Les coopératives d’habitation arrivent à un moment décisif: les ententes à long terme signées avec les différents paliers de gouvernement commencent à arriver à échéance. Ces conventions énoncent les droits et les responsabilités des coops. En 2020, près de la moitié des coopératives devrait être sans convention. Si pour certains cela veut dire plus d’autonomie, d’autres y voient des défis supplémentaires: moins de services et moins de subventions. Sans ces subventions, la mission de mixité sociale des coopératives d’habitation pourrait être compromise.

Pour discuter de la situation, le journal Ensemble a rencontré Francine Nemeh, directrice de la Fédération des coopératives d’habitation intermunicipale du Montréal métropolitain (FECHIMM), la plus grosse fédération du genre au Québec, à l’occasion de l’assemblée générale annuelle de l’organisme.

Normand Forgues-Roy, journal Ensemble: est-ce que vous pouvez présenter un portrait de la situation pour les coops de la FECHIMM?

Francine Nemeh, FECHIMM: Dans les prochaines années il va y avoir énormément de coopératives qui vont arriver en fin de convention. Les prochaines, ce sont les coopératives fédérales, sous convention avec la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), qui vont arriver en fin de convention, et pour ces coops, il y a des enjeux énormes. D’abord, il y a un certain nombre de coopératives qui sont, en plus d’être en fin de convention, en fin de bail emphytéotique (un bail à long terme, qui donne certains droits au locataire- ndlr). Ce qui va être un cas particulier qu’il va falloir résoudre, parce qu’une coop qui veut se refinancer, si son bail emphytéotique vient à terme, ça va être beaucoup plus complexe.

Un autre enjeu qui nous préoccupe beaucoup c’est l’Aide assujettie au contrôle de revenus (AACR), une aide fédérale de dernier recours, qui vient aider les gens qui ont un revenu trop faible, en compensant pour une partie du loyer –les gens qui y ont droit paient 25% de leur revenu, le reste est absorbé par la subvention. Ça nous préoccupe énormément parce qu’à la fin des conventions, les subventions pour cette aide-là vont s’arrêter pour ce qui est du fédéral. Pour les subventions du genre au niveau provincial, on ne le sait pas encore, ça vient un peu plus tard… Donc s’il n’y a pas de solutions, ça pourrait vouloir dire qu’il y a des gens qui se retrouvent dans la rue, parce que leur loyer pourrait doubler, tripler.

NFR: De façon générale, est-ce que ce qui se passe à Québec et à Ottawa vous encourage ou vous décourage?

FN: C’est certain que ce qui se passe à Ottawa ne nous encourage pas du tout, c’est très inquiétant, on ne sait pas qu’est-ce qui va pouvoir remplacer cette aide fédérale. Au Québec, on ne sait pas encore comment ça va pouvoir se développer, il semble quand même y avoir une volonté de poursuivre l’appui au développement du logement social. Par exemple, le programme de supplément loyer, un programme provincial, a été renouvelé pour un autre cinq ans, c’est encourageant mais lorsque le fédéral va arrêter d’investir, est-ce que le Québec pourra compenser?

NFR: La FECHIMM a trente ans cette année, comment voyez-vous les années à venir?

FN: En ce moment, c’est sûr qu’on n’est pas dans une période très rose sur le plan des politiques sociales, donc il va falloir que le mouvement se mobilise s’il veut continuer à se développer, à se maintenir. Il va falloir aussi faire un bilan, parce que depuis trente ans, quand les premières coops ont vu le jour, les conditions ont énormément changé, le type d’édifices, la grosseur des coops. Il va y avoir un gros travail au niveau politique pour que nos gouvernements s’adaptent et aident le développement des coopératives. Et que nous-mêmes on fasse le point sur les changements qu’il y a eu et sur les nouvelles perspectives, toujours dans une perspective de propriété collective.

NFR: Vous dites qu’il va falloir repenser l’avenir, dans quel sens?

FN: Il va falloir d’une part qu’on mène une bataille politique pour continuer à obtenir cette aide de l’État… En fait, le logement est un droit reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui est un droit reconnu aussi dans le pacte des droits économiques, sociaux et culturels. Parfois on a l’impression que les gouvernements n’en tiennent pas compte. Ce n’est pas un droit pour lequel on a des recours malheureusement, même dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, les droits économiques sociaux et culturels sont présents, mais il y n’y a pas de recours vraiment. On peut pas aller devant les tribunaux pour dire que son droit au logement n’a pas été respecté. Mais c’est un peu comme le droit à l’éducation finalement. Ce sont des droits, des secteurs de plus en plus commercialisés où les responsabilités deviennent individuelles. Donc c’est sûr qu’on devra revoir la forme de la lutte politique pour l’obtention d’un engagement plus sérieux de l’État, que ce soit du gouvernement fédéral ou provincial, et d’une vision à plus long terme. En même temps, il va falloir que notre réseau survive pendant qu’on mène ces batailles-là et trouver de nouvelles formes d’action. En fait, on va avoir comme deux luttes parallèles à mener: l’une pour la survie, la consolidation, mais aussi le développement de notre réseau, et en même temps une lutte politique pour que l’État prenne ses responsabilités dans la réalisation du droit au logement.