La foule de manifestants est dense, sous les fenêtres du palais Montecitorio de Rome, ce lundi de décembre dernier. Devant le parlement, un nouveau mouvement, «les Fourches», appelle à la mobilisation. La scène est plutôt singulière, mais révélatrice d’un mal profond qui touche l’Italie. Aux côtés des petits entrepreneurs trop taxés, on retrouve les «Fils de la crise», des diplômés depuis plusieurs années qui connaissent la précarité et les emplois sous-payés.

Petits contrats sans lendemain, travail au noir, emplois déguisés en stages… Ingénieure en télécommunications, Valentina Fiori connaît bien cette situation.

Doctorat en poche, elle trouve un emploi chez Thalès, une multinationale française spécialisée dans l’équipement militaire. «Je gagnais 800 euros (1200$) par mois pour un travail équivalent aux autres et comme je débutais, je ne comptais pas les heures, confie cette romaine de 32 ans qui a depuis changé de travail. Sans l’aide de ma famille, je ne pouvais pas m’en sortir.»

Faibles salaires

1374 euros (2050$) par mois. C’est le salaire moyen des diplômés italiens, soit 500 (740$) de moins que leurs homologues européens, selon une récente étude de l’institut national de statistique italien (IStat). Les femmes atteignent tout juste les 1000 euros (1500$).

Bien sûr, la crise a fortement frappé la péninsule (lire notre article), qui entrevoit une sortie de récession pour 2014. L’économie a beaucoup souffert et les emplois sont rares. Mais les racines du mal sont à chercher ailleurs. «Il existe plus de 40 contrats de travail en Italie dont les modalités ne sont pas très claires, explique Renato Fontana, sociologue spécialiste du travail à l’Université La Sapienza, à Rome. L’employeur choisit celui qui lui est le plus favorable, souvent au détriment du salarié.»

Même son de cloche de la part de Massimiliano Della Valle, un urbaniste de 30 ans qui a le plus grand mal à trouver un emploi stable. «Ces contrats permettent à l’employeur d’avoir un coût de main-d’oeuvre très bas, mais ne favorisent pas pour autant l’emploi.»

Exode des travailleurs

Les faibles salaires, c’est ce que dénoncent les professionnels du recrutement et les acteurs syndicaux. «Les jeunes ne sont pas incités à la créativité, leurs compétences ne sont pas rémunérées à leur juste valeur et bien souvent ils préfèrent partir à l’étranger, là où leur travail est considéré. Il faut briser ce cercle vicieux», renchérit Renato Fontana.

Quitter l’Italie en quête d’un avenir meilleur. C’est un choix que font de nombreux diplômés, malgré un attachement profond à leur terre. Australie, Angleterre, États-Unis, Canada. Destinations de prédilection, les pays anglo-saxons accueillent chaque année des milliers de cerveaux italiens.

«Les relations de travail ne sont pas les mêmes à l’étranger. En Australie, le patron respecte le contrat de travail et le salaire arrive toujours à l’heure», raconte Anna Sciavilla qui, à 33 ans, occupe 4 emplois différents. «La dernière fois, la ville de Rome m’a payée avec un an et demi de retard. Mais ici, c’est presque normal», avoue cette diplômée d’une maîtrise en littérature, qui a accumulé les expériences professionnelles à l’étranger.

Le manque de considération au travail, la menace qu’ils représentent pour leurs supérieurs hiérarchiques, la peur de perdre leur emploi… cette «normalité» est bien connue des fils de la crise. «L’Italie, c’est comme ça, rien ne bouge», lâche Massimiliano Della Valle. L’amertume et la résignation, c’est souvent ce que l’on ressent à les écouter.

Réaction de l’État

«C’est la preuve de l’échec de nos dirigeants», témoigne Macha Ferri, 45 ans, cadre dans une maison d’éditions. Macha n’est pas une fille de la crise, mais fustige l’inaction de la classe politique depuis 20 ans. «À l’ère de la mondialisation, rien n’est fait pour garder nos cerveaux. Désormais, pour ces jeunes, rester en Italie n’est plus une obligation.»

La manifestation des Fourches en décembre n’a pas été vaine. Aux dires de la presse, le gouvernement de coalition mené par la gauche s’apprête à engager une importante réforme du travail. Une lueur d’espoir pour les fils de la crise? «Nous avons plein d’atouts, il faut être optimistes pour l’avenir, estime Renato Fontana. Espérons que ce ne soit pas seulement une réforme de plus.»

Mais pour toute une génération, il est déjà trop tard. Dans la lueur d’un doux soleil d’hiver qui baigne Rome, Anna Sciavilla confie: «cette fois, c’est sûr, je compte quitter l’Italie pour de bon».

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Italie: un remède qui affaiblit le malade? – Par Stefano Vergine

Les questions fusent: la dette est-elle réellement la seule responsable du retrait en masse du secteur financier de l’économie italienne? Est-elle seule responsable de l’écart grandissant entre la valeur des obligations italiennes et celle des obligations allemandes? Peut-elle justifier l’augmentation de l’âge des retraites…