Chaque année à pareille date, on se remémore un triste anniversaire. Quatorze femmes disparues. Autant de blessées. Plus une, morte vivante. C’est Monique, la mère de Gamil Gharbi, alias Marc Lépine.

Je n’aime pas à me rappeler qu’un jour un tireur fou s’est lancé à l’assaut de jeunes femmes pour assouvir sa colère. Enfant battu, délaissé par son père et par les rares femmes qu’il aura tenté d’aimer. Je n’aime pas qu’on le pointe du doigt. Parce que c’est montrer l’arbre qui cache la forêt.

On s’offusque une journée par année en mémoire des victimes. On fait une cérémonie. On brûle des lampions. On récite des prières. Pour peu qu’on s’en souvienne. Et la vie continue. Jusqu’à ce qu’une Safia Nolin se fasse injurier et intimider pour le simple fait qu’elle ne correspond pas aux critères de beauté édictés par notre société bien pensante, que des femmes autochtones dénoncent les violences subies aux mains de policiers en service, que des parlementaires abordent la question du harcèlement sexuel à l’égard des femmes dans le merveilleux monde de la politique, que l’Organisation mondiale de la Santé nous ressorte des statistiques à donner froid dans le dos, même si ces données ne sont que partielles.

Il se commet 685 viols par jour. Un quart de million chaque année dans le monde, dont 84 767 aux États-Unis. Ça vous offusque? Le chiffre est faux. On parle d’actes déclarés seulement.

Je n’ai jamais dénoncé l’inceste dont j’ai été victime à la police. Comme bien d’autres, j’ai perdu ma famille du simple fait d’avoir signalé le coupable à l’intérieur du clan. Et quand j’ai évoqué ce viol à mes amies de filles, les deux tiers m’ont répondu : « Moi aussi ». Autant d’actes jamais dénoncés. Alice n’a pas trouvé le pays des merveilles. Moi non plus.

Mais les cours de pole dance ont la cote. N’importe quelle nymphette peut désormais jouer les danseuses de club devant son amoureux et ses amis. Gang bang oblige. Vous n’avez pas envie de vous faire enculer? Vous n’êtes pas à la mode! Un magazine français vous donne des conseils pour une première sodomie en douceur (!!) ou des séances de bondage, ces jeux de corde dont les premières victimes sont une fois de plus les femmes. Demandez à Taylor Summers, morte durant une séquence de pornographie.

Dans le cadre de mon travail, je suis allée à la rencontre de prostituées. Je voulais savoir qui étaient les clients. « Les trois quarts ont des sièges de bébé sur la banquette arrière! », m’a confié l’une d’entre elles, habituée de faire des pipes à 7 heures le matin. J’ai rencontré des prisonnières dans le cadre d’un film. Toutes, sans exception, avaient été violentées durant l’enfance.

Ces « salopes qui en redemandent » sont des victimes, comme celles tombées sous les balles de Lépine.

Pour une séance de masturbation en couple ou en solo, le porno est devenu monnaie courante. L’envers de la médaille, c’est quand d’ex-stars témoignent d’abus inimaginables. C’est le cas de l’Américaine Shelly Lubben, qui souligne que de 2003 à 2014, près de 230 stars du XXX issues de la vallée de San Fernando en Californie se sont suicidées : jetées par la fenêtre, tirées à bout portant, pendues. Beaucoup sont mortes de surdose d’héroïne ou de médicaments. C’est le cas de Maria Schneider qui, à 19 ans, se fait sodomiser par Marlon Brandon avec une motte de beurre en guise de lubrifiant dans le film culte Un dernier tango à ParisLa jeune femme a connu une grave dépression et a sombré dans la drogue après le tournage.  Lentement mais sûrement, l’industrie nous impose ses codes; le moindre poil paraît louche.

On jette les petites filles dans le bain de la séduction dès leur plus jeune âge. On nous marchande à coups de pubs de mascara. J’ai vu une mère acheter des g-strings à sa fillette de 7 ans. Sans compter les implants qu’on donne en cadeau à nos adolescentes mal dans leur peau. Comme si une poitrine en silicone allait augmenter l’estime d’elles-mêmes.

L’habitué des danseuses a subitement cessé d’y aller quand je lui ai demandé s’il serait fier de voir ses filles aux côtés de celles qu’il se plaisait à voir en sirotant sa bière le vendredi soir. Malaise. La violence à l’endroit des femmes est omniprésente. On se nourrit du malheur des autres, dit l’adage.

J’ai une pensée pour chacune des disparues, pour leurs mères, chargées de vivre l’invivable. Pour ces enfants excisées. Pour ces femmes lapidées à mort parce que violées. Pour celles aussi qui se battent à simplement maintenir la tête hors de l’eau, à subir les injures, l’irrespect jour après jour. Les blagues mal placées, comme les mains ou les yeux.

Quand tu te fais siffler comme si t’étais un chien, que le simple fait de ne pas porter de brassière constitue de la provocation, je trouve qu’on a un fichu problème.

Vous riez de cette grosse-là qui a l’air un peu étrange. De l’autre fille farouche ou de celle qui veut mordre, de l’autre prête à défoncer des portes ou de sa voisine, qui pleure d’un rien. Dites-vous qu’au moins une sur deux a subi des violences.

Si chaque année, la mémoire de Geneviève, Annie, Barbara, Anne-Marie, Sonia et toutes les autres nous aide à ouvrir un peu plus les yeux, ce sera au moins ça de pris.

*Fait à noter, je ne suis ni dans « ma semaine », ni une « mal baisée ».