Pour la première fois de son histoire, la droite française organisait une primaire afin de savoir qui briguerait au printemps 2017 le mandat de président de la République. Une élection bien plus médiatisée que son équivalente socialiste en 2006 – qui a envoyé Ségolène Royal à la bataille perdue de 2007 – ou que la primaire socialiste de 2011, menant à l’élection de François Hollande, ancien conjoint de Mme Royal, aux commandes de la France. Le résultat final sera connu dimanche en fin d’après-midi.

Contrairement à la primaire socialiste de 2006 ou à la primaire écologiste de l’automne 2016, totalement passée sous le radar, la primaire dite « de la droite et du centre » mais n’opposant que des candidats de droite était « ouverte », comme le fut la primaire socialiste de 2011. Pour voter, il suffisait d’être inscrit sur les listes électorales, d’adhérer à une charte souhaitant l’alternance, d’accepter les « valeurs républicaines » de la droite et du centre, et de s’acquitter de la somme de deux euros, afin de couvrir les frais d’organisation; seules les élections politiques sont prises en charge par l’État.

Fait intéressant, les Français de l’étranger ont voté à contre-courant par rapport à leurs compatriotes.

Sur les onze circonscriptions électorales hors France, Sarkozy a filé sous la barre des 10 %, soit deux fois moins qu’au pays. En Amérique du Nord, Juppé a obtenu 14 points devant Fillon alors qu’au final, il s’est fait supplanter par son rival de presque 16 points.

Sur un total définitif de 4,27 millions de suffrages – les organisateurs en espéraient deux millions pour faire leurs frais – 44,1 % des votants ont préféré François Fillon à Alain Juppé (28,6 %), mettant Nicolas Sarkozy de côté avec 20,7 % des voix. Les résultats définitifs ont été publiés le 23 novembre, soit deux jours et demi à l’issue de la clôture du scrutin.

Une campagne dure

La campagne électorale fut assez ardue entre les sept candidats (six hommes et une femme) habilités à se présenter. Parmi les recalés figure Frédéric Lefebvre qui, depuis une partielle au printemps 2013, est le député des Français d’Amérique du Nord. N’arrivant pas à réunir ses parrainages, il a déposé son dossier de candidature au nom de son micro-parti Nouveaux Horizons, mais a échoué, contrairement au très conservateur Jean-Frédéric Poisson, président du Parti chrétien démocrate (PCD). Du coup, M. Lefebvre s’est rallié au camp Juppé. Seule candidate, Nathalie Kosciusco-Morizet a reçu in extremis les signatures manquantes grâce à Alain Juppé, doyen de cet exercice et favori des sondeurs.

Rebaptisé « Ali Juppé » par l’extrême-droite, le candidat a fait l’objet de nombreuses attaques, relayées entres autres par le camp Sarkozy. On l’accusait notamment d’être proche des Frères Musulmans et de vouloir financer la construction d’une mosquée à Bordeaux, ville dont il est le maire. Ce n’est qu’en juin que Juppé expliquait qu’elle « n’existe pas et n’existera pas« .

Ignoré par les sondeurs, François Fillon laissait Nicolas Sarkozy l’attaquer autant que le centriste François Bayrou. Depuis un an, ce dernier disait qu’il serait candidat si Sarkozy était choisi. Dans le discours de l’ancien président de la République, Bayrou était devenu l’arme fatale contre Juppé.

Fillon, qui fut Premier ministre sous Sarkozy cinq années durant, a poursuivi son petit bonhomme de chemin. Les médias ont sous-estimé qu’il avait le soutien de la droite la plus conservatrice qui soit.

Les appuis en question étaient divers : du mouvement Sens Commun – hostile au mariage entre personnes de même sexe – à Henry de Lesquen. Diplômé de deux prestigieuses écoles (l’ENA et Polytechnique), président de la radio d’extrême-droite Radio Courtoisie, ce vicomte est un fervent défenseur de l’inégalité des races; il veut interdire la « musique nègre », dont le rock’n’roll, et affirme que Marine Le Pen, présidente du Front national, est une « femme de gauche« .

Des programmes assez semblables…

Sur le plan économique et industriel, les deux finalistes sont sur un même axe libéral. Cependant, le programme de François Fillon s’annonce plus sévère, notamment avec une semaine de travail pouvant aller jusqu’à 48 h, comme de 1919 à 1936. Juppé parle plutôt du retour aux 39 h, durée légale durant trente ans, à partir de 1982.

L’un comme l’autre veulent prolonger la durée de vie des centrales nucléaires d’un tiers. Toutefois Juppé peut se draper d’une sorte de caution écolo, puisqu’il a le soutien de Nathalie Kosciusko-Morizet.

L’austérité est au programme pour les deux hommes, avec réductions drastiques des dépenses et départs à la retraite à 65 ans. À noter que l’âge légal de départ à la retraite a déjà été repoussé de deux ans lorsque Sarkozy et Fillon étaient au pouvoir. En clair, avec Juppé ou Fillon, les chômeurs âgés risquent de se multiplier et davantage d’aînés seront contraints de vivre avec à peine 800 euros par mois, soit 30 % de moins que le salaire minimum en France.

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De 2007 à 2012, Fillon a supprimé 145 000 postes de fonctionnaires. Il affirme vouloir en supprimer 500 000 à 600 000 de plus, son discours variant au fil du temps.

Des parcours différents

Né en août 1945, Alain Juppé a été enfant de chœur mais se dit « catholique agnostique« . Féru de grec et de latin, il se marie à vingt ans, alors qu’il poursuit ses études et n’a pas encore effectué son service militaire. À 27 ans, il sort de la prestigieuse École nationale d’administration. De sa première union sont nés deux enfants. En 1993, il épouse en secondes noces la journaliste Isabelle Bodin. Clara naît deux ans plus tard; c’est la première fois depuis 1958 qu’un chef de gouvernement en exercice devient père.

Né en mars 1954, aîné d’une fratrie de quatre garçons, François Fillon se passionne pour la course automobile. Après une scolarité dans des établissements privés, il s’essaie au journalisme, étudie le droit, et rencontre Penelope Clarke, qu’il épouse en 1980. De cette union naîtront cinq enfants, le plus jeune ayant aujourd’hui 15 ans.

Le 14 décembre 1980, alors qu’il est en compagnie du ministre de la Défense Joël Le Theule et qu’il attend la venue du Premier ministre René Lévesque, François Fillon assiste à la mort du ministre français.

Mai 1981, François Mitterrand est élu. Le mois suivant, à 27 ans, François Fillon devient le plus jeune député de France. En décembre 1981, avec la droite, il s’oppose à la dépénalisation de l’homosexualité, qui sera adoptée grâce à la majorité de gauche.

En mars 1983, Alain Juppé obtient son premier poste électif. Fidèle de la première heure de Jacques Chirac, il dirige le 18e arrondissement de Paris. Il lui faudra attendre 1986 pour devenir député de la Ville lumière, poste qu’il abandonnera immédiatement pour cause de nomination au premier gouvernement de cohabitation, dont le Premier ministre est Jacques Chirac.

Après deux ans comme député, François Fillon devient maire de Sablé-sur-Sarthe (12 000 habitants). Sauf lorsqu’il est au gouvernement, il est dès lors soit député, soit sénateur. À l’issue de cinq années comme Premier ministre de Sarkozy, Fillon sent le vent tourner; il se présente dans une circonscription parisienne, totalement acquise à la droite.

Des images publiques faussées 

L’image publique d’Alain Juppé s’est dégradée au milieu des années 90. Alors qu’il est Premier ministre de Jacques Chirac depuis à peine deux mois, il doit s’expliquer sur un loyer à prix très attractif dont son fils a pu bénéficier à Paris. « Je suis droit dans mes bottes et je crois en la France », répond-il à un journaliste. Cette expression va lui coller à la peau.

Arrive novembre et l’annonce d’un vaste plan d’austérité. Le gouvernement Juppé s’en prend notamment aux retraites, en allongeant la durée du temps de cotisation pour avoir droit à une pension.

Par un hiver plus rigoureux qu’à l’habitude, les Français descendent dans les rues par centaines de milliers . Le Premier ministre reste « droit dans ses bottes » et l’essentiel de son plan passe, malgré des semaines de grèves et de blocages.

Dans la foulée de sa nomination à l’Hôtel de Matignon, Juppé se fait élire maire de Bordeaux (plus de 200.000 habitants). Il reste également le patron du RPR, le parti fondé près de 20 ans plus tôt par Jacques Chirac.

Pendant ce temps, François Fillon s’affiche moins. Ministre de l’Enseignement supérieur dans le gouvernement Balladur de 1993, il entre au gouvernement Juppé deux ans plus tard. Il occupe quelques mois le poste de ministre des Technologies, de l’Information, et de la Poste, puis est relégué au rang de ministre délégué à la Poste, aux Télécommunications et à l’Espace.

Fillon peaufine son image de « gaulliste social », dans le giron de Philippe Séguin, rencontré en 1981, alors qu’il préside l’Assemblée nationale. Le ralliement de François Fillon à Nicolas Sarkozy s’opère au début des années 2000, lorsque l’UMP remplace le RPR, et que Philippe Séguin, refusant de rallier le nouveau parti, repart à la Cour des comptes (l’équivalent du bureau du Vérificateur général).

Sans Séguin, qui meurt en 2010, le « gaullisme social » s’éteint peu à peu au sein de l’UMP, mais dans l’imagerie populaire, l’étiquette colle à François Fillon.

L’exil québécois de Juppé

En 1995, un magistrat se penche sur ce qui deviendra « l’affaire des emplois fictifs de la Ville de Paris ». Une saga judiciaire qui va durer jusqu’à la fin du quinquennat Sarkozy avec la condamnation de Jacques Chirac, longtemps protégé par son immunité présidentielle. Une aubaine pour Fillon comme pour Sarkozy, qui n’ont jamais été élus à la Ville de Paris…

Alain Juppé, ancien numéro deux du RPR et adjoint aux Finances de Chirac, maire de Paris, écope en 2004 de dix-huit mois de prison avec sursis et cinq ans d’inéligibilité. En appel, sa peine est réduite de quelques mois et la durée de son inéligibilité ramenée à un an.

Le politicien quitte ses fonctions et s’installe au Québec, où il devient enseignant, avec une dérogation liée à son casier judiciaire. En 1996, Juppé avait été décoré de l’Ordre national, ce qui peut expliquer son entrée à l’ENAP.

La France, à droite toute!

La qualification au second tour de la présidentielle 2002 du président-fondateur du Front national (FN) Jean-Marie Le Pen témoigne de la radicalisation de la droite en France.

En 2005, le rapprochement de Fillon et Sarkozy modifie la donne à l’ex-RPR, devenu UMP. Fillon avait été élu sénateur en attendant les législatives de 2007. C’est par cette nouvelle alliance qu’il a été amené à travailler à la campagne présidentielle de Sarkozy. Cette campagne très droitière allait s’achever deux jours avant le second tour de la présidentielle par un discours de Fillon passé inaperçu dans les médias, mais mettant en avant une parole très nationaliste.

La radicalisation de la droite dite « traditionnelle » allait se concrétiser quelques jours après par la création d’un ministère « de l’identité nationale », puis par le refus du président Sarkozy d’inaugurer le Musée de l’Immigration à Paris. Le site ne sera inauguré que sept ans après son ouverture, par le nouveau président François Hollande.

Lors d’une allocution prononcée cet été dans son ancien fief électoral, François Fillon a considéré la colonisation de l’Amérique du Nord, de l’Asie et de l’Afrique comme un « partage de culture« .

Fillon envisage de faire réécrire l’histoire de France par des Académiciens sous forme de roman national ou récit national, ce que certains historiens considèrent comme une « négation de l’Histoire« . Pas étonnant que les médias russes disent qu’il est, faute de Sarkozy, le préféré du Kremlin.

La France selon Fillon, c’est aussi des incertitudes pour les homosexuels. De récentes déclarations lui ont aussi valu un entretien avec le Grand rabbin Korsia.

Dressant le constat que la France est multiculturelle, Juppé veut redonner espoir aux Français et assume une « identité heureuse« , tant au sein de la France qu’en matière diplomatique.

Les sondeurs dupés

Les sondeurs n’ont pas tenu compte de cette droitisation de la France, alors que l’actuel gouvernement à la tête duquel se trouve Manuel Valls, gouverne presque aussi durement que les différents gouvernements Fillon sous Sarkozy.

En se basant sur les reports de voix des cinq candidats éliminés, Fillon devrait l’emporter avec 70 %. Mais au vu de questions posées par Opinion Way le jour du premier tour, seuls 51 % des votants se revendiquent du parti de MM. Fillon et Juppé, et 15 % se disent centristes. Le tiers restant regroupe ceux qui disent n’avoir aucune allégeance politique (11 %), les gens de gauche (12 %) et les adeptes du Front national (6 %).

Le résultat de dimanche dépendra donc du nombre de participants, mais aussi de qui ira voter.