Elles étaient annoncées pour le 21e siècle par certains analystes et médias. En dehors de ces prédictions catastrophistes, quelle est la part réelle de conflits et de la coopération dans le domaine de la gestion de l’eau? Les tensions augmenteront avec une population mondiale en grande expansion, dans un contexte de changements climatiques. Les États vont-ils s’affronter?

La Journée mondiale de l’eau a été soulignée le 19 mars à Québec, à l’Université Laval, avec une conférence de Frédéric Lasserre, professeur au département de géographie (Gestion de l’eau: source de conflits ou de coopération?). Ce spécialiste des questions géopolitiques, qui dirige l’Observatoire des recherches internationales sur l’eau (ORIE), a livré une analyse sur ce concept de guerre de l’eau: «Le danger, quand on évoque le concept des guerres de l’eau est de se faire embarquer dans des modèles conceptuels, qui ne laissent pas la place à des nuances ou à des analyses un peu plus subtiles».

En 1995, la plupart des pays en situation de stress hydrique important, prélevant plus de 40% de leur ressource en eau, se trouvaient en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie Centrale. Pour 2025, on prévoyait dans ces régions une généralisation des pays atteignant ce seuil, mais aussi l’Afrique du Sud, le sous-continent indien et le Mexique. D’autres se verraient confrontés à de fortes tensions, comme la Chine et certains pays européens.

Cristallisation des tensions

Reprenant le fil de l’histoire, Frédéric Lasserre a mis en évidence que l’eau n’a été souvent qu’une des dimensions des litiges qui ont opposé les États. Mêlée à d’autres enjeux stratégiques, elle a fait partie d’un complexe de tensions déjà existantes. Il évoque des exemples, notamment la Guerre des Six Jours entre Israël et ses voisins arabes qui ont détourné les eaux du Jourdain.

La conquête pour s’emparer de l’eau est fort peu réalisable, car l’eau est trop lourde à transporter et il faudrait occuper ou annexer des territoires qui en disposeraient en bonne quantité. On construit des barrages sans consulter les pays voisins, ici sur le Nil, là sur l’Euphrate et le Tibre. Les impacts se feront sentir chez ceux qui vivent en aval. On les empêche d’utiliser la ressource et de développer leurs aménagements.

Si les guerres pour l’eau entre nations n’ont pas eu lieu, peut-on parler de guerres civiles? Les détracteurs du concept des guerres de l’eau en citent seulement une qui a eu lieu vers 2500 avant J.-C. en Mésopotamie. La majorité des conflits pour la ressource existent à l’intérieur des sociétés et ont provoqué des morts, au Kenya, au Darfour, au Sri Lanka. Ces affrontements impliquent des communautés, déjà en prise à des difficultés économiques et politiques.

Un facteur de paix?

Des pays en conflit parviennent tant bien que mal à s’entendre sur la gestion et le partage de l’eau, comme en témoignent des accords et des traités directement négociés par les protagonistes. Par exemple, les guerres entre l’Inde et le Pakistan n’ont pas remis en cause le Traité de l’Indus que les deux pays ont conclu en 1960.

Mais la coopération a ses limites. Signer un accord ne suffit pas et pour qu’il soit durable, il manque souvent un minimum de confiance entre les partenaires. En 1999, un accord de partage a rassemblé l’ensemble des pays du bassin versant du Nil. Mais il n’a pas abouti et de nouveaux gestes unilatéraux entravent le dialogue. La solution est-elle dans un cadre légal international? La Convention de New York de 1997 n’est toujours pas en vigueur, car il n’y a pas encore assez de ratifications. Beaucoup d’États n’acceptent pas de renoncer à leur souveraineté sur les eaux de surface qui coulent sur leur territoire.

Des nouvelles variables pour l’avenir

Prédire que les guerres de l’eau n’auront pas lieu, parce que le passé nous en livre l’exemple, constitue tout autant un jugement simplificateur et radical, rappelle M. Lasserre. «Le raisonnement par récurrence n’est pas forcément légitime». On prévoit plutôt de multiples conflits intérieurs, locaux et sociaux.

Les tensions vont augmenter avec l’explosion démographique mondiale récente. Il faudra encore plus de rendements agricoles et d’irrigation. S’ajoutent à la donne les changements climatiques dont il est difficile de mesurer les impacts futurs. Et si l’ensemble des habitants de la planète se met à consommer autant que ceux de l’Amérique du Nord, la ressource en eau ne sera pas suffisante.

Les pays en stress hydrique ont-ils des politiques pour réduire la consommation d’eau et mieux la traiter pour la réutiliser? À cette question du journal Ensemble, Frédéric Lasserre répond «que cela varie grandement d’un pays à l’autre. En Israël, le gouvernement encourage la généralisation du goutte-à-goutte dans le secteur agricole et le recyclage des eaux usées. Ce recyclage se développe aussi dans nombre de pays méditerranéens (Espagne, Italie, Portugal), mais aussi aux États-Unis. Dans les pays en développement, on relève par exemple des efforts en Chine pour impliquer les agriculteurs dans des choix de gestion pour les amener à adopter des pratiques plus efficientes. Plus souvent, c’est par le biais de la réglementation autoritaire que les mesures d’économies sont mises en place, par exemple le rationnement ou l’interruption de la desserte dans certaines villes après une certaine heure. Il n’y a rien de systématique et souvent les pays en développement semblent voir leur volonté contrée par le manque de moyens institutionnels et financiers».

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La conférence a été conjointement organisée par l’Université Laval, les AmiEs de la Terre de Québec et l’Institut Hydro-Québec en environnement, développement et société (Institut EDS).