Ç’aurait pu être l’élection où le réchauffement climatique serait devenu l’enjeu le plus important de notre époque. Mais le climat n’a pas eu droit à une seule question en trois débats présidentiels.

Ç’aurait pu être la première élection où le vote hispanique aurait fait pencher la balance contre le candidat le plus raciste de l’histoire récente, ce qui aurait été ironique. Mais le ressentiment anti-establishment des Blancs moins scolarisés a été plus puissant.

Si Clinton l’avait emporté, elle aurait aussi pu dire merci au vote massif des Noirs en sa faveur. Mais les observateurs supputeront longtemps sur la portion de ce même vote qui lui a été retiré à cause de politiques locales empêchant l’inscription de centaines de milliers d’électeurs, en particulier les Noirs.

Les faits épluchés

Ce fut l’élection qui donna ses lettres de noblesse au journalisme politique de vérification des faits, le « fact-checking  ».  Mais ça n’a pas empêché de gagner le plus grand menteur de l’histoire de la politique américaine.

Au-delà du fact-checking, ce fut l’élection qui consacra les concepts de chambres d’échos et de biais de confirmation, lorsque des groupes s’enferment dans leur bulle pour ne plus lire et écouter que les « nouvelles » et les billets sur Facebook qui confirment ce en quoi ils croient déjà.

C’était censé être, grâce à Internet, la décennie de la démocratisation de l’information, où le citoyen allait pouvoir confronter des sources « non traditionnelles » aux médias « traditionnels », afin de se faire une tête par lui-même.

La folie au pouvoir

Ç’aurait pu être le moment où une femme briserait enfin le plafond de verre. Au lieu de cela, une majorité d’hommes — et une forte minorité de femmes — ont choisi le candidat le plus misogyne de l’Histoire.

Étrange pays, où une frange conservatrice est suffisamment pesante pour élire un réactionnaire qui propose un retour vers le passé, mais où la plupart des neuf référendums locaux pour légaliser la marijuana sont passés, certains avec des marges très confortables.

Inquiétant pays, où un chef d’État qui a toutes les caractéristiques d’un démagogue autoritaire aux sympathies d’extrême-droite, doublé d’un impulsif colérique et narcissique, se retrouvera aux commandes du plus puissant arsenal nucléaire de la planète.

Une campagne à scandales

Bastion du journalisme d’enquête, mais dont les médias ont consacré, pendant toute la campagne, autant d’attention à un scandale inexistant de courriels qu’à tous les enjeux politiques réunis.

Modèle du journalisme politique neutre et non-partisan, mais qui n’a pas su comprendre que d’accorder un temps de parole égal au pour et au contre faisait le jeu d’un Machiavel de la démagogie et de la téléréalité.

Le pays qui a engendré le plus grand nombre de Prix Nobel de sciences au monde, devient aussi celui qui élit un président antiscience pour qui le réchauffement climatique est un canular; et dont les électeurs en profitent pour réélire des sénateurs formant le dernier bastion mondial des politiciens climatosceptiques.

Une démocratie en péril

C’est un pays dont les inégalités de richesses énormes, choquantes, expliquent en partie la désillusion d’une frange des électeurs. Frange qui a pourtant voté pour un millionnaire qui n’a pas payé d’impôts depuis 20 ans.

C’est une démocratie qui, en dépit de tous ses défauts, avait su maintenir un système faisant l’envie de plusieurs pendant plus de deux siècles et qui vient d’envoyer comme message à tous les partis d’extrême-droite d’Europe : si eux, pourquoi pas nous.

Ce sont des citoyens qui professent en toute bonne foi leur amour de leur pays et de leur constitution, mais qui viennent de poser un geste aux apparences nihilistes:  balayons tout et repartons à zéro.