arriver après ma saison de travail?, s’inquiète Amélie Séguin, capitaine de bateau d’excursion aux baleines. Cela fait cinq ans que je me suis installée dans la région, je suis passionnée par mon travail. C’est une grosse remise en question pour moi, car si je ne peux pas compter sur un revenu stable pour vivre et fonder une famille, je partirai. Beaucoup de gens risquent de déserter la région pour ces raisons».

Une campagne d’affichage du trou noir s’organisera d’ici une dizaine de jours dans les villages et chez les résidents.