Alors que la concentration de la presse atteint des seuils inégalés et que l’un des plus importants patrons de presse du Québec annonce son intention de devenir chef du Parti Québécois et, éventuellement, chef d’un État indépendant, il est bon de se rappeler qu’un journalisme d’intérêt public, indépendant et de qualité est un contre-pouvoir essentiel dans une démocratie qui se respecte. Or, l’effritement de l’indépendance professionnelle des journalistes, la précarisation de leurs emplois et l’érosion de la confiance du public envers leur travail sont autant de signes que quelque chose ne va pas dans notre monde médiatique en pleine mutation.

C’est dans ce contexte de crise financière, technique et institutionnelle du journalisme, que la définition du statut de journaliste indépendant proposée récemment par la Coopérative de journalisme indépendant dans la foulée du virage numérique d’Ensemble prend tout son sens : un-e journaliste indépendant-e doit produire et publier des œuvres journalistiques qui soient révisées par des pairs et qui respectent la déontologie journalistique, sans affiliation, activité ou actif le plaçant en conflit d’intérêt avec celui du public.

Une loyauté primordiale

Par cette définition, nous affirmons qu’un journalisme digne de ce nom s’incarne avant tout dans des principes éthiques et déontologiques, dans une démarche sérieuse et crédible de recherche de vérité et de justice pour le compte de l’intérêt public.

À notre avis, la meilleure garantie d’indépendance, c’est précisément la loyauté des journalistes envers l’intérêt public.

Cette loyauté doit primer sur toutes les autres, et en particulier sur la loyauté envers l’employeur qui, dans le cas des journalistes, est le plus souvent une entreprise de presse dont les propriétaires sont des empires financiers qui ont des intérêts antinomiques avec l’intérêt public. La loyauté envers l’intérêt public doit aussi primer sur celle envers un «star system» journalistique qui crée des journalistes-vedettes qui deviennent eux-mêmes les produits d’un système économique, social et idéologique qui ne peut que corrompre leur indépendance.

Les journalistes doivent être des francs tireurs, libres de tout conflit d’intérêts ou de toute apparence de conflit d’intérêts, pas des mercenaires à la solde d’empires financiers tentaculaires.

Plaidoyer pour le plus beau métier du monde

Nous avons délibérément choisi d’évacuer la dimension de rémunération de notre définition. Il s’agit là d’un choix potentiellement controversé en ces temps durs pour le journalisme professionnel. Cela ne signifie pas que l’on considère que le journalisme professionnel n’a pas de valeur ou que les journalistes ne doivent pas être rémunérés dignement, bien au contraire. Le combat pour l’amélioration des conditions d’exercice du métier nous interpelle directement en tant que coopérative de journalistes.

Il nous semble par contre évident que le lien d’emploi avec une entreprise de presse ne saurait être le principal critère de définition de ce qu’est le journalisme, à plus forte raison le journalisme indépendant. De fait, le caractère professionnel du journalisme ne constitue en rien un garantie de qualité, comme de nombreux scandales journalistiques nous l’ont enseigné (http://fr.wikipedia.org/wiki/Scandales_journalistiques). Inversement, le travail journalistique amateur peut très bien s’avérer être d’une grande qualité, comme l’a d’ailleurs relevé le porte-parole du Directeur général des élections au sujet d’un documentaire co-produit par G.A.P.P.A., LesAlter Citoyens et 99media.org.

Cette question du soi-disant professionnalisme des uns ou du supposé manque de professionnalisme des autres est en fait un faux débat.

Ce qui fonde l’indépendance journalistique, c’est l’esprit critique et la rigueur intellectuelle qui permettent d’attester de la véracité des faits rapportés, et l’honnêteté intellectuelle qui assure la primauté de ces faits sur les opinions personnelles des journalistes.

Depuis plusieurs années déjà, des débats animés ont cours au sein du milieu journalistique pour tenter de définir qui peut être considéré journaliste et qui ne peut pas l’être. C’est dans ce contexte que la question «Qu’est-ce qu’un journaliste?» a récemment fait l’objet d’un dossier dans le magazine de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ).

Or, force est de constater que les définitions actuelles ne sont plus en phase avec les réalités complexes et changeantes du journalisme contemporain. Ces définitions, qui se fondent principalement sur le critère de rémunération, sont essentiellement corporatistes au sens où elle visent à consolider les privilèges des journalistes professionnels en excluant de l’accès au statut de journaliste à part entière toute personne qui n’est pas rémunérée pour son travail journalistique.

Face à la crise du journalisme, on peut comprendre les associations professionnelles de journalistes de se tenir derrière ces définitions, comme on se tient derrière les murailles d’un fort assiégé. Mais plutôt que de se replier dans sa forteresse assiégée, nous sommes d’avis que le journalisme doit donner l’assaut aux forces liberticides qui menacent de réduire le contre-pouvoir qu’il incarne à un simple rouage d’une démocratie de façade.

[NDLR : L’auteur de ce texte est membre du conseil d’administration de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ). Cet éditorial n’engage d’aucune manière l’AJIQ.]