Le nombre de journaux locaux indépendants s’est effondré de plus de 50% au cours des dix dernières années. Ils ont fermé ou ont été rachetés par l’un des deux conglomérats qui s’y livraient la guerre. Avec l’acquisition des hebdos de Québecor par TC Media, il faut s’attendre à ce que la diversité de l’information se réduise encore plus. Contre toute attente, un mouvement inverse se produit: aux quatre coins du Québec, des communautés se mobilisent pour démarrer des coopératives d’information, qui prennent la relève là où les grands groupes ne répondent pas à leurs besoins.

«À l’origine de notre projet, il y a une préoccupation commune à l’égard de la concentration de la presse et de ses répercussions au Québec», explique Raphaël Déry, membre fondateur de la Coopérative de solidarité du Journal L’Indépendant, à Gatineau. Comme son nom l’indique, l’indépendance, les débats, les idées et les prises de position seront au cœur de ce projet. Et la coopération est un facteur d’indépendance, croit l’étudiant au Barreau: «ce n’est pas l’actionnariat qui dictera quoi que ce soit dans l’organisation du travail ou dans les prises de position du journal. Ce sont les membres qui investiront temps et argent pour la réussite du projet».

Dans la MRC de Portneuf, à l’extrême ouest de la région de la Capitale-Nationale, c’est une coopérative de solidarité que souhaitent démarrer Charles Laviolette et ses partenaires, avec parmi ses membres aussi bien des lecteurs et des annonceurs que les travailleurs. «Les gens qui vivent dans les municipalités de l’ouest de Portneuf partagent une réalité commune, explique le jeune entrepreneur. Ils habitent la même région rurale, fréquentent les mêmes commerces, les mêmes écoles, ils sont donc souvent touchés par les mêmes enjeux. Le besoin d’une place publique se fait de plus en plus sentir.»

L’identité collective et démocratie

Ce que déplore Raphaël Déry, c’est que les médias de sa région couvrent tous à la fois l’Outaouais et Ottawa. «Même si l’Outaouais est une région de plus de 300 000 habitants à elle seule, elle doit partager sa couverture médiatique avec l’Est ontarien, dont la culture et les débats sont pourtant bien différents, constate celui qui a été candidat bloquiste en 2008. Nous voulons poser un regard sur l’actualité régionale, voire hyper-locale, d’un point de vue québécois.»

C’est donc pour brasser des idées que l’équipe de M. Déry a jeté les bases de la coopérative, avec l’impression que «peu de nouvelles idées émergent de nos médias, que les débats sont figés et que les solutions le sont tout autant. Nous voulons donc ajouter une nouvelle perspective dans notre milieu: informer les gens de la région sur ce qui se passe en Outaouais et prendre position sur différents enjeux, avec la conviction que nous contribuerons ainsi à nous doter d’une meilleure démocratie.»

Vitalité du milieu

Les enjeux à l’origine du projet de l’ouest de Porneuf touchent aussi la sphère commerciale et la vitalité économique. «Les commerçants de la région, ainsi que les municipalités, les organismes et tous les citoyens impliqués ont besoin d’un espace accessible pour rejoindre facilement leurs concitoyens», affirme M. Laviolette, qui souhaite encourager l’achat local, favoriser l’accès aux petites entreprises et le maintien des commerces et services de proximité, tout en soutenant la relève entrepreneuriale.

Le nouveau média se promet de rejoindre une population variée: «les jeunes, les familles, les pionniers de village, les gens d’affaires, les organismes». Généraliste, le contenu touchera aussi bien les arts et la culture que les affaires publiques, mais aussi «l’économie, l’histoire et le patrimoine, l’agriculture, la vie communautaire et l’actualité».

Quelle viabilité?

Prudent, le groupe de l’ouest de Portneuf a opté pour une fréquence mensuelle. Certains trouveraient là un handicap, mais M. Laviolette y voit un avantage: «on privilégiera un contenu de qualité et le caractère mensuel de la publication nous mènera à traiter l’information avec du recul, pour aller plus loin que la simple nouvelle». Le journaliste considère qu’ainsi, il fera circuler de l’information et des analyses qui permettront de stimuler la vie collective dans l’ouest de Portneuf.

Conformément au modèle d’affaires habituel dans les régions, le nouveau journal sera gratuit. Toutefois, il ne sera pas distribué à chaque foyer, mais plutôt déposé dans les commerces et les espaces publics de Deschambault-Grondines, Saint-Marc-des-Carrières, Saint-Gilbert, Saint-Thuribe, Saint-Alban, Saint-Casimir, Saint-Ubalde et de quelques municipalités environnantes.

L’Indépendant, pour sa part, sera exclusivement publié sur le web. On le comprend en évaluant les maigres sources de revenus qu’impose l’intransigeante liberté dont se réclament les fondateurs. «Nos journalistes travailleront en toute indépendance devant les exigences économiques, déclare Raphaël Déry, car nous voulons vivre des abonnements, et non de la publicité.»

«Nous constatons qu’en plus d’être économique, le web est un lieu d’échanges dynamiques, qui peut être un excellent moyen d’expression, à condition d’y établir des balises», conclut le père de bientôt trois enfants, qui espère lancer les opérations en 2015. Il souhaite prendre le temps de bien définir les principes directeurs, l’identité coopérative, les sources de financement et le fonctionnement des opérations.