Alors que le Maroc fête le premier anniversaire de sa nouvelle Constitution et que les tambours du printemps arabe retentissent encore, le journal Ensemble a discuté avec Jaime Siles Otazo, Consul de Bolivie au Québec, de l’état actuel de la Bolivie et des conséquences de la nouvelle Constitution instaurée en 2009 par le gouvernement Morales.

Pascale Charlebois, Journal Ensemble : Si l’on considère l’état économique actuel de la Bolivie, peut-on dire que la Constitution de 2009 a eu des effets positifs, notamment en termes de lutte contre la pauvreté?

Jaime Siles Otazo, Consul de Bolivie au Québec : La période est encore courte pour faire une évaluation, mais la nouvelle Constitution accorde une véritable importance aux droits fondamentaux,  civils, politiques, sociaux et économiques et à ce niveau-là, en Bolivie, il y a eu pas mal de progrès. Mais pas seulement avec la nouvelle Constitution. Il faut comprendre que c’est un processus politique et social qui a commencé en Bolivie dans les années 50 et qui a été consolidé lors de la révolution de 1958. La population voulait véritablement des changements à la Constitution qui existait depuis la création de la République. Pendant longtemps, on avait maquillé la Constitution en faisant de petits changements, mais en fait, il fallait faire une véritable transformation de la nation.

Pendant longtemps, une majorité nationale était exclue des affaires économiques et sociales et maintenant elle est reconnue comme acteur principal de la reconstruction du pays.

Avec Morales, c’est la première fois qu’un président était élu par 65% de la population, parce qu’auparavant, la plupart de la population était exclue. Avant, pour voter, il fallait savoir lire et écrire, avoir une propriété enregistrée et avoir fait le service militaire, ce qui excluait les femmes et une grande partie de la population autochtone. Maintenant, tout le monde qui a 18 ans et plus a l’obligation de voter. La plupart de la population (90%) vote et c’est pour cela que Morales a eu 65% des votes.

P. C. : La Constitution reconnaît plusieurs droits aux communautés autochtones du territoire bolivien. Est-ce qu’il est possible actuellement de mesurer l’apport de ces communautés à la vie économique et sociale du pays ?

J. S. O. : Selon la charte fondamentale, l’État bolivien devient l’acteur central d’un modèle dans lequel toutes les formes d’organisations économiques ont l’obligation de générer un travail digne, de contribuer à la réduction des inégalités et à l’éradication de la pauvreté. Avant, on était très dépendants: le pays était très dépendant de la vente des ressources à l’extérieur et les gens étaient aussi dépendants parce qu’il n’y avait pas beaucoup de création d’emplois, d’industries, de production nationale.

Maintenant, les gens deviennent de plus en plus acteurs sociaux. Par exemple, actuellement, il y a beaucoup plus de coopératives. Dernièrement, le gouvernement a décidé de donner des crédits à tous les travailleurs de la campagne qui ont besoin d’améliorer leurs conditions techniques pour augmenter leur production et garantir la production agricole qui va garantir en même temps la sécurité alimentaire du pays. Et ça, ça ne se faisait pas avant. Pourquoi? Parce que maintenant, on a des disponibilités économiques qu’avant on n’avait pas. Le pays était toujours à la merci des crédits internationaux.  

P. C. : Quels sont les impacts de la Constitution sur le plan identitaire et culturel?

J. S. O. : Auparavant, l’espagnol était la seule langue officielle. Dans la nouvelle Constitution, on reconnaît 36 langues différentes, ce qui veut dire qu’il y a une représentativité culturelle. Aussi, la nouvelle Constitution dit que 50% des membres du parlement, de l’Assemblée plurinationale, sont des femmes et 50% sont des hommes.  Et c’est la même chose pour toutes les organisations.  

P. C. :  Parlez-nous des effets des changements dans les droits des autochtones, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de la justice autochtone communautaire.
 
J. S. O. : En fait, le système de justice a été refait complètement. En décembre dernier, il y a eu un référendum afin d’élire tous les représentants de l’appareil de justice. Tous les magistrats et les juges ont été nommés par la population. On est en train actuellement de mettre en place ce système à l’intérieur duquel on considère l’application de la justice selon les communautés culturelles. Il y aura un système de coordination qui permettra d’appliquer de la meilleure façon la justice et qui déterminera des balises, selon les traditions ancestrales et les us et coutumes des territoires autonomes.   

P. C. : Considérez-vous que la situation économique actuelle de la Bolivie pourra lui permettre de se tenir loin de la crise économique mondiale? Y a-t-il vraiment eu une fuite des investisseurs étrangers comme on le prévoyait en 2009?

J. S. O. : Avant, on vivait de crédit international. Maintenant, l’ensemble de l’Amérique latine dispose d’argent.  Pourquoi?  D’abord parce que les prix du pétrole, du gaz et de l’or ont monté. Il y a de l’argent, beaucoup plus qu’avant.  Et cet argent revient au gouvernement. La plupart des compagnies étrangères qui travaillaient en Bolivie étaient des compagnies qui travaillaient dans le gaz et le pétrole.

Avant l’élection d’Evo Morales, la plupart des compagnies menaçaient de quitter le pays s’il procédait à la nationalisation des compagnies pétrolières. Après, il y a eu son élection et les compagnies ont choisi d’attendre la loi, en se disant que ce ne serait peut-être pas aussi drastique qu’ils ne le croyaient. Puis, il y a eu la loi des nationalisations, qui impliquait des compensations pour les entreprises par le remboursement des investissements. Finalement, ils se sont dits: «Bon, ce n’est pas si pire que ça!» et il n’y a qu’une compagnie sur 60 qui a décidé de quitter le pays. Les autres sont encore là, malgré que leurs conditions économiques aient changé.

Avant la nationalisation, la Bolivie recevait à peu près 80 à 100 millions de dollars par année par le biais des impôts et certaines compagnies ne payaient pas parce qu’elles disaient qu’elles investissaient beaucoup dans le pays. Aujourd’hui, le gouvernement reçoit presque 50% des revenus, soit 8 milliards de dollars et malgré cela, les compagnies n’ont pas quitté et font de l’argent.

Récemment, des représentants de la Banque monétaire internationale et du FMI ont déclaré que grâce aux décisions économiques du gouvernement, le pays n’aura pas à subir de grandes conséquences de la crise économique mondiale.  Pour la première fois dans l’histoire de la Bolivie, 65% de la population a des épargnes, et des épargnes en argent bolivien!  Dans les dix dernières années, la valeur du peso bolivien est passé de 2 millions à 6,90 pesos boliviens pour 1$ US. Cette hausse du peso bolivien avait commencé avant l’élection de Morales, bien entendu.