Parmi les attentes électorales formulées par la Fédération québécoise des coopératives forestières (FQCF) aux divers partis politiques, une proposition a fait bondir le syndicat le plus important au Québec dans le domaine forestier, Unifor. La Fédération veut que ses membres obtiennent des permis pour la récolte de bois aux fins d’approvisionner une usine de transformation, une idée «sans queue ni tête», selon le directeur adjoint d’Unifor, Renaud Gagné. Ensemble s’est entretenu avec Jocelyn Lessard, directeur général de la FQCF, pour comprendre ce qui oppose syndicat et coopératives dans la forêt québécoise.

Nicolas Falcimaigne, journal Ensemble : Quels sont les problèmes rencontrés actuellement par les coopératives forestières?

Jocelyn Lessard, FQCF : En ce moment, c’est très difficile dans le secteur forestier. Nos clients, les industriels propriétaires d’usines, ont beaucoup de mal à arriver à cause du système de vente de bois mis en place par l’État. À cause de la rareté qui a été créée artificiellement, les industriels se battent pour obtenir le bois sur le libre marché. Il y a une transposition des prix qui vient affecter l’augmentation des redevances. En bref, si le marché augmente, c’est l’État qui met l’argent dans ses poches. L’industriel est vraiment coincé, il a du mal à arriver. Il faut absolument qu’il aille chercher son volume, sinon il ne couvre pas ses frais fixes.

Nous, on est un fournisseur de services au bout de la chaîne, sans aucune protection, sans aucun rapport de force. Nos équipements coûtent très cher. On s’est engagé financièrement pour les acquérir. On ne peut pas arrêter facilement. Ce sont des équipements très spécialisés qui ne servent à rien d’autre, et il y a très peu de clients. Il y a eu une forte concentration et l’industrie essaie de récupérer de plus en plus de contrôle en mettant les entrepreneurs artisans en régie.

N.F. : Quel est ce principe de «régie»?

J.L. : L’industriel forestier a deux choix: soit il confie un contrat clé en mains à un entrepreneur général, soit il embauche du monde et confie des contrats morceau par morceau. Dans ce cas, il s’occupe de tout et c’est de la régie. Le problème, c’est que si c’était de la vraie régie, comme ça s’entend dans d’autres secteurs, il se chargerait de l’équipement. Mais depuis une trentaine d’années, il ne prend plus ce risque financier.

N.F. : Quelle est cette proposition que rejette le syndicat des travailleurs forestiers et pourquoi dérange-t-elle?

J.L. : Les entrepreneurs généraux qui sont dans le système actuellement, ils sont extrêmement vulnérables, alors on demande à l’État… pas de nous donner des droits de coupe comme le syndicat l’écrit, là! Mais il y a une nouvelle disposition dans la loi des forêts, dans sa première modification, la loi 67. Elle a introduit un nouveau type de droit dans le système.

Ça s’appelle un Permis de récolter des bois pour une usine de transformation. C’est destiné surtout aux communautés autochtones qui avaient des contrats d’aménagement forestier sans usine. Maintenant, ils ont encore des droits qui s’appliquent à un volume. Mais ces volumes-là, il n’y a pas de garantie qu’ils soient récoltés. C’est eux qui ont les droits et qui peuvent vendre ces volumes-là. Nous, ce que l’on veut, c’est ça, mais sans enlever la garantie à l’industriel.

À la dernière transition entre le régime des concessions et le régime des contrats d’approvisionnement et d’aménagement forestier (CAAF), il y avait des coopératives forestières qui avaient des droits sur l’approvisionnement et qui ont été inscrites dans les CAAF. Bowater, dans un territoire au nord du Lac avait le droit de récolter son volume, de faire de l’aménagement forestier, mais il fallait qu’il fasse affaire avec la coop forestière de Girardville.

Même chose en Abitibi, avec la Coopérative forestièere du Nord-Ouest (CFNO), et en Gaspésie avec les coops de Saint-Alphonse. On étaient inscrits dans le CAAF. Ça nous donnait une sécurité dans le système et ça ne privait pas l’industriel de son bois. Ça ne faisait que nous donner de la sécurité. On veut revenir à l’équivalent et il y a des dispositions dans la loi qui le permettraient.

Ce n’est pas la seule demande, ce n’est pas la plus importante qu’on a faite. On veut aussi que le système s’améliore pour vendre le bois, qu’il laisse un peu de souplesse et un peu de richesse dans le système.

N.F. : Les syndicats et les coopératives de travailleurs ne partagent-ils pas les mêmes valeurs? D’où vient cette divergence?

J.L. : Les syndicats constatent que le nouveau régime a été difficile pour eux, ils ont perdu beaucoup de cotisations. Ils font beaucoup de pressions politiques pour se stabiliser. Et c’est une bonne chose parce qu’il faut que les gens en forêt aient un meilleur rapport de force.

Moi, ça ne m’intéresse pas d’affaiblir le syndicat là où il peut jouer son rôle. Ce qui m’agace, c’est que lui, il n’accepte pas qu’il y ait des alternatives, dont la coopérative forestière de travailleurs, qui elle aussi cherche à donner les meilleures conditions possibles aux employés, à les sécuriser et à mettre des systèmes en place pour que ce soit performant.