Assis sur une chaise en bois, Michel Thusky incline légèrement le torse lorsqu’il parle de la forêt. Entre son chandail pourpre, le mur en bois derrière lui et le four à sa gauche sur lequel cuit du pain, il y a chaleur. Elle trouve son écho dans le rire des enfants qui se tiraillent dans la pièce voisine. «L’idée que la terre, que le territoire est à toi ou à moi n’existe pas. Ça n’a pas de sens pour moi. C’est pas comme ça qu’on pense dans ma culture», souligne-t-il en s’adressant au groupe amassé dans sa cabane construite en bordure du réservoir Cabonga, à 20 minutes de la réserve autochtone de Lac Barrière. « Le territoire, on le protège pour nos enfants, nos petits-enfants, nos prochaines générations ».

À l’écoute, il y avait une dizaine de représentants et représentantes de la société civile québécoise. Les 20 et 21 juillet dernier, ils se sont rendus en plein cœur du territoire traditionnel des Algonquins de Lac Barrière (Mitchikanibikok Inik). La région est mieux connue sous le nom de réserve faunique de La Vérendrye. Thusky, un aîné respecté de la communauté, a été leur guide.
Organisée par des membres de Solidarité Lac Barrière, la délégation visait à établir des ponts entre la communauté algonquine et des groupes progressistes. Parmi les invités, il y avait des représentants et représentantes de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante, le Regroupement solidarité avec des autochtones, Québec Solidaire et la Centrale syndicale nationale.

Les troncs de bouleau s’amassent sur le sol. Une source d’eau s’est formée. «Elle est toxique», nous dit un aîné.
Photo: Arij Riahi

Modèle ignoré
Les Algonquins et Algonquines de Lac Barrière sont engagés dans un bras de fer avec les deux paliers gouvernementaux depuis plus de 20 ans. Ils revendiquent un territoire ancestral de plus de 10000 km2. Ces terres n’ont jamais été cédées, ni par traité ni par accord de revendication territoriale entre la communauté et le gouvernement fédéral ou provincial.
En 1991, la communauté a signé une Entente trilatérale avec Québec et Ottawa. Souvent qualifiée d’avant-gardiste, l’entente prévoit la création d’un modèle de gestion conjointe du territoire par les autochtones et les gouvernements. Le but est de permettre l’exploitation des ressources naturelles tout en protégeant le mode de vie traditionnel des Algonquins. Ceux-ci devaient aussi bénéficier des retombées économiques.
Après la signature, Lac Barrière s’est affairé à cartographier la région, indiquant les zones où les coupes forestières sont possibles et celles qui doivent, eu égard au mode de vie traditionnel, rester vierges. Dans les cartes détaillées que Thusky fait dérouler, les zones sensibles regroupent des sites spirituels sacrés et des endroits cruciaux pour la chasse et la cueillette de plantes médicinales.
L’Entente trilatérale est «une alternative aux accords de revendications territoriales et un plan repère pour le développement durable des territoires de la communauté», écrit le groupe Solidarité Lac Barrière dans un document d’information. Ces accords -qualifiés de traités modernes- sont conclus entre les gouvernements fédéral et provincial et des peuples des Premières Nations qui n’ont pas signé de traité et dont les droits revendiqués n’ont pas été reconnus par une loi particulière.
Le premier «traité moderne» est la Convention de la Baie-James et du Nord québécois, signé en 1975 par des Cris et des Inuits. Dans le même document d’information, Solidarité Lac Barrière décrit ces accords comme «une forme de dépossession négociée» que le gouvernement canadien «négocie avec les Premières Nations qui n’ont jamais cédé leurs terres».
Coupes continuées
Malgré l’Entente et le travail de cartographie des Algonquins de Lac Barrière, les coupes forestières continuent de s’accélérer à l’intérieur de ces zones sensibles. En octobre dernier, Produits Forestiers Résolu, une compagnie forestière anciennement connue sous le nom d’Abitibi-Bowater, a obtenu une injonction de la Cour supérieure du Québec.
Le jugement ordonne aux Algonquins de Lac Barrière de ne pas «obstruer le passage aux véhicules et aux équipements de Résolu» ou «restreindre l’accès» aux différents chemins forestiers empruntés par Résolu.
«Nous sommes toujours sous le coup de l’injonction», affirme Norman Matchewan, Algonquin de Lac Barrière, qui agit souvent comme porte-parole de la communauté. «Ils nous ont dit que nous pouvions venir [sur le site], mais nous ne pouvons pas les empêcher de détruire notre site», dit-il.
Environ 100 millions$ seraient partagés entre les industries forestières, hydroélectriques et touristiques qui profitent des ressources naturelles du territoire. La communauté Algonquine de 400 habitants est confinée à une réserve d’une superficie de 0.38 km2 et ne reçoit aucune redevance. Malgré sa proximité du barrage Cabonga, elle s’alimente encore à l’aide de génératrices.

Ces coupes sont faites seulement pour créer un passage à travers la forêt pour les camions de Produits Forestiers Résolu.
Photo: Arij Riahi