Ces derniers temps, on assiste à un regain de tentatives de bâillonnement de la presse privée indépendante en Afrique centrale. Au Cameroun, au Congo Brazzaville, au Tchad et en République Centrafricaine, les médias sont dans le collimateur des pouvoirs en place. Les journalistes font face à des procès récurrents et ne sont pas très éloignés des geôles. La liberté d’expression est étranglée par des organes de régulation, qui ont même «suspendu» des entreprises de presse. Un tel panorama ne peut manquer d’affecter le processus démocratique, déjà mis à mal par les fraudes électorales et la corruption généralisée.

Au Tchad, en Centrafrique, au Cameroun et au Gabon, la presse privée indépendante est sur le grill. Les exactions sont dénoncées tous les jours et les pouvoirs en face ne reculent devant rien.

«En Afrique Centrale en général, en public, les gouvernants évoquent la liberté d’expression, tenant parfois compte du nombre élevé de journaux, de radios ou de télévisions qui paraissent ou diffusent dans le pays, tandis qu’en privé des actes d’intimidation et souvent de provocation des professionnels des médias sont perpétrés au vu et au su de tous», a fait observer un expert des questions des médias, qui n’a pas voulu être identifié.

«Les observateurs indépendants ne se trompent plus, a-t-il ajouté, et font de plus en plus la différence entre le discours public et les actions en privé. La presse peut-elle encore véritablement jouer son rôle si les organes de régulation continuent d’être le bras séculier des gouvernants? À quand l’avènement des organes de régulation aux mains des professionnels du secteur, pour mettre fin à ces dérives de quelques individus convaincus de servir leurs maîtres, en lieu et place des populations dont ils sont pourtant des représentants?»

Le cas du Cameroun

Depuis 1990, le Conseil national de la communication (CNC) est l’instance de «régulation des médias», qui dépend de l’État. Ses membres sont nommés par le gouvernement sans consultation aucune des professionnels du secteur. Ils multiplient les interventions dans l’activité des entreprises de presse.

L’Œil du Sahel avait consacré sa une aux 31 membres de la secte Boko Haram, proche d’Al Qaida, livrés au Nigeria par la police, et à 15 Nigérians tués dans des affrontements avec des forces de maintien de l’ordre. En octobre, le délégué général à la Sûreté Nationale (tout-puissant patron de la police camerounaise), Martin Mbarga Nguélé, écrivait à ce sujet au président du CNC: «j’ai l’honneur de porter à votre connaissance que ces informations (…) relèvent du secret et sont de nature à mettre en péril la sécurité intérieure et extérieure de l’État».

«Par ailleurs, assenait le patron de la police, la ligne éditoriale de Guibai Gatama incite à la haine tribale, en faisant passer les populations du grand Nord pour les victimes d’une supposée oppression. En effet, il n’a cessé de rappeler, à la mémoire collective, les tristes événements du 06 avril 1984 [coup d’État manqué] en publiant à chaque parution une liste de personnes qui ont été tuées, selon lui, par des forces de défense et réclame par la même occasion la remise de leurs dépouilles aux familles.»

«Il est indéniable que cette manière d’agir est susceptible de mettre en mal la cohésion et la paix nécessaires pour l’édification de notre nation. Par conséquent, des dispositions devraient être prises pour mettre un terme à de tels égarements», concluait-il.

Le même jour, le président du CNC  sommait ainsi par convocation Guibaï Guitama, directeur de publication de l’hebdomadaire L’Œil du Sahel, à se présenter dans ses bureaux, pour «compléments d’informations».

Toujours au mois d’octobre, le ministre camerounais de l’Administration territoriale et de la Décentralisation, René Sadi, demandait par écrit au président du CNC «de prêter main forte à l’application immédiate et effective des dites décisions, s’agissant notamment de la suspension temporaire et de l’interdiction définitive d’activité pouvant être prononcées à l’encontre des opérateurs et professionnels susmentionnés».

Un mois auparavant se tenaient les élections législatives et municipales au Cameroun, et le président du CNC avait proféré des menaces et des intimidations à l’endroit des organes de presse, leur interdisant formellement de publier les tendances des élections, sous peine de sanctions. Le 21 novembre, le pouvoir a mis sa menace à exécution en suspendant pour une durée de 3 mois les hebdomadaires Ouest Littoral et The Guardian Post. Il est reproché à ces deux publications les faits  «d’atteinte à l’éthique et à la déontologie professionnelle».

Controverse

Face à ces sanctions, que d’aucuns assimilent déjà à une mort programmée de la presse privée au Cameroun, des journalistes n’ont pas mâché leurs mots. Selon Christophe Bobiokono, membre du CNC, «si la presse ne joue pas son rôle de chien de garde, il y a aucun doute qu’il va passer à côté de ses missions de service public. Le Conseil National de la Communication est une institution étatique dont le fonctionnement doit être connu du public».

Pour Pierre Marie Pone, journaliste en service à l’hebdomadaire Ouest Littoral (suspendu), «Il est question en réalité d’un recul de 20 ans en matière de liberté de la presse. On avait cru que la censure ne relevait plus que du passé. Mais avec la mise sur pied et les pouvoirs accordés à la nouvelle équipe du CNC, on est en train de se retrouver dans les années 90».

Au Congo Brazzaville

Trois hebdomadaires indépendants qui paraissent à Brazzaville, la capitale du Congo Brazzaville, ont été suspendus de parution pendant neuf mois par l’organe de régulation, sur haute instruction du gouvernement.

Il leur est  reproché  d’user de l’injure, de la diffamation et du mensonge. Pour les responsables des organes sanctionnés, «il s’agit de sanctions parce qu’ils ne font pas allégeance au pouvoir du général président Denis Sassou Nguesso, au pouvoir depuis bientôt 30 ans», a affirmé un journaliste sous anonymat.

Le journaliste a expliqué que La Voix du peuple et Le Glaive ont été présentés par l’instance de régulation, vraisemblablement bras séculier du pouvoir en place, comme des récidivistes. Ils sont suspendus pour la énième fois. Et cette fois-ci, la suspension est très lourde: neuf mois. Alors que l’hebdomadaire Sel-Piment a écopé de sa première sanction.

«Les trois médias, depuis toujours, s’illustrent dans le non respect des normes éthiques et déontologiques», a déclaré pour sa part Philippe Mvouo, président du Conseil supérieur de la liberté de communication, expliquant que l’injure, la diffamation et le mensonge sont pour eux les seuls moyens qu’ils utilisent dans leur écriture. «Et c’est pourquoi nous avons sévi avec force, évidemment en application des textes en vigueur dans notre pays. Et nous avons appliqué la mesure la plus sévère chez nous. C’est une suspension de neuf mois.»

Selon  Guy Milex M’Bonzi, le directeur de publication de La Voix du Peuple, les arguments avancés par le Conseil sont fallacieux, ne reposant sur aucun fondement. Pour lui, l’organe de régulation ne sanctionne que des journaux qui ne font pas allégeance au pouvoir. «La décision de suspendre le journal La Voix du Peuple est une décision qui est venue de haut lieu, à cause de notre liberté de ton.»

Violence

Comme le rapporte le Réseau Nerrati-Presse, Sadio Kante-Morel, journaliste correspondante de l’agence britannique Reuters TV «a été battue, menottée et torturée par les gendarmes du procureur de la république Ngakala Oko et par les policiers du directeur général de la police, Jean François Ndenguet, alors qu’elle réalisait un reportage devant le palais de Justice, rapporte le média.

Sadio Kanté, correspondante de Reuters, s’était rendue au parquet pour filmer la devanture de cette institution pour compléter un de ses reportages. Les gendarmes évoluant dans cette sphère l’ont interpellée en lui disant qu’il est interdit de filmer sans l’autorisation du procureur de la république, chose que cette dernière n’a pas du tout accepté. Elle avait sa carte d’accréditation sur elle, l’autorisant à remplir sa tâche sans la moindre inquiétude. Malheureusement, l’incompréhension a pris le dessus dans les échanges et Mme Sadio s’est vue molester sévèrement par ces « agents des forces de l’ordre ». (…)

« Nous nous battrons toujours aux côtés des défenseurs de la liberté d’expression, a martelé Mme Sadio Kante Morel, car il est fondamental que notre pays comprenne que sans une presse indépendante et libre, l’avenir du Congo est voué aux excès et aux abus d’autorité de tout genre. Une presse libre et active sera le miroir de toutes les actions publiques et privées. Cette agression est inadmissible et insoutenable. »»

(lire l’article entier sur nerrati.net)

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Le paysage médiatique congolais est très diversifié. Il compte  plus d’une quarantaine de radios dont des radios publiques, privées, locales, communautaires et rurales. Plus d’une vingtaine de télévisions  publiques et privées sont basées à Brazzaville et à l’intérieur du pays. La presse écrite (publique et privée)…

«Afin de remplir avec crédibilité et efficacité ce rôle d’acteur national de lutte contre la corruption reconnu dans le rapport de la CONAC, confie un journaliste camerounais de la presse indépendante qui a requis l’anonymat, les médias et les journalistes camerounais doivent aussi lutter contre certaines pratiques de corruption…

Dans les années 90, l’avènement du multipartisme et de la démocratie a induit un développement quantitativement exponentiel des médias en Afrique Centrale, mais non adossé à de véritables entreprises structurées, faute d’un environnement juridique favorable à leur viabilité économique. * Écouter: L’entrevue de Norbert Tchana Nganté…