Cette semaine, des milliers de personnes se sont mobilisées afin de réfléchir à un monde plus équitable à l’occasion du 12e Forum social mondial qui, pour une première fois, avait lieu dans un pays du Nord. Pendant que des groupes collaboraient afin d’ériger de nouveaux scénarios visant à améliorer les conditions de vie du commun des mortels au sein du système actuel, d’autres, boudant l’événement, nous invitaient à faire table rase.

Deux voies s’affrontent : d’un côté, ceux qui estiment qu’il vaut mieux travailler de concert pour faire évoluer les choses. De l’autre, des groupuscules qui entendent lutter coûte que coûte pour enrayer le capitalisme. Pour certains, le simple fait d’organiser la manifestation chez un membre du G-7 lui ôte toute légitimité. C’est ce qu’avance Mathieu Beaulieu, de la Convergence des luttes anticapitalistes. « En mai, les organisateurs ont dit qu’ils avaient obtenu l’appui du gouvernement fédéral. C’est de la pensée magique. Les gens ne se sont pas approprié la ville. Et qu’on le veuille ou non, le Forum de Montréal regroupait une majorité riche et blanche. »

Avenues divergentes mais espoirs communs

Alors qu’un auditoire débordant et conquis d’avance applaudissait à tout rompre la proposition de Changer le système, pas le climat, une centaine de personnes réunies dans la rue au nom de la CLAC endossaient la même idée tout en préconisant des solutions plus radicales. « Nous sommes pour l’action directe et la diversité des tactiques : bloquer un pont, occuper un bâtiment, faire des graffitis… », lance Mathieu Beaulieu pour défendre sa position. Pour cet anarchiste qui œuvre auprès des personnes handicapées, l’autonomie locale est la voie à préconiser.

Pour Stefanie Ehmsen, co-fondatrice de la Fondation Rosa Luxembourg de New-York, « il faut parler stratégie afin de coopérer globalement pour créer un seul et grand mouvement planétaire ». « On est très bons à dire non », constate pour sa part la militante altermondialiste Naomi Klein. « Nous sommes coincés entre des choix douloureux : sauver des emplois ou l’environnement, la pauvreté, les inégalités. Mais si on veut remporter la bataille, il faut creuser plus loin. » Si le Leap Manifesto a réussi à regrouper 200 organisations et à attirer 41 000 signatures, L’élan global, lancé un an plus tôt et cosigné entre autres par Camil Bouchard, Dominic Champagne et Karel Mayrand, a pour sa part interpellé 45 000 personnes. La Soirée des sages organisée dans le cadre de la Foire écosphère en guise de clôture du FSM aura servi à galvaniser les troupes.

Bon nombre de ces militants endossent les positions de Stop Oléoducs. Ce Front commun pour la transition énergétique rassemble à lui seul 50 regroupements de citoyens et ONG environnementales, ce qui fait dire à sa porte-parole Anne-Céline Guyon : « S’il y a un projet qui peut permettre d’asseoir les convergences des luttes, c’est bien celui-là. Le défi est de continuer à approfondir nos alliances. »

Bien présentes au Forum, des organisations syndicales telles Trade Unions for Energy Democracy dénoncent ouvertement une économie gérée par le marché. « Il n’y a pas d’emploi sur une planète sans vie », a illustré la militante syndicale Maité Llanos. Bien que la FTQ ait déposé un mémoire prônant sensiblement la même approche, Yves Ouellet, directeur général de la FTQ-Construction, a indiqué sa dissidence dans le dossier, misant d’abord et avant tout sur la création d’emplois.

Se réapproprier le pouvoir

« C’est le pouvoir qui compte », affirme pour sa part Tadzio Muller, représentant de Rosa Luxemburg Stiftung Allemagne et co-animateur de la Coalition Climat 21 sur les mobilisations contre les centrales au charbon en Allemagne. La société civile est capable de grandes choses, martèle l’activiste. À titre d’illustration, M. Muller explique que 60 % des nouvelles infrastructures en énergies vertes construites sur sa terre natale sont le fruit de fermiers, de coopératives et de groupes citoyens. « Si les élus amènent le débat dans les bureaux d’avocats, on est cuits! »

« Il faut réévaluer notre relation avec la Terre-Mère », affirme à son tour Clayton Thomas-Muller, engagé de plein fouet dans la lutte contre les sables bitumineux. Issu d’une nation Crie installée au nord du Manitoba, l’autochtone impressionne par son charisme et sa détermination. « Si on parle de changer le système et non le climat, on doit parler de réconciliation. Il faut panser nos plaies pour défendre notre futur collectif. »

Pendant que le politologue et économiste italien Ricardo Petrella nourrissait le débat en appelant à mettre la finance hors-la-loi, à déclarer la pauvreté illégale et à bannir la guerre, des hommes d’affaires comme Alexandre Taillefer exigeaient la hausse du salaire minimum à 15 $ l’heure. Qu’elles soient terre à terre ou philosophiques, ces solutions semblent démontrer qu’une transition est bel et bien amorcée au cœur du système. Si pour certains le FSM n’a pas encore élaboré de recette gagnante, force est de constater que bons nombre d’ingrédients sont réunis pour mettre la table.