D’un bout à l’autre de la province, le même appel incontournable à faire valoir les droits des journalistes indépendants se détache. Les gens se sont exprimés en faveur d’une loi sur les conditions d’engagement des journalistes indépendants. Si cette solution peut paraître évidente, les personnes rencontrées ont insisté sur la nécessité d’en prévoir les détails afin d’éviter tout effet pervers.

La mécanique d’une telle mesure est loin d’être énigmatique, puisque d’autres catégories de travailleurs – les artistes de la scène, du disque et du cinéma et les artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature – sont déjà placés sous des lois analogues depuis 1987 et 1988. Les associations d’artistes négocient collectivement les conditions d’embauches, notamment le cachet minimal. Ceci n’empêche évidemment pas les travailleurs plus expérimentés de négocier à la hausse. La négociation collective pourrait aussi prévoir un contrat-type avec des précisions sur les droits d’auteur et les avantages (fonds de retraite, vacances payées, indemnités).

Le processus se ferait alors en trois grandes phases: d’abord l’adoption d’une loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des journalistes indépendants, ensuite la reconnaissance d’une association habilitée à les représenter, puis enfin la négociation effective des conditions avec les entreprises de presse.

Cette revendication historique de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) est en substance identique à l’une des recommandations du rapport Payette, qui portait sur l’état de l’information au Québec. L’absence de suites à cette recommandation du rapport déposé il y a déjà trois ans a d’ailleurs fait dire à Nathalie Deraspe, rédactrice en chef du magazine Flèche, lors de la rencontre de Saint-Jérôme: «on a les dents élimées comme jamais, mais je pense en tout cas que l’État devrait prendre un rôle».

L’union fait la force

Au-delà des réponses individuelles – diversification, entrepreneuriat, vedettariat – la solution décisive doit donc venir de la force du nombre. «Il faut que les journalistes se parlent et qu’il y ait une solidarité, propose Sylvie Fortin, directrice des communications de la Conférence régionale des élus (CRÉ) de Chaudière-Appalaches, rencontrée à Lévis. Tant qu’ils acceptent de travailler dans ces conditions, le problème demeure. Il va s’amplifier.» Avoir assez de poids pour briser le statu quo implique justement une reconnaissance politique et juridique.

«Une loi ne peut pas nuire, puisque tout est actuellement négocié à la pièce», expose Nicole Gaulin, alors rédactrice en chef de l’Indice bohémien à Rouyn-Noranda. Même des citoyens moins au fait des discussions du milieu journalistique exprimaient leur intuition quant aux aspects bénéfiques apportés par une éventuelle loi. Par exemple, Geneviève Grondin, participante à la rencontre de Trois-Rivières, incitait les journalistes à demander une «loi sur les tarifs minimum au mot, à la longueur, à la page».

L’application de la loi ne se ferait pas sans efforts. Mais «une convention collective serait une force sur laquelle s’appuyer et c’est plus compliqué de passer outre une loi», comme l’objectait Nicole Gaulin. Guy Tremblay, directeur des journaux La Sentinelle et Le Jamésien, à Chibougamau, s’est quant à lui inquiété de la capacité à payer des médias locaux.

Du manque de volonté politique dénoncé à la difficulté de fédérer les journalistes, dont la qualité d’indépendance vient souvent avec une dose d’individualisme, autour de l’idée d’une négociation collective, les défis de faire adopter une telle loi n’ont donc pas été esquivés. Aucun n’est cependant apparu insurmontable. «C’est compliqué de se fédérer, mais à un moment, il va falloir le faire et que ça devienne une loi, point», s’est exclamée Hélène Roulot-Ganzmann, rédactrice en chef de ProjetJ, présente à la rencontre de Montréal.

Olivier D. Asselin, journaliste indépendant montréalais, soulignait la nécessité de mettre les problèmes en contexte, d’informer la population de cette situation pour gagner son appui. Une protection juridique améliorerait non seulement les conditions de travail des journalistes, mais elle serait aussi un gage de santé démocratique. Normand Forgues-Roy, journaliste de Gatineau, a souligné  qu’une telle loi favoriserait la diversité de l’information en prévoyant une protection des droits d’auteur, ce qui éviterait «une perte de valeur du contenu».