J’ai sept ans. Et à sept ans, dans les années cinquante, avant l’avènement de l’enfant-roi, on ne décide de rien. L’hiver, les enfants jouent dehors. Point.

 

Ma mère, dans sa grande mansuétude, m’a habillée en conséquence. Le look astronaute paralysé, vous connaissez? Passe-montagne, capot de poils, pantalons de neige à bretelles, mitaines plus grosses que mon avant-bras, bottes de caoutchouc brun merde avec attaches de métal…. par-dessus les souliers lassés bruns merde aussi, et sous-vêtements longs.

Les jours de congé, j’attends plantée là sur mon banc de neige, comme un sorbet passé date, en avant de notre maison cossue de Ville Mont-Royal. De quoi regretter l’école.

Un peu d’air frais, c’est bon pour la santé… me direz-vous. Mais il y a frais et frais.  Aujourd’hui, par exemple, il fait -29, avec en prime, un petit nordet cinglant. Heureusement, j’ai maintenant 66 ans. J’en ai vu d’autres et je ne sortirai pas.

Pendant des années, mon entourage bien pensant s’est évertué à me faire apprécier, de gré ou de force, les plaisirs de l’hiver. Habille-toi et tu verras: c’est agréable de prendre une marche, de faire du ski, du patin ou d’aller glisser. Quand je finissais par sortir, la Tour de Pise, massive, maladroite et penchée, se faisait un chemin hésitant entre les plaques de glace, la neige brunie et la boue gelée.

Une peur paralysante et une incroyable maladresse m’ont toujours empêchée de pratiquer les sports de glisse.

À moi le chasse-neige tremblotant sur la pente de ski pour débutants, le face-à-face inéluctable avec le tronc d’arbre que tous ont pourtant évité au tournant de la piste de ski de fond. À moi les acrobaties et le ridicule des chutes inévitables et répétées, sous les quolibets de mes congénères, dans des patins blancs de fille trop petits et frigorifiques, avec la hantise de ne pas savoir m’arrêter.

Je n’ai jamais fait le choix du congélateur. Mon ancêtre Louis Pinard a choisi à ma place, Dieu sait pourquoi, le froid sibérien six mois par année en Nouvelle-France.

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Peut-être l’a-t-il amèrement regretté pendant son premier interminable hiver de 1636 en Amérique, devant un repas de patates germées et de pain rassis. Ou dans la bécosse arrière, durant un froid de canard qui vous cultive merveilleusement une constipation chronique.

Pour ma part, je me berce tranquillement avec une couverture de laine sur les genoux et une tasse d’eau chaude au miel. Je regarde par la fenêtre les nuages gris pâle blanchis, le ciel gris argent blanchi, les conifères vert foncé blanchis, et le sol blanchi de neige. Paysage zen et ouaté, à distance et au chaud.

Je vous entends. Vous pensez tout haut: tu n’as qu’à déménager dans le sud, si tu n’es pas contente. Mais surtout ne nous impose pas tes états d’âme, par pitié! À cela, je vous répondrai, en assumant mes contradictions, que le printemps d’ici est si joli, l’été si plein de fruits et l’automne si flamboyant, que je n’ai pas encore eu le courage de partir.