En 2009, le jeune homme de 20 ans est condamné à quatre mois de prison pour entrée par effraction. Il est par la suite reconnu coupable, en décembre 2010, de trafic d’armes et de trafic de drogues et condamné à trois ans de prison. Il s’agirait d’une banale histoire judiciaire parmi tant d’autres, si ce n’était du fait que le gouvernement du Canada lui a révoqué la citoyenneté en mai 2010 et qu’il est, depuis 2011, sous ordre de déportation vers l’Inde, le pays d’origine de ses parents. De passage à Montréal le 21 et 22 janvier dans le cadre d’une tournée intitulée «Réclamer la citoyenneté, Rejeter la double peine», Deepan Budlakoti s’est entretenu avec le journal Ensemble.

Durant sa tournée, Deepan Budlakoti cherche à recueillir des appuis et à conscientiser les gens sur sa situation: «Les gens sont choqués, explique-t-il. Ils disent:  »Comment pouvez-vous être déporté si vous êtes nés au Canada? » Je leur répond:  »Le Canada enfreint ses propres lois. Le Canada fait ce qu’il veut. »» Selon lui, le gouvernement profite de certaines ambiguïtés existantes dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et dans la Loi sur la citoyenneté pour créer un précédent avec son cas.

Pas un citoyen?

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Chris Alexander, a rendu public récemment l’intention du gouvernement Harper d’abolir le Jus soli, le droit du sol qui accorde la «qualité de citoyen» à toute personne née au Canada. Dans le cas de Deepan Budlakoti, le gouvernement canadien invoque, rétroactivement, l’alinéa 2(b) de la Loi sur la citoyenneté de 1977 qui exclut du droit à la citoyenneté les enfants dont les parents étaient, au moment de la naissance, au service d’un agent diplomatique ou consulaire, à moins que l’un des deux parents soit déjà citoyen canadien ou résident permanent.

Il s’avère que les parents de Deepan Budlakoti sont arrivés au Canada en 1985 au service de l’ambassadeur de l’Inde, mais qu’ils avaient quitté son service quelques mois avant la naissance de leur fils en 1989. Ils ont par la suite obtenu le statut de résident permanent, puis la citoyenneté canadienne.

«Même si M. Budlakoti est né au Canada, il n’est pas automatiquement devenu Canadien, soutient cependant l’attaché de presse du ministre Alexander, Alexis Pavlich. En fait, il faisait partie d’une demande de résidence permanente en 1992. Cela n’aurait pas été nécessaire s’il avait été un citoyen canadien à cette période, mais aucune demande de citoyenneté n’a jamais été faite de sa part.»

Le gouvernement reconnaît qu’un passeport Canadien a été émis au nom de Deepan Budlakoti en 2003, mais soutient qu’il a été émis sur la base d’une «fausse information», à savoir que M. Budlakoti était citoyen canadien. Le Décret sur les passeports canadiens stipule pourtant qu’il appartient au gouvernement: 1) de «vérifier si tous les renseignements requis ont été fournis sur le formulaire de demande et s’ils concordent avec les documents et déclarations exigés», 2) de «vérifier les renseignements fournis par le requérant sur le formulaire de demande, les documents et les déclarations, notamment vérifier tout document établissant la citoyenneté auprès de l’autorité l’ayant délivré» et 3) de «vérifier que tout document établissant la citoyenneté soumis avec une demande de passeport est valide et régulier à première vue».

Le gouvernement ne commente pas le fait que la révocation de sa citoyenneté par le Canada place Deepan Budlakoti dans une une apatridie de jure, car ce-dernier n’est reconnu comme citoyen par aucun État, et fait de lui un apatride de facto, car il se voit refuser une citoyenneté à laquelle il avait droit de naissance, en vertu d’une application disputée de la loi en vigueur.

Justice inégale, légale injustice

«Ce criminel reconnu coupable n’a jamais été un citoyen canadien, martèle Alexis Pavlich en défense de la position du gouvernement Harper dans ce dossier. Il n’aurait pas dû choisir une vie de criminel s’il ne voulait pas être renvoyé du Canada. M. Budlakoti sera renvoyé du Canada pour  »grande criminalité »

Deepan Budlakoti est de ce fait le premier Canadien d’origine à subir la double peine, cette politique qui s’applique uniquement aux «non-Canadiens» et qui consiste à punir une première fois le crime sous le régime de la justice pénale, puis, une seconde fois, sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Après avoir été dépouillé de sa citoyenneté, il a donc été «interdit de territoire» en vertu de l’alinéa 36(1a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

«J’ai fait une erreur, admet Deepan Budlakoti au sujet de ses démêlés avec la justice, et j’ai purgé ma peine. J’essaie de réintégrer la société. J’ai payé ma dette envers la société, mais je suis accusé à l’immigration en même temps que je suis accusé au criminel.» Dans ces circonstances, la réhabilitation prend des allures de chemin de croix: «Quand j’ai été relâché, explique-t-il, tout m’a été enlevé: mon passeport, ma carte d’assurance sociale, ma carte d’assurance maladie, absolument tout. Tout est devenu une bataille.»

Le contexte actuel de durcissement des politiques d’immigration et d’asile au Canada donne à la bataille de Deepan Budlakoti un caractère singulier et universel à la fois. Il s’agit d’une lutte juridique personnelle contre l’apatridie dans laquelle il se trouve plongé et contre la menace d’une déportation vers un pays qui refuse de l’accueillir, mais aussi d’un combat politique exemplaire pour une justice équitable envers tous et toutes, peu importe le statut d’immigration.

Bien qu’ils aient manifesté un certain appui en privé, ni le chef de l’opposition officielle à la chambre des communes, Thomas Mulcair, ni le chef du Parti Libéral du Canada, Justin Trudeau, n’ont jusqu’ici accepté de prendre position publiquement dans le cas de Deepan Budlakoti.

Pour plus d’information :
Site de la coalition Justice pour Deepan (en anglais) : http://www.justicefordeepan.org/
Sur la double peine (en anglais) : http://www.solidarityacrossborders.org/en/solidarity-city/solidarity-cit…
Sur l’apatridie : http://ccrweb.ca/fr/apatridie (conseil canadien des réfugiés)
Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/I-2.5/index.html
Loi sur la citoyenneté (L.R.C. (1985), ch. C-29) : http://laws-lois.justice.gc.ca/fra/lois/C-29/index.html