Alors que les solutions de mobilité durable se multiplient, il est urgent et nécessaire de repenser notre rapport au transport pour faire entrer nos villes dans le XXIe siècle.

Définie comme « une politique d’aménagement et de gestion du territoire et de la ville qui favorise une mobilité pratique, peu polluante et respectueuse de l’environnement, ainsi que du cadre de vie », la mobilité durable (ou écomobilité) est aux antipodes du modèle dominant de développement urbain au Québec.

La logique du tout a l’auto, qui guide l’aménagement du territoire urbain et périurbain depuis plus d’un demi-siècle, semble aussi imperméable à ces solutions qu’un tablier d’asphalte neuve et aussi résistante au changement qu’une colonne de béton armé. Elle monopolise autant de place dans nos esprits que le stationnement dans l’espace public.

« Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les villes se sont adaptées à l’automobile », rappelait-on dans le programme d’une conférence prononcée par l’ancien président de la Société de transport de Montréal, Michel Labrecque, dans le cadre des Semaines de la mobilité qui se tenaient du 15 au 30 septembre.

Organisées dans la foulée de la campagne nationale J’Embarque! sur la mobilité durable, cette conférence mettait en évidence le fait que l’aménagement de nos villes nous rend depuis trop longtemps dépendant à la voiture.

Pour un décongestionnant efficace!

Cette dépendance explique qu’à la veille de la Journée sans voiture, on sondait l’intérêt des automobilistes pour un troisième lien autoroutier entre Québec et Lévis et qu’on évoque maintenant l’idée de prolonger l’autoroute 40 jusqu’à Saint-Augustin, afin de lutter contre la congestion routière dans la capitale.

Une recherche empirique montre pourtant que l’augmentation de la capacité routière tend plutôt à induire une augmentation de la circulation automobile et à donc à produire davantage de congestion.

Dans la région de Montréal, où le gouvernement du Québec continue à dépenser sans compter dans les infrastructures routières (3,7 milliards pour l’échangeur Turcot!), on observe d’ailleurs une augmentation de l’usage de la voiture quatre fois plus rapide que le taux croissance de la population.

L’arrondissement du Plateau Mont-Royal, qui a mis en place depuis 2009 une panoplie de mesures d’apaisement de la circulation, fait figure d’exception dans ce triste portrait : la part modale de l’automobile y est en légère décroissance.

Loin d’être aussi impopulaires qu’on le prétend, des stratégies d’apaisement, dont la piétonnisation complète d’artères centrales, sont d’ailleurs envisagées dans de nombreuses villes à travers le monde, de Paris à Oslo, en passant par… Laval!

Changer nos villes pour sauver des vies

La Direction de la santé publique de Montréal a documenté en détails les impacts sur la santé et la sécurité de la population urbaine de l’augmentation du transport automobile.

« Le réel problème en ville, c’est vraiment les voitures », soutient la professeure Marie-Soleil Cloutier du centre Urbanisation, culture et société de l’INRS, qui dirige un laboratoire créé récemment pour étudier la place des piétons dans l’espace urbain.

Selon le dernier bilan routier de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ), 44 piétons et 9 cyclistes sont décédés dans des accidents de la route en 2015. C’est la première fois depuis 1978 que le nombre de piétons tués sur nos routes en une année est inférieur à 50, souligne l’organisme.

C’est dans ce contexte que la seconde édition de la campagne Tous Piétons!, lancée cette semaine par Piétons Québec et Vivre en Ville, prend tout son sens. La campagne, qui vise à souligner le mois du Piéton dans quatre des principales régions urbaines du Québec, soit Gatineau, Montréal, Québec et Trois-Rivières, s’inscrit dans la foulée d’une mobilisation large pour améliorer la sécurité des usagers les plus vulnérables du réseau routier.

Car, malgré des progrès réalisés dans les dernières années, les piétons et les cyclistes comptent encore pour près de 15 % de l’ensemble de décès sur les routes du Québec.

Après des années de pression, les différents paliers de gouvernement commencent à prendre des mesures pour un partage de la route sécuritaire ou, à tout le moins, à étudier la question.

Pendant ce temps, à Montréal, on traite encore comme un vulgaire fait divers un délit de fuite ayant coûté la vie à une septuagénaire à une intersection notoirement dangereuse, et ce, même si l’incident est survenu quelques jours à peine après que la Ville de Montréal eut dévoilé sa stratégie « Vision Zéro » pour l’amélioration de la sécurité routière. Du côté de Gatineau, on se montrait encore réticent l’été dernier à l’idée de prendre des mesures contre l’emportiérage des cyclistes.

À quand une politique de mobilité durable?

Les frasques éthiques de l’actuel ministre des Transports Laurent Lessard – le quatrième en cinq ans! – monopolisant l’attention des médias, on oublie presque que la province n’a toujours pas de politique de mobilité durable.

C’est ainsi qu’en dépit de l’adoption d’une stratégie nationale de transport collectif il y a deux ans, le développement du transport en commun, encore largement sous-financé, se fait « au cas par cas ».

Sachant que le secteur du transport est responsable de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre au Québec, des individus et des collectivités se mobilisent, notamment dans le cadre des Rendez-vous de la mobilité, pour promouvoir et mettre en œuvre « les solutions de transport viables que sont l’autobus, le vélo, la marche, le covoiturage, l’autopartage et l’intermodalité ».

À l’échelle locale, les alternatives à l’auto-solo existent et se multiplient : qu’on pense aux réseaux interrégionaux comme Amigo Express, ou encore à des services de covoiturage local ou de covoiturage régional. L’autopartage en ville est également en plein essor, en particulier avec le déploiement de véhicules en libre-service, et ce, malgré le fait qu’on mette parfois des bâtons dans les roues aux opérateurs.

À Saint-Jérôme, la ville a mis en place l’été dernier un service de navette électrique gratuite qui dessert notamment le cégep. Ce service n’est pas sans rappeler la politique de libre accès au transport en commun pour la population étudiante de Sherbrooke, en vigueur depuis 2004.

Si on ne peut s’affranchir du jour au lendemain des énergies fossiles et rompre d’un seul coup notre dépendance à l’automobile, on peut s’inspirer de ces initiatives pour jeter les bases d’une nouvelle culture et d’une infrastructure de mobilité qui cessera de reproduire les erreurs et les horreurs urbanistiques du XXe siècle.