Novembre, le mois des morts. Si on ne veut pas se tuer à payer les funérailles de nos proches, défaisons-nous des tabous et parlons-en de la mort, du temps qu’on est vivants!

« Comme la naissance, la mort a beaucoup été industrialisée, constate Suzanne Loubert, accompagnatrice en fin de vie depuis une dizaine d’années. C’est devenu un commerce sentimental.» Il existe même des courtiers en services funéraires!

Originaire de la Mauricie, l’hôtelière de métier vient de terminer une nouvelle formation au Mouvement Albatros de Shawinigan. Fondé en 1980 par la Sœur Perl Berg, ce réseau principalement constitué de bénévoles, a pour but d’accompagner les familles et leurs proches au seuil de la mort. L’approche préconisée a connu tant d’essor au fil des ans qu’une fédération a été créée afin de regrouper la dizaine de cellules désormais existantes à travers tout le Québec. Le réseau opère dans les CHSLD, les centres de fin de vie, les maisons de soins palliatifs et depuis peu, dans les départements d’oncologie.

« J’ai une amie qui était tellement avancée dans son cheminement qu’elle aidait les gens à l’accompagner dans la mort, confie Mme Loubert. C’est beaucoup grâce à elle si je m’investis de la sorte aujourd’hui auprès des mourants. »

Suzanne Loubert nous rappelle qu’à une époque pas si lointaine, les corps des défunts pouvaient reposer jusqu’à une semaine dans la maison familiale. « Le curé venait à la maison, la cérémonie se déroulait, on mettait le mort dans une caisse en bois et ça ne coûtait rienMaintenant que c’est gratuit de mourir à l’hôpital, plus personne ne pense mourir à la maison. »

Une vie en cendres

Contrairement à la rumeur, nous pouvons toujours disposer des cendres de nos défunts comme on l’entend. On peut même aider à déshabiller le mort et à l’identifier nous-mêmes avant que le corps soit transporté vers le centre funéraire de notre choix; une obligation, selon la loi.

« À peine environ 20 % des gens meurent à domicile », confiait l’infirmière Angèle St-Germain, lors d’un témoignage à l’occasion du comité spécial du Sénat sur l’euthanasie et l’aide au suicide, dont le rapport est paru en 1995.

« On a institutionnalisé la mort avec tout ce que cela comporte… Ils [les membres des familles] n’ont pas l’information nécessaire pour être en mesure d’être proches des leurs. »

De son côté, le Dr Latimer affirmait : « Au Canada, comme dans tout autre pays semblable au nôtre, la mort naturelle a été soustraite aux regards et cachée dans les hôpitaux et les institutions. En conséquence, beaucoup de jeunes qui grandissent n’ont jamais vu quelqu’un mourir et ignorent à quoi cela ressemble. Cela peut aggraver certaines peurs. » D’où l’importance d’ouvrir un dialogue avec nos proches. « Certaines personnes sont sur le point de mourir et ne sont même pas capables de parler de la mort », témoigne Suzanne Loubert.

Jusqu’en 1963, la crémation était interdite par l’Église. De nos jours, chacun entrevoit le passage vers l’au-delà à sa manière. Si la crémation a supplanté l’inhumation et permis de réduire les coûts associés au service funéraire, le commerce entourant la mort demeure prolifique. « Ça reste très marketing. Même la nécrologie coûte plus cher que si tu réserves un quart de page dans un journal pour rendre hommage au proche décédé », soutient à nouveau Mme Loubert.

Payante, la grande faucheuse!

Qu’on le veuille ou non, les statistiques sont alléchantes pour ceux qui pataugent dans le commerce de la mort : d’ici 2020, le nombre de décès dépassera le nombre de naissances.

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En Gaspésie, au Bas-Saint-Laurent et en Mauricie, c’est déjà chose faite. Le nombre de décès devrait atteindre 70 000 vers 2022, 80 000 vers 2030 et 100 000 au tournant des années 2040.

Dès 1974, des multinationales américaines en ont profité pour racheter à prix fort des entreprises familiales en mal de relève. Parmi celles-ci, Service Corporation International. Fondée à Houston en 1962, l’entreprise a acheté son plus gros compétiteur en novembre 2006. Quatre ans plus tard, autre compétiteur de taille est avalé. Les acquisitions se sont poursuivies au fil des ans si bien que désormais, l’entreprise cotée en bourse est présente dans 45 états américains et 8 provinces canadiennes, dont le Québec. Au plus fort de sa croissance, SCI était établie dans 20 pays et possédait 13 % du marché funéraire américain, 28 % du marché français, 13 % du marché du Royaume-Uni et 24 % du marché australien.

En 10 ans, des grandes chaînes comme celle-là ont mis la main sur 45 % du marché funéraire québécois. Les familles endeuillées n’ont rien pu constater puisque les centres conservaient des noms bien québécois. Pour renverser la vapeur, le gouvernement de Lucien Bouchard allait lancer un fonds de 15 millions pour stimuler la création de coopératives funéraires au lendemain du Sommet sur l’économie en 1996.

En décembre 2012, le Groupe Athos, formé entre autres de Michel Cadrin, ex-propriétaire des pharmacies Brunet et du club de hockey les Remparts de Québec, devenait un joueur majeur de l’industrie en achetant Urgel Bourgie et Lépine Cloutier. Ce luxueux marché revenait entre des mains québécoises. Depuis 2002, les deux maisons funéraires étaient propriété des Services Commémoratifs Célebris, une entité canadienne. Fondée en 2010, Athos Services Commémoratifs, affirme avoir été lancé pour « contrer la vague d’acquisitions menée dans cette industrie par des multinationales étrangères. »

Aujourd’hui, les 12 plus grandes entreprises funéraires détiennent 35 % des parts du marché québécois. Dans plusieurs régions, les monopoles font gonfler les prix. Dans une enquête sur les frais funéraires publiée en janvier 2009, le magazine Protégez-vous notait un écart de 40 % d’une région à l’autre.

Les coops funéraires, plus vivantes que jamais!

La Fédération des coopératives funéraires du Québec (FCFQ) indique que 1992 à 2007, le coût des funérailles a bondi de près de moitié. Mais selon France Denis, conseillère aux communications à la FCDQ, la multiplication des coops dans ce secteur d’économie a permis de réduire jusqu’à 20 % la facture liées aux obsèques. « Les coopératives ont non seulement aidé à réduire les coûts mais à faire pression sur l’industrie. »

Même si la première coopérative funéraire a vu le jour dans la région de Québec en 1942, il aura fallu attendre les années 70 pour que d’autres entreprises du genre voient le jour.

Aujourd’hui, l’organisme regroupe 20 coopératives et 200 000 membres. Certaines régions demeurent toutefois orphelines. C’est le cas de la Gaspésie et de la Beauce. Dans l’ensemble du Québec, les coopératives funéraires détiennent un maigre 18 % du marché. Fait à noter, la Coopérative funéraire du Grand Montréal, lancée en 1978, a remporté récemment le prix Desjardins Entrepreneurs 2016 pour l’Ouest du Québec et l’Ontario, catégorie Coopératives.

« Pour les consommateurs, il y a plus que les économies, précise Mme Denis. Pour nous, l’éducation sur le deuil et la coopération sont importantes. Notre revue Profil, qui existe depuis 25 ou 30 ans, est distribuée à 98 000 copies. Nous avons des groupes d’entraide, des fascicules sur la mort et un site reconnu à travers toute la francophonie. La fédération offre aussi des funérailles sans frais aux parents dont les enfants décèdent. C’est une façon d’être solidaires dans cette épreuve. Une autre valeur qui nous est très chère, c’est le développement durable. À travers le programme Héritage, nous mesurons les GES et compensons nos émissions en plantant des arbres en collaboration avec des coopératives forestières. La moitié de ceux-là sont plantés au Québec et l’autre moitié dans les pays du Sud. C’est à la fois un geste écologique et un geste de solidarité nord-sud. »

La présence des coopératives a eu un impact majeur chez nous. Autrefois, le coût des funérailles était plus élevé au Québec que n’importe où ailleurs au Canada. Désormais, c’est au tour des Canadiens de payer 10 % de plus pour leurs funérailles.

Les rites changent

Pour se rapprocher des valeurs de leur clientèle, certains fournisseurs proposent désormais des urnes biodégradables, de l’assistance de base pour le règlement de la succession ou des cérémonies dans des lieux moins conventionnels. C’est le cas notamment du salon funéraire Kane & Fetterly, qui demeure l’un des rares salons funéraires de Montréal à être géré et administré par la famille fondatrice depuis 1965.

L’an dernier, les médias avaient fait grand bruit du projet Pangéa issu de Lune Rouge Innovation, créée par Guy Laliberté. Le fondateur du Cirque du Soleil voulait vraisemblablement proposer une approche renouvelée des rituels funéraires. La nature et les détails du projet sont privés et embryonnaires à ce stade-ci, indiquait-on mai 2015.

Envie d’originalité? Ingénieur en physique électronique de l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon et diplômé en informatique de l’École Polytechnique de Montréal, Michel Virard propose des cybermausolées biographiques, en collaboration avec l’écrivaine et conférencière Andréa Richard. Dessins, peintures, photos, vidéos, écrits, compositions musicales, recettes même, pourront faire partie de votre témoignage ultime. « Laisser des traces qui vont durer, ce n’est pas évident. Le plus ancien cimetière en ligne que j’ai trouvé date de 1995 et a été créé par un ingénieur de TorontoUn des objectifs de ma compagnie, c’est de trouver des moyens d’assurer cette pérennité, dit le chercheur dans une présentation Youtube.»

Le marché funéraire québécois représente un chiffre d’affaires de 359 millions de dollars.