QUÉBEC —Les vacanciers avaient déjà remarqué que l’année était bonne pour les fabricants de cônes de zones de travaux routiers. Lors du retour au travail, ils ont constaté que l’été n’avait pas suffi pour remettre en état les routes. Alors que s’allongent les embouteillages, l’épuisement du pétrole pousse les multinationales à en chercher jusque sous le sol des Québécois. Pour certains, l’indépendance énergétique passe par l’exploitation de tous les gisements fossiles présents sur le territoire. Pour d’autres, il s’agit plutôt de déployer des systèmes de transports fonctionnant à l’électricité, une énergie propre que l’on produit en grande quantité.

L’État est en quelque sorte la « coopérative territoriale » qui permet aux citoyens de se donner des infrastructures collectives en participant équitablement à leur financement. Les infrastructures de transport représentent un colossal investissement qui a un impact sur tous les Québécois, et qui exige que les choix de société à faire donnent lieu à un débat public approfondi. Dans cette première édition, le journal Ensemble, presse coopérative et indépendante présente à ses abonnés le portrait d’un projet dont il a encore peu été question dans l’espace public : le projet de monorail étudié par l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) et maintenant porté par l’organisme TrensQuébec.

Qui dit transport électrique pense habituellement aux voitures électriques et hybrides, qui apparaissent très progressivement sur le marché. Le Québec n’est pas producteur d’automobiles, alors que son industrie du transport collectif est florissante. C’est ce qui a amené les chercheurs de l’Institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC) à se pencher sur les projets de transport collectif électriques.

Fondé en 1999, l’institut de recherche en économie contemporaine (IRÉC), est un organisme indépendant et sans but lucratif qui est voué au développement  du Québec par la recherche scientifique  et économique. En janvier 2011, l’organisme déposait le rapport L’électrification du transport collectif : un pas vers l’indépendance énergétique du Québec, lors d’un colloque organisé de concert avec le réseau des ingénieurs du Québec et les syndicats d’Hydro-Québec. Sous la direction de Robert Laplante, les chercheurs Gabriel Ste-Marie, Jules Bélanger, Pierre Langlois et Gilles L. Bourque y présentent une vision globale des multiples projets actuellement sur la table au Québec. De là à imaginer une solution intégrée, développée intégralement au Québec et exportable partout dans le monde, il n’y a qu’un pas, et ils l’ont franchi sans hésiter.

Le projet monorail reliant les principales villes du Québec, qu’ils y décrivent en profondeur, est étroitement lié à l’avenir économique et énergétique du Québec. Si le Québec n’est pas producteur d’automobiles, il n’est pas non plus encore producteur de pétrole. Le virage vers une économie décarbonisée se présente comme une solution à la stablité économique et environnementale de la province. Ce virage, l’IRÉC l’aborde par l’électrification du transport.

Tous les projets en un seul

Afin de mieux comprendre le portrait des transports collectifs au Québec, l’IRÉC a réuni les projets existants en évaluant les coûts et les retombées économiques qui y sont associées.  Les tramways de Québec et de Montréal, le système léger sur rail (SLR) du pont Champlain, le prolongement du métro, la navette avec l’aéroport, les trolleybus de Montréal et de Laval, et l’électrification des lignes de trains du réseau de l’AMT sont tous chiffrés et évalués. La facture totale de ces projets de transport local s’élève à 7 milliards  $.  Les deux tiers des sommes investies auraient des retombées au Québec et 50 000 nouveaux emplois seraient créés.

Transport interurbain

Depuis des décennies, l’idée d’un TGV retient l’attention du public et des élus. Le Québec étant un leader dans la production de cette technologie, on s’attendrait évidemment à la voir s’y implanter en premier. Selon le rapport, le projet de TGV Windsor-Québec pourrait coûter 40 milliards $ et souffrirait de la difficulté d’opérer dans les conditions hivernales, d’une très faible tolérance au relief et de la nécessité d’embarquer des centaines de passagers à la fois. La géographie, le climat et la faible densité de population du Québec s’y prêtent donc très peu. Par ailleurs, le développement d’un axe unique entre Québec et Montréal laisserait le reste de la province isolée des grands centres urbains, malgré la contribution financière qui lui serait demandée. Pour répondre au besoin de transport rapide interurbain et interrégional, l’équipe de Robert Laplante a donc préféré évaluer la possibilité de relier Montréal et Québec aux capitales régionales du Québec par un monorail.

Le monorail en chiffres

Selon Pierre Langlois, physicien et auteur de Rouler sans pétrole, il en coûterait le tiers du projet de TGV pour relier huit régions du Québec à l’aide du monorail, soit environ 12 milliards $. Ce projet entraînerait la création de près de 100 000  emplois et d’un lien de transport rapide entre Gatineau, Rimouski, Sherbrooke, St-Georges, Trois-Rivières et Saguenay.

Comparable à celle du TGV, la vitesse du monorail propulsé par le moteur roue de Pierre Couture est évaluée à 250 km/h. « Une structure de transport performante, c’est un élément essentiel dans la compétitivité des économies. On ne développera pas les régions avec des infrastructures vétustes. Ça prend des infrastructures performantes et la technologie du monorail en est une », souligne Robert Laplante. Il ajoute que le projet, suspendu à des pylones, pourrait être implanté rapidement sur les terre-pleins des autoroutes et les emprises existantes, nécessitant peu d’expropriations et aucune construction de ponts et viaducs. Le rapport va jusqu’à évaluer le coût de remplacement des lampadaires. Avec le moteur-roue québécois, les wagons autopropulsés seraient indépendants et pourraient afficher complet avec une soixantaine de passagers, ce qui apporte une souplesse adaptée au portrait démographique du Québec.

L’IRÉC évalue que 3 000 personnes transitent chaque jour par transport collectif entre Montréal et Québec, en plus des 15 000 véhicules légers qui empruntent les autoroutes sur ce trajet. Ces déplacements représentent un marché d’au moins 10 000 passagers par jour, pouvant générer des revenus annuels suffisants pour assurer la rentabilité. La capacité totale du monorail, qui s’élève à 50 000 passagers quotidiens, laisse place à un développement important du marché.

Des wagons adaptés pourraient aussi être intégrés au réseau intermodal de transport de marchandises et réduire d’autant l’empreinte écologique des industries du Québec. Déjà chef de file en matière de conception de transport collectif, le Québec développerait une expertise dans un domaine de pointe qui pourrait intéresser d’autres pays.

Vers une économie verte et efficace

Au-delà de la question des transports, le projet de monorail soulève des interrogations sur l’avenir énergétique et l’indépendance économique du Québec. Il intéresse à ce titre plusieurs militants qui se sont récemment mobilisés contre l’exploration et l’exploitation des gaz de schiste. Pour Daniel Breton, fondateur de Maîtres chez-nous 21e siècle, il faut s’affranchir de la dépendance aux énergies fossiles plutôt que chercher à en exploiter dans notre cour. Il rappelle que chaque année, de 13 à 18 milliards $ quittent le Québec en achats d’hydrocarbures. Ce déficit commercial pourrait considérablement être réduit si l’on envisageait des alternatives comme le monorail.

Depuis le dépôt du rapport, ses auteurs parcourent le Québec pour donner des conférences sur le projet, tout en multipliant les représentations auprès des groupes d’intérêt pour pousser le gouvernement à le réaliser.

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Une coopérative nationale de transport

Entrevue avec Gérald Larose, président de la Caisse d’économie solidaire Desjardins

L’organisme à but non lucratif TrensQuébec a été fondé pour porter le projet de monorail, sous la coordination de l’ancien député fédéral Jean-Paul Marchand. Ce dernier propose la création d’une coopérative nationale de transport.

Une organisation tripartite qui regrouperait l’État, un partenaire privé et une coopérative (PPP-Coop) assurerait aux citoyens le contrôle majoritaire du projet, soit à travers le gouvernement, soit par le biais de la coopérative.
Pour réunir le milliard de dollars nécessaire pour couvrir un tiers des coûts du premier projet Québec-Montréal, il faudrait 100 000 membres qui souscriraient des parts sociales de 10 000 $ chacun.

Gérald Larose est président de la Caisse d’économie solidaire Desjardins, qui soutient l’IRÉC. Il croit beaucoup en ce projet, qui a « une portée gigantesque, au plan structurel et au plan industriel, soutient-il. C’est une réponse à plusieurs ordres d’enjeux de société : celui du transport, mais également celui de l’environnement, celui de l’énergie, celui de la structuration des territoires. C’est un projet du 21e siècle. Au plan financier, c’est imposant. Le vaisseau amiral sera certainement l’État, parce que c’est un projet qui touche toute la société québécoise. »

Interrogé sur l’option coopérative et sur l’éventualité de créer un prêt dédié à la souscription de parts sociales, il considère « intéressant d’envisager la gestion participative ou démocratique, et comment la structurer. Il faut que les régions s’emparent du projet, et aussi les usagers. La forme coopérative peut être l’expression de cet engagement des usagers. Quant au montage financier global, il est trop tôt pour voir comment il pourrait précisément se structurer. »

Une coopérative ne peut toutefois pas être le levier principal, selon M. Larose : « Il faut d’abord que les régions soient mises à contribution et se mobilisent pour imposer à l’État québécois une vision toute différente de celle d’un TGV, qui ne correspond pas à la réalité économique du Québec » car il se déploie sur un axe Est-Ouest et néglige le développement du marché intérieur.

Avec Mathieu Champoux