En cette période de crise du livre, quel investisseur s’intéresse à une librairie, sauf ceux qui y œuvrent déjà? Le manque de relève peut forcer un propriétaire à fermer boutique au moment de la retraite. Denis Lebrun et l’équipe de la librairie Pantoute, à Québec, ont mis au point un modèle d’affaires hybride, dans lequel deux employées gestionnaires et une coopérative de travailleurs actionnaire (CTA) partagent 53 % des parts de l’entreprise. Cette solution à structure audacieuse pourrait assurer la pérennité de l’institution de Québec, mais aussi de plusieurs commerces de proximité.

Dès la création de la libraire, le fondateur et ancien copropriétaire de Pantoute, Denis Lebrun, redoutait ce moment où il cèderait son entreprise. 40 ans plus tard, M. Lebrun et sa compagne Claire Taillon ont fait face au manque de relève. De grandes bannières telles qu’Archambault et Renaud-Bray ont manifesté leur intérêt pour racheter les succursales du Vieux-Québec et de la Basse-ville. Ses propriétaires étant derrière la formation de l’Association des librairies indépendantes du Québec, se rallier à une chaîne allait à l’encontre des principes fondamentaux de Pantoute.

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Les employés aux commandes

L’équipe de travail de Pantoute a démontré de l’intérêt pour prendre possession du commerce. Avec l’aide du Groupe coop relève, un modèle d’affaires hors du commun a été mis en place, un modèle que le directeur, Donald Gilbert, qualifie d’hybride. «C’est une structure à trois parties», précise M. Lebrun, qui assure la transition vers les nouveaux propriétaires.

Une première partie est formée de deux employées, Victoria Lévesque et Marie-Ève Pichette, qui ont racheté 27% des parts des propriétaires. La coopérative de travailleurs actionnaire (CTA), qui compte 18 membres, détient quant à elle 26%. Les 47% restant sont détenus par neuf actionnaires externes. Un nouveau conseil d’administration sera constitué, entre autres, par mesdames Lévesque et Pichette et deux représentants de la coopérative.

Habituellement, une CTA a pour objectif d’acquérir la majorité des parts de l’entreprise pour devenir éventuellement l’unique propriétaire, démocratique et collectif. Dans ce cas-ci, cette intention n’a pas été confirmée par les personnes interrogées.

La relève idéale

Après plus de quatre décennies de travail, les propriétaires voulaient s’assurer que la librairie resterait entre de bonnes mains. «J’ai eu des offres par des gens qui n’avaient jamais exploité des librairies. Pantoute, c’est deux magasins, une petite salle de spectacle, un bon chiffre d’affaires, un réseau institutionnel important… c’est une gestion assez lourde. C’est pas un commerce facile», affirme Denis Lebrun.

Connaissant bien le commerce, la clientèle, le fonctionnement et même les problèmes, le personnel était un choix tout désigné pour prendre la relève.

Christian Girard, employé depuis près de 10 ans, précise que non seulement, c’est une belle façon d’assurer la pérennité, mais c’est aussi la continuité de l’esprit de la librairie. «Avec un acheteur extérieur, il y aurait pu avoir un impact négatif sur les employés. Tout le monde était rassuré à propos de cette transaction», ajoute-t-il. Les employés comme les propriétaires.

La CTA: un modèle à suivre

Le manque de relève n’est pas propre à la librairie Pantoute. «Ça va devenir un problème parce que beaucoup de propriétaires de librairie vont prendre leur retraite et compte tenu de tout ce qui circule autour des livres, les acheteurs sont plus difficiles à trouver», déplore M. Lebrun.

La structure audacieuse mise en place par Pantoute et le Groupe relève coop ouvre la porte à la créativité. «La formule qu’on a trouvée est exemplaire. Il peut y avoir de belles initiatives. Il y a des solutions possibles à la relève en librairie», conclut Christian Girard.