Les patates en poudre, on n’en parlera plus après Noël. Les être humains qui peuplent les CHSLD continueront de manger de l’austérité, bien sûr. Mais pour nous, le grand public, cette poudre aux yeux n’aura pas fait long feu.

 

Il faut donc, avant qu’il soit trop tard, que je vous raconte mon anecdote de patates en poudre, qui s’est passée à l’aéroport de Mirabel – qui a pris sa retraite et qui probablement se nourrit très mal depuis ce temps-là.

J’avais seize ans. Loin, très loin de l’âge de ceux et celles que l’État nourrit mal aujourd’hui. Et pourtant, j’avais fui cette contrée. J’étais retourné aux sources puiser mon éducation à la France natale de mes parents. Entre autres parce que le système d’éducation d’ici est très, très, malade. Comme celui de la «santé».

Ma maman, qui était née vraie Parisienne mais qui ne l’était plus, avait elle aussi fui sa contrée bourgeoise pour vivre au Québec cette vie plus libre et plus simple que sa famille n’a jamais bien comprise.

Elle a donc suivi mon papa, ce bohème issu des quartiers populaires en quête d’une vie trépidante, et ce duo improbable a mis le pied en Amérique.

Ma maman aimait autant le Québec qu’elle détestait le Tout-Paris. De temps à autre, elle était tout de même en proie à d’indicibles relents de nostalgie, qui lui faisaient dire qu’ici, il n’y a pas de vrai fromage, ou qu’ici, il n’y a pas de vraie bière. Je caricature à peine: c’était les années 80. Le désert alimentaire.

La décennie d’après, j’étais donc en train de préparer mes bagages pour rentrer à la maison après une année de lycée très français et très classique, quand soudain, le téléphone sonne de cette sonnerie exotique européenne. Fébrile au bout du fil, ma maman me demande de lui rapporter quelque chose de précieux. Quoi? Du champagne? Du foie gras? De la mimolette? Non.

Elle me demande de lui rapporter de la purée Mousline, saveur de sa jeunesse. Aucune idée de ce que c’est. Ma tante m’instruit. C’est une purée de pommes de terre lyophilisée, vendue en épicerie.

Et nous voilà dans les rayons du magasin E. Leclerc. La purée Mousline se vend en boîte de carton. Chaque boîte contient des sacs aluminés contenant la précieuse et mystérieuse substance.

Alors je débarrasse le produit de sa boîte en carton, et je place soigneusement les sacs aluminés dans ma valise. Puis, je prends l’avion, dégustant l’ivresse du retour dans ces terres de liberté sauvage et capitaliste.

En débarquant du transbordeur (pour les ceusses qui n’ont pas connu Mirabel, cet aéroport d’avant-garde, il s’agit des autobus-ascenseurs qui nous embarquent pour une virée sur le tarmac et nous hissent vers la porte de l’avion ou inversement), je me hâte vers ces guichets de plastique jaune moulé que hantent les constables des douanes en quête de votre passeport pour l’étamper soigneusement.

«Rien à déclarer?» Je suis toujours fébrile à ce moment-là. Jamais rien eu à ne pas déclarer, mais n’empêche que c’est intimidant. Je tends mon passeport en affectant un air assuré et le récupère aussitôt, intact et tamponné.

Je me dirige vers l’attente interminable de la valise. Chose rare, le bagage arrive rapidement. Ne me reste plus qu’à rejoindre la maman qui m’attend de l’autre côté du corridor. Je sais qu’elle est là: elle m’a envoyé la main du haut de l’étage où la baie vitrée donne à voir les arrivées aux badauds.

«Please follow me.» Mon anglais approximatif de l’époque ne me fournit pas grand souvenir du propos du douanier, sauf qu’il m’a parlé en anglais dans les deux langues officielles et que j’étais pétrifié.

Il me fait ouvrir ma valise. Stupéfaction. Un des sacs d’aluminium s’est ouvert pendant le voyage; voilà toute sa cargaison de poudre de patates qui jonche mes vêtements. Plein de belle poudre blanche répandue dans ma valise.

C’est toute une surprise pour moi, car je n’avais aucune idée de la matière qui se cachait dans les sacs en miroir qui n’avaient daigné refléter que mon visage quand je les avais examinés avant de partir. Je m’inquiète d’abord pour mes vêtements et pour la perte de patates que cela représente pour ma maman. Voilà un beau gâchis.

Mais en tournant mon regard vers le sévère douanier, je comprends que son souci est tout autre. Ha ha! Bien sûr, des sacs en aluminium qui contiennent de la poudre blanche. C’est suspect!

«It’s potatoes», que je lui dis. «Taste it! Taste it!»

Le ridicule de la situation m’arrache un rire nerveux. Va-t-il me croire? Vais-je finir la journée – ou ma vie- en prison?

Il affecte un mouvement de recul. Toujours il me toise de son œil impassible. Alors je prends un peu de poudre blanche dans ma main et je la goûte devant lui. «Trust me, it’s potatoes. Want some?»

Il n’a pas goûté. Il a fermé ma valise et me l’a rendue, puis il m’a raccompagné vers la sortie.

Je pense qu’il s’est moqué de moi. Il savait bien que c’étaient des patates en poudre. Sinon, ses chiens auraient réagi.

Je pense qu’il s’est moqué de moi comme se moque de nous ce gouvernement. Ce gouvernement se moque de nous tous, et de ma mère qui, un jour, devra bien recevoir des soins, et donc, des patates en poudre?

Ils se moquent tellement qu’ils font des spectacles où le ministre Barrette déguste à nos frais des repas de CHSLD sous les projecteurs. Bientôt, va-t-on nous offrir à voir la baignade du ministre des Ressources naturelles dans un lac minier contaminé, ou le mois du ministre de la Solidarité sociale avec 399 $ dans ses poches?

Une infime fraction de l’argent qui s’envole dans les paradis fiscaux, dans les valises des plus riches, pourrait payer de vraies patates bio et des grands cuisiniers à tous les CHSLD.

Avec une taxe de 1 % sur les profits des banques, on pourrait offrir l’éducation gratuite.

De raisonnables redevances minières nous vaudraient un système de transport rapide entre les régions du Québec.

Mais ce gouvernement se moque de nous.

Parce que ce gouvernement ne travaille pas pour nous.