Les températures de la basse atmosphère augmentent et entraînent des changements rapides sur toute la planète. Mais en Arctique, le réchauffement et ses conséquences sont fulgurants. Alors que s’ouvrira bientôt le Sommet sur le Climat 2014, il est bon d’entendre la voix d’un spécialiste de l’Arctique. Louis Fortier, directeur scientifique d’ArcticNet et leader scientifique du brise-glace de recherche Amundsen, a tenu une conférence aux Escoumins. Invité par l’équipe du parc marin du Saguenay–Saint-Laurent lors de son passage dans la région le 26 août, il a dressé le portrait des impacts négatifs et positifs du réchauffement observé en Arctique et de ses prévisions.

Il est grand temps qu’un nouvel accord international soit conclu pour agir afin de maintenir le niveau du réchauffement en dessous de 2°C: c’est l’objectif du Sommet sur le Climat 2014 à l’initiative de l’Organisation des Nations Unies (ONU), qui se tiendra le 23 septembre 2014 à New York. Au-delà de ce seuil, l’ensemble de la communauté scientifique s’accorde pour dire que la machine climatique s’emballera et que les conséquences seront désastreuses.

Extrait audio exclusif de la conférence (à la suite de l’article)

C’est votre abonnement qui permet à notre équipe de journalistes de produire, chaque semaine, des articles d’information indépendante et coopérative à partir des quatre coins du Québec. Nos solutions d’abonnement variées permettent à tous et toutes de s’abonner facilement. Une seule adresse pour vous abonner maintenant: www.tout.ensemble.coop

Comme pour évacuer d’emblée la question des climatosceptiques, «dont les discours ressortent dans les médias lors d’une année moins chaude», Louis Fortier projette en forme de réponse l’animation d’une carte mondiale des températures globales de surface de 1880 à 2012, réalisée par les scientifiques de la National Aeronautics and Space Administration (NASA). Les ilots de chaleur (de couleur jaune) s’installent sur la planète et s’agrandissent à partir des années 1990, et surtout en Arctique. Puis c’est le rouge qui se propage partout jusqu’en 2012, symbolisant des températures anormalement élevées.

Banquise estivale en voie de disparition

Or, en Arctique, le seuil de 2 °C est déjà atteint, voire dépassé. «Les hausses des températures moyennes enregistrées ont augmenté de 2 à 3 °C», annonce Louis Fortier. En une image, le ton est donné pour cette conférence intitulée Réchauffement arctique: les écosystèmes marins sur la ligne de feu. La photo titre projetée sur grand écran saisit les invités: des morses serrés les uns contre les autres sur un morceau de banquise aussi étroit que mince. Ce couvert de glace ressemble plus à un radeau prêt à sombrer qu’à une véritable portion d’habitat pour mammifères marins.

«Selon les prédictions des scientifiques pour 2070, basées sur les résultats de la plupart des modèles informatiques travaillant sur le climat, l’augmentation de la température moyenne annuelle atteindra 5°C en même temps que le CO2, principal gaz à effet de serre, aura doublé.» Professeur à l’Université Laval, l’homme de science est aussi un explorateur qui rapporte les données du terrain. C’est en septembre que les scientifiques mesurent l’état de la banquise, au moment où sa superficie est à son minimum. Depuis les premiers relevés des années 1920, la superficie de la glace de mer est passée de 9 millions de km2 à 4 millions de km2 en 2012, l’année record pour sa fonte. Quant à son épaisseur, elle a subi depuis la fin des années 1970 une perte de 82 %, de 16 000 km3 à 4 000 km3. En suivant la courbe du graphique et des prévisions, l’océan Arctique sera bientôt libre de glace en fin d’été, pour une période de quelques jours ou quelques semaines, ceci pour la première fois depuis 13 millions d’années.

Dans le faisceau des changements

Les glaciers terrestres régressent et les plateaux de glace côtiers qui en sont l’extension disparaissent. La fonte de l’inlandsis, cet immense glacier épais de quelque 3 km à certains endroits, s’accélère. S’il fondait entièrement, cela provoquerait une hausse du niveau des océans de sept mètres dans le monde entier. Le pergélisol (partie du sol gelé pendant plus de deux années consécutives) se déstabilise de manière spectaculaire, et des rivières et ruisseaux se créent. Avec l’augmentation du CO2 qui se dépose dans l’océan, les eaux marines s’acidifient.

Pour la faune arctique marine et terrestre, ces hyper spécialistes adaptés à des conditions extrêmes, des menaces se profilent. Quand la couche de surface se réchauffera, les eaux attireront des d’espèces exotiques et envahissantes qui peuvent être toxiques ou prédatrices des espèces de l’Arctique. L’océan Arctique sera plus productif, et les espèces plus généralistes du Sud telles que le capelan et le lançon, provenant de l’Atlantique et du Pacifique, pourront rejoindre ces habitats et s’y adapter.

Ces modifications entraîneront une perte de biodiversité et un déficit des services écologiques, «un paquet de problèmes pour les gens de l’Arctique», commente M. Fortier. Les 51 communautés inuites bâties sur le pergélisol côtier devront relever de nombreux défis pour s’adapter, du point de vue social, économique et culturel, de la santé, des transports. Certaines activités de leur mode de vie traditionnel, comme la chasse et les déplacements sur la banquise, sont déjà remises en cause, entraînant une dépendance aux aliments industriels, de nouvelles maladies et zoonoses.

Avec cette nouvelle ouverture de l’Arctique à la navigation commerciale entre l’Atlantique et le Pacifique, l’accès aux ressources naturelles terrestres et marines (pêcheries, hydrocarbures, mines) et leur exploitation deviendront plus faciles. Le tourisme pourra se développer en même temps que le monde inuit se modernisera. Mais, de ces nouvelles occasions de développement économique, ce sont surtout les entreprises du Sud déjà bien établies et expérimentées, et non pas celles des autochtones, qui viendront en tirer les bénéfices.

Abonnez-vous et écoutez Louis Fortier (extrait audio de sa conférence): il nous raconte les travaux du scientifique Svante August Arrhenius concernant un doublement du taux du CO2 dans l’atmosphère. En 1895, celui-ci prévoyait déjà le réchauffement planétaire, une centaine d’années avant les prévisions du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Louis Fortier commente ensuite l’animation de la carte des températures de la NASA et les arguments des négationnistes du réchauffement planétaire.

Extrait audio de la conférence de Louis Fortier

Enregistrement: Christine Gilliet – Carte animée: NASA – Montage: Nicolas Falcimaigne