Même si les chances de Bernie Sanders de remporter l’investiture démocrate à l’élection présidentielle américaine s’amenuisent, le sénateur socialiste a remporté au début du mois la course dans le Green Mountain State… qui est cependant loin d’être aussi gauchiste qu’on le croit. En effet, alors même que les démocrates du Vermont votaient massivement, le 1er mars, pour Bernie Sanders, la plus grande ville de l’État le plus à gauche des États-Unis, était divisée sur la légitimité d’une voie cyclable; la deuxième ville remettait en question la fluoration de l’eau; et 20 000 personnes votaient pour Donald Trump.

La voie cyclable et la fluoration étaient deux référendums locaux parmi d’autres. Ce mardi 1er mars, en plus d’être le jour des primaires démocrates et républicaines, était le « Town Meeting Day » au Vermont. Une tradition de 254 ans : à l’origine, les citoyens se réunissaient à l’église ou à l’école, discutaient et votaient à main levée. Dans plusieurs villes, la tradition de la rencontre est restée, mais le vote est devenu secret, d’autant que la journée sert à élire les maires et autres décideurs, de même qu’à voter sur les budgets scolaires ou municipaux. Dans plusieurs cas, certaines questions ajoutées au bulletin de vote sont le résultat d’une initiative populaire. Comme la voie cyclable à Burlington (42 000 habitants), et la fluoration de l’eau à Rutland (17 000 habitants).

L’enjeu à Burlington : la North Avenue, dont la municipalité veut faire passer un segment de quatre à deux voies, afin d’y intégrer une voie cyclable de chaque côté. Un enjeu qui s’est révélé extrêmement divisif. Notre « plus grosse complainte, c’est que les gens qu’ils tentent d’accommoder avec ces voies cyclables représentent 1 % de la population », a par exemple répété Karen Rowell, résidente et porte-parole des opposants.

Lundi après-midi, la veille des élections, une marche le long de la North Avenue a permis de compter 10 fois plus d’affiches sur des parterres ou des fenêtres consacrées à ce référendum plutôt qu’à Bernie Sanders (ou à tout autre candidat).

Au final, le changement a été approuvé par 58 % des voix — mais les deux quartiers qui touchent à la North Avenue ont voté contre. Interrogé par le Burlington Free Press, le maire Miro Weinberger s’est réjoui des résultats tout en reconnaissant qu’il avait un « défi » devant lui pour convaincre les gens du quartier.

Et tout ce débat n’était que pour un projet-pilote : un seul segment de l’avenue, faisant 1,2 km.

Le Vermont à gauche, mais jusqu’où?

Le Vermont est souvent qualifié d’État le plus à gauche des États-Unis. Ce n’est pas seulement l’État qui élit un sénateur « socialiste » — Sanders — depuis 2006 et qui, avant cela, l’avait élu 16 ans à la Chambre des représentants. C’est aussi l’un des rares à avoir un troisième parti — le parti progressiste, plus à gauche que le parti démocrate — qui ne se contente pas de faire de la figuration : trois des 30 sénateurs locaux et 6 des 150 représentants (les États américains ont presque tous une Chambre des représentants et un Sénat, comme à Washington). La mairie de Burlington s’est aussi échangée entre progressistes et démocrates depuis 1981.

Dans ce contexte, la voie cyclable n’est pas le seul vote qui semblerait incongru aux Québec Solidaire et autres Projet Montréal. Le 1er mars, en même temps que les démocrates votaient à 86 % pour Sanders, les républicains tenaient eux aussi leurs élections primaires. Ils n’étaient pas aussi nombreux : 60 000 contre 134 000. Mais il s’en est tout de même trouvé 20 000 pour voter pour Donald Trump, plus que ceux qui, de l’autre côté, ont voté pour Hillary Clinton.

Quant à la fluoration de l’eau, si elle est devenue un enjeu à Rutland, c’est parce que les opposants — parmi leurs chefs de file : une infirmière — ont accusé les autorités locales de « droguer » la population. Ils sont parvenus à recueillir suffisamment d’appuis pour obtenir un référendum d’initiative populaire. Au final, eux aussi ont perdu : les électeurs ont voté pour maintenir la fluoration, à 61 % contre 39 %.

Entretemps, devant la montée des critiques, la municipalité avait senti le besoin en 2015 de créer une page spéciale sur la science de la fluoration.

C’est qu’une trentaine de pays ajoutent du fluor dans leur eau potable. Même l’Organisation mondiale de la santé le recommande. Au plan scientifique, quantité d’études ont démontré qu’il s’agissait d’une méthode efficace et sans risque pour diminuer la carie chez les enfants. Aux États-Unis encore plus qu’au Québec, les trois quarts des citoyens boivent de l’eau fluorée, certains depuis les années 1940.

Mais ici aussi, la gauche réserve une surprise. Alors que dans les années 1940, la fluoration avait été soutenue par les mouvements progressistes, le sociologue Brian Martin et d’autres ont noté que l’opposition qu’on voit émerger depuis une dizaine d’années émane en général de la gauche. Un référendum d’initiative populaire similaire à celui de Rutland a ainsi conduit au rejet de la fluoration à Portland, Oregon, en 2013.