«Indépendants, ensemble»: à première vue, le slogan de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) peut sembler contradictoire. Il exprime pourtant la nature et la réalité de cette association, née il y a 25 ans d’une volonté de rassembler les journalistes pigistes sous une même bannière pour faire valoir, collectivement, leur droit à de meilleures conditions de travail.

Les préoccupations des pigistes à l’époque ressemblaient étrangement à celles des journalistes indépendants d’aujourd’hui : faibles tarifs, absence de protection juridique en cas de poursuites, droits d’auteur, contrats abusifs, etc. Partant du principe que l’union fait la force, l’AJIQ cherche à mobiliser les journalistes pigistes pour améliorer leur situation.

«Ce n’est pas parce qu’on est indépendant qu’on ne peut pas être solidaire», souligne Nicolas Langelier qui a été président de l’AJIQ de 2007 à 2011. Vingt ans plus tôt, c’est d’ailleurs «dans un élan de solidarité» avec l’ensemble des pigistes qu’André G. Côté avait participé à la création de l’AJIQ qu’il a présidé de 1988 à 1995.

C’est durant cette période qu’ont été mis sur pied le répertoire des journalistes indépendants, un outil que les membres peuvent utiliser comme porte-folio, et le contrat-type, un cadre de référence fournissant des repères aux pigistes dans leurs négociations individuelles avec les éditeurs. À l’époque, l’AJIQ revendiquait déjà la mise en place d’un système de négociation collective, inspiré de celui découlant de la loi sur le statut de l’artiste qui permet à l’Union des artistes d’établir des conditions minimales pour ses membres par le biais de négociations multipatronales. Vingt-cinq ans plus tard, cet ambitieux projet n’a pas encore obtenu une réponse politique lui permettant de prendre forme, bien que les rapports Payette (2011) et Bernier (2003) aient tous deux pointé dans cette direction.

En 1996, alors sous la présidence de Lyne Fréchette, l’AJIQ avait entamé des démarches juridiques contre des éditeurs qui reproduisaient des articles sur support numérique, sans l’autorisation de leurs auteurs. Des règlements hors cours sont survenus avec Le Devoir, en 2001, ainsi qu’avec GESCA et CERDROM-SNi, en 2010, menant à la création de la bourse AJIQ-Le Devoir et à l’adoption d’un tarif plancher chez le journaux de GESCA. L’entente hors-cours de 2010 avait été vivement critiquée par certains pigistes. L’adoption par l’un des deux principaux groupes de presse du Québec d’un contrat-type et d’un tarif minimal indexé (120 $ le feuillet) avait tout de même été considérée comme une victoire pour l’AJIQ. Cet acquis constitue un fragile précédent que l’AJIQ continue à défendre, tout en poursuivant les démarches en vue d’un règlement définitif du recours collectif de 30 millions de dollars déposé en 1999.

Outre le manque de volonté politique pour implanter la négociation collective et la lenteur du traitement du recours collectif, les principaux obstacles à l’amélioration durable des conditions de pratique du journalisme indépendant se trouvent au sein même du milieu journalistique. Nicolas Langelier pointe du doigt la concentration grandissante des entreprises de presse, l’augmentation du nombre de journalistes disponibles (parfois disposés à travailler dans des conditions largement en deçà des barèmes professionnels, voire gratuitement), le manque de solidarité entre les pigistes et salariés ainsi que le manque de mobilisation collective autour de l’AJIQ.

«Il faut vraiment aller chercher les membres un par un et ils sont souvent isolés», explique Lisa-Marie Noël qui a été brièvement présidente de l’AJIQ en 2011. (André Dumont lui avait succédé par intérim et le poste de président est resté vacant en 2012.) Une telle atomisation des journalistes indépendants nuit à la consolidation de l’AJIQ. «On n’est pas à une époque où le collectif est très valorisé», déplore Nicolas Langelier qui croit encore fermement à la pertinence de l’AJIQ. Pour André G. Côté, la réalité paradoxale dans laquelle évoluent les journalistes indépendants se résume ainsi: «Ils sont concurrents, mais ils doivent aussi s’unir ensemble pour se protéger et pour défendre leurs droits.»

Malgré ces difficultés, qui ne datent pas d’hier, l’AJIQ, forte d’environ 170 membres à l’heure actuelle, continue à faire valoir le message qu’elle porte depuis un quart de siècle: la qualité de l’information au Québec est tributaire des conditions de travail des journalistes. Dans l’espoir de relancer le débat, l’AJIQ organisera cette année les États généraux du journalisme indépendant. Ce sera une occasion pour le milieu de «se pencher sur la situation actuelle et future de la profession, sur les pratiques et les conditions dans lesquelles les journalistes indépendants travaillent», comme l’expliquait Mariève Paradis, vice-présidente sortante de l’AJIQ, dans le bulletin L’Indépendant en décembre dernier.

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L’article a d’abord été publié dans le Trente, journal de la Fédération des journalistes indépendants du Québec (FPQJ). L’auteur est administrateur de l’AJIQ.