Voter «stratégique» ou «avec son cœur», mardi prochain? À la veille de l’élection provinciale, le Parti québécois d’un côté, Québec solidaire et Option nationale de l’autre s’arrachent le vote des électeurs progressistes et souverainistes. Le mode de scrutin «majoritaire uninominal à un tour» force les Québécois à conjuguer dans un seul X sur le bulletin de vote le choix d’un chef d’État (pouvoir exécutif), d’un groupe parlementaire (pouvoir législatif) et d’un député qui les représente. Les voix n’ont jamais été aussi nombreuses pour demander qu’enfin ce système d’origine britannique soit réformé et modernisé pour que le résultat des élections reflète fidèlement la volonté populaire. Le journal Ensemble a demandé aux représentants des principaux partis ce qu’ils proposent pour remplacer ce que plusieurs considèrent comme une loterie.

«Le besoin de démocratie se fait sentir plus que jamais au Québec», explique Jean-François R. Ouellette, étudiant en droit qui complète une maîtrise en commerce électronique à l’Université de Montréal. Sa passion du web et du droit constitutionnel l’a amené à mettre sur pied un site de référence sur le projet de constitution du Québec: constitutionqc.org. Il y regroupe l’information et la documentation disponible à ce sujet. On y retrouve même depuis peu le premier projet de constitution déposé en 1960 par l’Alliance laurentienne.

Selon M. Ouellette, les propositions des partis se caractérisent par deux grandes tendances. «La première semble tenir pour acquis que des ajustements mineurs et une gouvernance différente permettent de résoudre la crise démocratique: limitation des dons aux partis, élections à date fixe, limite de deux mandats pour un premier ministre, référendum d’initiative populaire de type consultatif. Cette tendance se manifeste principalement dans les propositions du Parti québécois, du Parti libéral du Québec et de la Coalition avenir Québec

Ajustements mineurs

Benoît Charette, député sortant de Deux-Montagnes et candidat de la Coalition avenir Québec (CAQ) dans le même comté, explique que son parti s’engage à établir les élections à date fixe. «Malheureusement, le Parti libéral ne veut pas s’engager dans cette voie-là, mais on est rendus là. Le Parti québécois en parle, mais c’est dans ses plateformes depuis les 30 dernières années, pendant lesquelles il a été longtemps au pouvoir sans jamais respecter son propre engagement.» La CAQ promet aussi de limiter le financement des partis politiques. «Il y a déjà eu une amélioration au cours de la dernière année et demie: on est passé de 3000$ au maximum à 1000$, mais nous ce qu’on propose, c’est de limiter carrément à 100$.» Cette mesure, qui peut paraître semblable à celle du Parti québécois, va un peu plus loin, ajoute le jeune candidat. «On veut aussi plafonner les dépenses électorales de sorte que l’homme ou la femme politique n’ait plus à générer des campagnes de financement ou à être redevable à quelque donateur que ce soit.»

Au moment de mettre sous presse, le candidat péquiste Jean-François Lisée n’avait pas rappelé Ensemble pour l’entrevue prévue. Dans la plateforme du PQ, on promet de modifier la Loi électorale pour assurer la transparence et l’indépendance des élus. Le financement des partis politiques deviendrait essentiellement public. Les montants octroyés par l’État aux partis politiques seraient augmentés et demeureraient en fonction de leurs résultats électoraux, mais le don maximum à un parti serait fixé à 100$, le crédit d’impôt pour contribution politique serait éliminé et le pouvoir d’enquête du Directeur général des élections (DGE) serait renforcé. Officiellement en faveur d’élections à date fixe, du droit de vote à 16 ans et d’un mode de scrutin proportionnel ou uninominal à deux tours, le PQ promet de mettre en place une «commission sur les institutions parlementaires et électorales», dont le mandat serait de proposer un nouveau mode de scrutin.

Le parti Libéral du Québec a décliné l’invitation à l’entrevue et n’a pas annoncé d’engagement sur ce sujet pendant la campagne. En 2004, Benoît Pelletier, alors ministre libéral des Affaires intergouvernementales, a présenté l’avant-projet de loi d’une réforme du mode de scrutin pour inclure des éléments de proportionnelle, mais il n’a jamais été adopté. Interrogé par le journal Ensemble en 2011, l’ancien ministre avouait que les élus sont en conflit d’intérêts sur cette question et qu’elle devra être tranchée par référendum.

Une réforme en profondeur

La deuxième tendance, toujours selon Jean-François R. Ouellette, semble rejeter l’idée que le partage actuel des pouvoirs suffit pour répondre aux aspirations démocratiques des Québécois. Ainsi, des partis comme Option nationale, Québec solidaire et la Coalition pour la Constituante désirent mettre sur pied une Assemblée constituante.

Option nationale exprime, sur sa plateforme électorale, sa volonté de lancer le processus de rédaction d’une Constitution pour le Québec. Jean-Martin Aussant a également déposé un projet de loi lors de la dernière session parlementaire, le projet de loi 596, qui incluait l’ajout d’une composante de proportionnelle, des élections à date fixe, un financement public des partis politiques ainsi que l’abolition du poste de Lieutenant-gouverneur. Il précise que le projet de loi prévoyait de confier au DGEQ le mandat de consulter la population sur les réformes à apporter. «Les partis, quand ils sont au pouvoir, leur intérêt c’est de garder le pouvoir. Ils se rendent compte que c’est beaucoup plus simple sans une proportionnelle de garder le pouvoir.»

François Saillant, candidat de Québec solidaire dans Rosemont, présente la Constituante comme une façon de réveiller la fibre nationaliste. «L’Assemblée constituante, on ne s’en cache pas, c’est pour nous un moyen d’accéder à l’indépendance du Québec. On élirait un groupe d’une centaine de personnes représentatif de la pluralité de la société québécoise, qui aurait le mandat de mener une vaste démarche de démocratie participative à la fois sur le projet de pays et sur la Constitution. Suite à ça, le groupe travaillerait sur un projet de constitution, et c’est ce projet, incluant la question de l’indépendance du Québec, qui serait soumis à un référendum, le tout dans un mandat de Québec solidaire.»

Connue jusqu’à récemment sous le nom des Sans parti, la Coalition pour la Constituante a pour seul engagement de convoquer les citoyens en Assemblée constituante pour réformer les institutions démocratiques. La rédaction de la Constitution et les réformes doivent se faire dans l’intérêt des citoyens et non dans l’intérêt partisan des élus, croit François Tremblay, candidat de la Coalition dans Taschereau. Confier la réforme aux citoyens serait aussi un gage de pérennité selon lui. «C’est la population qui est souveraine, ce sont les « membres » du territoire», explique-t-il en comparant l’exercice à une assemblée générale d’organisme ou de coopérative.

La particularité de cette Constituante est que son processus délibératif serait à l’abri du contrôle des parlementaires, conclut Jean-François Ouellet. «Cette tendance remet aussi en question le principe de souveraineté parlementaire pour offrir une migration vers la démocratie participative. Enfin, certaines propositions comme le scrutin proportionnel, se situent à mi-chemin de ces tendances. En fait, l’implantation du scrutin proportionnel constitue d’abord un simple correctif, mais impliquerait une redéfinition de la séparation des pouvoirs