Une fine bruine et un froid automnal enveloppaient Montréal.

Ce n’était pas un temps à laisser un chien dehors, encore moins un citoyen. Malgré les intempéries, ils sont venus en grand nombre, amenant avec eux manteaux, gants, bas de laine et solidarité.

Leur but : éclairer avec l’espoir d’une égalité sociale la Nuit des sans-abri.

De Gatineau à Victoriaville, en passant par Rouyn-Noranda, les citoyens étaient conviés à une vigile à l’occasion de la 22e édition de la Nuit des sans-abri. Un peu partout au Québec, celle-ci prenait place le 21 octobre, de 18h à 6h le lendemain. Sous les nuages, à Montréal, on avait troqué le froid pour la chaleur d’un feu et celle qui émanait du café distribué. L’instinct communautaire avait brisé la solitude.

De 500 à 800 personnes viennent chaque année dans la métropole, histoire de vivre, l’espace d’un temps à la belle étoile, ce qu’est l’itinérance. « C’est en soi une sensibilisation par le fait que c’est symbolique, que « Monsieur et Madame Tout le Monde » peut venir », explique le responsable des communications et coordonnateur de l’évènement à Montréal, Bernard St-Jacques.

« Personne n’est à l’abri »

Des sans-abri aux jeunes allumés, des gens de tout genre, de tout âge et de toute condition ont donné vie au thème de la soirée : « Personne n’est à l’abri ». Celui-ci découle de la revendication principale de cette édition : un revenu décent pour tous. Le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté, qui relève du Ministre de l’Emploi et la Solidarité sociale du Québec, soulève d’ailleurs l’urgence de la situation.

Un jeune participant de Katimavik et bénévole pour nuit, Benoît Bérubé, illustre bien cette pensée : « C’est une belle initiative et il faut prendre conscience que ça pourrait m’arriver à moi ou à n’importe qui. Ils ont juste eu parfois des situations difficiles ou des dépendances ». Sensibilisée à la cause de la pauvreté, son acolyte Rebecca poursuit : «Il faut faire attention pour ne pas rendre les gens inaptes. Il faut leur tendre les outils pour qu’ils puissent se remettre eux-mêmes sur la bonne « track ». »

L’art comme passerelle

Des kiosques de sensibilisation présentaient des informations au public pour enrayer les préjugés. Des ateliers étaient offerts à tous. Quelques curieux allaient à la rencontre d’itinérants autour d’un feu, précieux échanges pour comprendre la réalité d’un groupe social oublié. Sous les projecteurs, bravant les intempéries, des gens de la rue prenaient le micro et la parole lors de prestations. Bernard St-Jacques explique que c’est important d’écouter.

Pour ce faire, l’art est le véhicule de communication idéal. « La culture, pour une personne sans-abri, dans beaucoup de cas, c’est une façon de sortir de la rue. Parce que c’est une façon de se rattacher à quelque chose. Et souvent, c’est une des rares occasions qui permet de faire un contact avec le reste de la population. » Plusieurs ateliers créatifs sont offerts par différents organismes tout au long de l’année, à travers la radio, la vidéo ou d’autres formes d’expression.

Agir

Quoique plusieurs projets soient mis en place pour contrer l’itinérance, le financement gouvernemental ne suffit pas à la demande. « Les besoins sont immenses. Dans la dernière année, on a eu une augmentation de 30 % pour les demandes d’hébergement des femmes. C’est tombé tout d’un coup. C’est colossal le travail qu’il y a à faire pour arranger cela », avoue Bernard St-Jacques.

Les organismes font de leur mieux pour répondre à une demande grandissante tout en essayant de joindre les deux bouts. Un sondage CROP, réalisé pour le Comité national de la Nuit des sans-abri en septembre 2010, démontre que 16 % de la population québécoise se trouve au seuil de l’itinérance. Devant une telle réalité, les citoyens se sentent souvent impuissants. « En tant qu’individu, il est difficile d’agir directement. On peut toutefois interpeller les décideurs publics via des lettres ouvertes pour parler des  expériences vécues avec les itinérants et démontrer que les élus ne parlent pas suffisamment de cette population-là, et qu’ils traitent souvent celle-ci « à la petite semaine ». Il faut aussi regarder ce qui se passe, ce qui se fait. Déjà, montrer une espèce de sensibilité à l’égard de leur situation, ça a déjà une portée comme citoyen », éclaire Bernard St-Jacques.

La nuit des sans-abri reste pour les personnes itinérantes une nuit parmi tant d’autres. Demain n’est pas le jour où la pauvreté sera rayée de la carte du Québec. Pourtant, les 500 à 800 citoyens qui se sont déplacés sont venus prouver que la solidarité existe bel et bien et qu’elle ne demande que de telles occasions de s’exprimer.