En 2009, il y a une idée mais pas un sou. Alors que les mille places manquantes en garderie dans la région de Rouyn-Noranda se font sentir, une équipe décide de mettre sur place une coopérative de solidarité qui favoriserait tant les parents que les enfants. Grâce aux dons financiers et de matériel des entreprises et des citoyens de la région, aux subventions du gouvernement fédéral et à l’implication des parents et des éducatrices, la coopérative de solidarité Le Vol du colibri voit le jour en janvier 2010. Un an et demi plus tard, elle est prête à déménager la première garderie et à en ouvrir une deuxième.

« Le Vol du colibri a été fondé dans le but premier d’offrir des places en garderie mais aussi un milieu sain aux enfants en favorisant la coopération et l’intégration sociale, raconte France Caouette, directrice générale de la coopérative. La garderie accueille des enfants qui vivent leur quotidien dans une atmosphère qui réunit le jeu, les arts, la culture, l’aide aux devoirs, le jardinage, le compostage et les soirées-pyjama. » Les parents, quant à eux, peuvent bénéficier d’une nuit de repos par mois et d’un service de repas prêts à apporter; une économie de temps pour plus de plaisir partagé en famille. Le concept valorise aussi l’intégration sociale de personnes handicapées, en leur offrant la possibilité de travailler à l’entretien, au service de restauration, à la désinfection des jouets ainsi qu’aux nombreuses activités communautaires organisées par la coopérative.

La garderie a aussi d’autres projets pour l’avenir. D’abord, son déménagement lui permettra d’offrir cinq places de plus que dans la première garderie, réservées à des enfants d’Amérindiens Cris déplacés de la Baie-James à Rouyn-Noranda pour recevoir une formation d’Hydro-Québec. De plus, la coopérative de solidarité est associée à un centre de femmes et accueille leurs enfants en priorité, avec l’aide de 2 000 $ de la part du CLSC. Selon Mario Tardif, directeur de la Coopérative de développement régional (CDR) Abitibi-Témiscamingue, « c’est le fait que la coopérative, bien que collective, soit considérée comme privée qui lui permet de faire autant de partenariat ». Le Vol du colibri a donc le pouvoir d’établir ses priorités et de poursuivre ses objectifs.

Habituellement, un Centre de la petite enfance coûte environ 2 millions $. Avec 10 % de ce montant, la coopérative est maintenant ce qu’elle est aujourd’hui. « C’est un projet qui est parti de rien, parce que nous n’avions pas d’argent », se rappelle France Caouette. Cet arbre fort a conquis les cœurs et fondé l’espoir, la petite graine a germée. Récemment, France Caouette a annoncé le déménagement de la garderie dans une ancienne église, qui permet d’augmenter l’offre de cinq places. Dans un proche avenir, le Vol du colibri souhaite doubler l’offre avec l’ouverture d’une deuxième garderie.

En conséquence du futur déménagement, Le Vol du colibri devra laisser tomber son restaurant, très apprécié jusqu’alors par les parents. Pour remédier à la situation, les organisateurs souhaitent établir un service de traiteur. Comme le respect de l’environnement est aussi une valeur de l’entreprise, un projet de service de couches lavables à même la garderie est envisagé. « Cela nous permettrait de réduire les coûts de ce service auquel nous avons déjà recours », explique France Caouette.

Du front tout le tour de la tête

La garderie coopérative Le Vol du colibri présente des projets novateurs adaptés à la réalité des nouvelles familles abitibiennes, elles-mêmes à l’origine d’un mini baby-boom. Après la vague d’industrialisation du siècle dernier, le développement économique se poursuit. Même si l’industrie forestière peine à reprendre, l’industrie minière s’active. Les centres de formation et la beauté de la région incarnent le rêve des jeunes familles qui y voient un monde de possibilités. Catherine Pépin, chargée de projet  à la Société d’aide au développement des collectivités (SADC) précise que la région présente des opportunités de carrière à tous les niveaux. « Il est beaucoup plus facile pour une personne fraîchement diplômée de trouver un bon emploi en région que dans les grandes villes. »

En effet, selon une enquête sur la population active de Statistique Canada, le taux d’emploi le plus élevé dans la région se retrouve chez les 25-44 ans (80%) et les femmes occupent 47% des emplois. Selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ), entre 2004 et 2009, l’Abitibi-Témiscamingue présentait un solde migratoire interrégional légèrement positif pour les 0 à 14 ans (17 habitants) et les 30 à 44 ans (10 habitants). Cependant, l’ISQ prévoit un faible déclin démographique (-2,7 %) entre 2006 et 2031 pour la région en raison de l’exode des jeunes (15-29 ans) et du vieillissement de la population.

France Caouette a toujours pour objectif de faire de la coopérative une garderie à sept dollars, mais les subventions du gouvernement se font attendre. « C’était ce qu’on voulait au début, mais le besoin était trop présent pour qu’on décide d’attendre. » Pour l’instant, il en coûte 34 $ par jour pour faire garder son enfant, 100 $ pour être membre et 20 $ de frais annuels, remboursables en parts sociales. Cependant, les crédits d’impôts offerts aux parents réduisent le coût quotidien au bout de l’année. Pour ce qui est des éducateurs(trices), France Caouette souligne qu’ils ne gagnent pas le même salaire que ceux des garderies gouvernementales. « Au moins, nous avons la fierté d’avoir bâti ce que nous avons entre les mains maintenant. »

Au cours de la dernière année, la coopérative de solidarité Le Vol du colibri a eu un réel impact dans son milieu. Selon Mario Tardif, « la garderie est intéressante à observer en ce qui concerne la coopération mais aussi pour son succès, car elle prouve que le modèle fonctionne. » Pour France Caouette et Catherine Pépin, la raison est d’abord que les jeunes familles de la région ont envie d’une expérience de partage et de coopération. « La plupart arrive ici pour le travail et leur réseau familial n’est pas facilement accessible. La coopérative devient un peu comme leur deuxième famille et ils ont le goût de s’impliquer », souligne la directrice des petits colibris.

Voilà de bonnes raisons de croire que le bonheur n’est pas un leurre et que la détermination neige dans le Nord.

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Erratum : La version originale de l’article faisait état d’un solde migratoire positif cette année et d’une reprise de l’industrie forestière. La reprise tarde à se manifester, et le solde migratoire n’a été positif que pour les 30 à 44 ans et pour les 0 à 14 ans entre 2004 et 2009. Les deux paragraphes correspondants ont été modifiés en conséquence. Toutes nos excuses aux lecteurs pour cet optimisme excessif.