Une paire de lunettes peut coûter cher, trop cher pour ceux qui peinent déjà à joindre les deux bouts. Mais pour l’opticien Philippe Rochette, voir n’est pas un luxe. C’est pourquoi il trimbale sa valise dans les organismes communautaires de la région de Montréal, à la rencontre de ceux qui, sans lui, ne pourraient pas se permettre de voir. «Il y a des gens pour qui je suis la seule option. Ils achètent mes lunettes ou ils s’en passent», explique celui qu’on surnomme le «Bonhomme à lunettes».

Le lundi, Philippe Rochette s’installe quelques heures au Centre d’action bénévole d’Iberville. Le mardi, il se trouve au Chic Resto Pop, dans Hochelaga-Maisonneuve et le jeudi, au YMCA du complexe Guy-Favreau, au centre-ville de Montréal. Ses valises contiennent des lunettes de toutes les formes et couleurs. Toutes les montures sont au même prix. Avec les verres, une paire qu’on paierait 500$ en magasin peut coûter 150$. C’est 20$ pour les adultes bénéficiaires de l’aide sociale et gratuit pour les enfants.

Ses fournisseurs sont pourtant les mêmes qu’ailleurs. «Ça ne m’empêche pas de toujours trouver une solution abordable», relève le Bonhomme à lunettes. Sur son site Internet, on peut lire:«Je n’ai pas de magasin, je ne fais pas de publicité et je n’achète pas de grandes marques».

Opticien par erreur

«Je n’ai aucune passion pour les lunettes», avoue l’homme derrière le bonhomme. Sa profession d’opticien, il l’a choisie un peu par hasard, voire «par erreur». Il l’a mise sur pause plusieurs fois pour voyager, pour retourner aux études et pour créer une boîte de production. Il lui a trouvé un sens en 2007, quand il a commencé à vendre des lunettes dans les organismes communautaires. «En permettant aux gens défavorisés de voir, je me sens utile. J’ai l’impression que je lutte contre la logique marchande.»
Il tient à rester nomade pour aller à la rencontre des plus démunis. «Sur la Rive-Sud, ce n’est pas tout le monde qui a une voiture pour acheter ses lunettes au centre-ville de Montréal. C’est pour ça que je vais au Centre d’action bénévole d’Iberville.» Des organismes communautaires, il en a visité beaucoup, des YMCA aux soupes populaires, en passant par les refuges pour personnes itinérantes. «Je ne suis pas le seul à vendre des lunettes pas cher, mais j’ai longtemps été le seul à aller là», remarque-t-il.
Trois autres opticiens sont maintenant avec lui sur la route pour desservir près de 150 organismes communautaires de Montréal, de la Rive-Nord et de la Rive-Sud.
Des lunettes engagées
Philippe Rochette opticien n’est ni un organisme à but non lucratif ni une entreprise d’économie sociale.  «J’ai essayé, mais il fallait remplir des tonnes de formulaires. Je ne voulais pas passer par là. J’avais déjà mon idée en tête. J’étais prêt.», dit celui qui a plutôt choisi le modèle de l’entreprise privée. Cela ne l’empêche pas de redonner à ceux qui le reçoivent. Pour chaque paire de lunettes vendue, 10$ va à un organisme communautaire. Il a aussi donné au mouvement étudiant, à Occupons Montréal et au moratoire sur les gaz de schiste. De 10$ en 10$, près de 25000$ sont retournés à la communauté.
Pas besoin d’être cassé pour avoir accès à des lunettes pas cher. Le Bonhomme à lunettes ne fait pas de sélection. Ses lunettes font le bonheur d’une clientèle engagée, qui s’ajoute à celle qui fréquente les organismes communautaires. «Ça a commencé avec les intervenants du milieu communautaire. En regardant dans mes valises, ils ont vite remarqué que j’avais des belles montures! Depuis, il y a un effet boule de neige. Tout ça, avec pas une cenne de pub!», s’enthousiasme-t-il.