« Il est temps de réveiller les consciences pour demain obtenir un changement », a affirmé Viviane Michel, présidente de Femmes Autochtones au Québec (FAQ), lors de sa conférence du 17 février à l’Université de Montréal.

Depuis l’élection du gouvernement Trudeau, les communautés autochtones sont au cœur de l’actualité. Carolyn Bennett, ministre des Affaires autochtones, a annoncé le 15 février que le nombre de disparitions et d’assassinats de femmes autochtones serait « beaucoup plus élevé que 1200 », derniers chiffres avancés en 2014 par la Gendarmerie royale du Canada. L’enquête nationale sur le sujet, attendue depuis plus de 30 ans par les Premières Nations et promise pendant la campagne électorale, a été confirmée par Ottawa au lendemain des élections. La première phase a démarré il y a quelques semaines.

« Kuei ! » inscrit Viviane Michel sur le tableau noir, « bonjour » dans sa langue innue, l’une des 11 nations autochtones présentes au Québec.

Après 10 ans d’implication à FAQ, Viviane Michel représente depuis 2012 l’organisme qui « appuie les efforts des femmes autochtones dans l’amélioration de leurs conditions de vie par la promotion de la non violence, de la justice, de l’égalité des droits et de la santé, et soutient les femmes dans leur engagement au sein de leur communauté ». C’est dans ce cadre qu’a été mené, en 2015, le projet Debout et solidaires, une étude qualitative basée sur des témoignages et des récits de disparitions de femmes autochtones, présenté lors de la conférence du 17 février. « Pour nous, la participation des familles était essentielle. Nous voulions faire ressortir leur voix et leur donner une place importante, parce que ce sont elles qui sont touchées.» Objectif affiché : « montrer ce qui se passe » et mettre en place des stratégies d’action au sein des familles, du système judiciaire et de FAQ. « On ne veut plus perdre nos filles, on ne veut plus perdre nos femmes, on ne veut plus perdre nos mères », déclare Viviane Michel.

La loi sur les Indiens méconnue des Autochtones

La loi sur les Indiens « est le seul document où l’on souligne notre existence », affirme Viviane Michel, et pourtant ses enjeux sont « souvent méconnus par nos communautés ». C’est un « labyrinthe plein d’impasses » qui engendre discrimination et sexisme dans les mariages mixtes. Les femmes sont contraintes de quitter leurs réserves pour «vivre en milieu urbain et deviennent vulnérables». Enfin, les enfants nés d’une mère autochtone et d’un père québécois (ou non reconnus par leur père autochtone) sont automatiquement catégorisés Québécois, et non Autochtones.

Les pensionnats autochtones ont « tué l’Indien »

Cent trente-neuf pensionnats ont été recensés au Canada, dont 12 au Québec. Jusqu’en 1996, année de la fermeture de la dernière école près de Régina, en Saskatchewan, on a enseigné la culture canadienne à 150000 enfants autochtones de 5 à 17 ans. Il y était par exemple interdit de parler leurs langues, au risque de subir violences physiques, sexuelles et psychologiques. On y a recensé plus de 3000 décès, dont au moins un tiers de façon anonyme. Le précédent gouvernement Harper a présenté des excuses publiques, mais Viviane Michel souligne un manque d’actions concrètes : les familles et les individus touchés avaient « besoin de quelque chose de plus sain pour se relever, comme des centres de guérison à long terme. L’argent ne suffit pas à guérir un traumatisme », dit-elle.

Des services de protection de la jeunesse autochtone démunis

La violence dans les communautés est une réalité : violences familiales, surpeuplement des réserves sur des territoires restreints, manque de logements, etc. Les Premières Nations ont parfois besoin d’aide, mais elles sont méfiantes et voient les services de protection de la jeunesse comme une menace. En cas de problème de consommation, les familles ont tellement peur de perdre leurs enfants qu’elles se taisent. En effet, lorsqu’un enfant autochtone doit être placé, la direction de la protection de la jeunesse évoque souvent la « loi 125 », empêchant les familles autochtones de devenir famille d’accueil par manque de place dans leurs logements. Les enfants sont alors contraints de quitter la réserve et sont placés chez des familles québécoises, qui les éduqueront « à la québécoise ». Viviane Michel remercie ces familles, mais fait part d’un grand besoin des communautés de revoir leurs enfants, par amour et pour que la culture perdure. Elle ajoute : « Les services sociaux devraient être un filet de sécurité quand le vivre ensemble fait défaut ».

Quelles sont les pistes de solution ?

La première étape consiste à « bien comprendre nos enjeux historiques : d’où vient-on ? Que sommes-nous devenus ? Qui a voulu qu’on devienne ça ? Et demain ? ». Le discours de Viviane Michel n’est pas accusateur. Elle souligne cependant que la colonisation est une réalité et qu’elle a eu des impacts dont les populations n’ont pas toujours conscience. Le mal de vivre qui en découle doit être compris pour enfin entamer un changement durable et cohabiter ensemble.

Selon elle, il est également essentiel de diffuser de l’information sur la loi des Indiens, puis de la retravailler « avec notre vision, notre réalité, nos besoins ». Une autre action importante est la sensibilisation de la police avec des formations et des ateliers, afin d’éviter le racisme policier, les interminables délais de traitement des affaires et le manque de communication avec les familles. Il s’agit là de créer une collaboration. Il faut de plus augmenter la sécurité des femmes, par exemple en accompagnant les nouvelles arrivantes en milieu urbain pour leur éviter certains pièges, tels que les proxénètes et la drogue. D’autres pistes de travail: la prévention de la violence familiale, l’éducation des médias et le soutien à l’intervention des services sociaux. Enfin, l’écoute des familles des victimes : elles ont besoin de reconnaissance, de soutien et de suivi. «Les familles ne veulent pas que les organismes s’approprient leurs drames pour se faire un nom ; elles demandent qu’on avance ensemble », dit Madame Michel.

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Avec le lancement de l’enquête nationale sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, « on sent une prise de conscience générale qui nous donne beaucoup d’espoir chez FAQ », indique Viviane Michel. «Le nouveau gouvernement me fait capoter. Cependant, on est prudent et on attend de voir avant de se réjouir, car le racisme est toujours là, et ce focus pourrait aussi empirer les choses ».

« Hommage à la femme autochtone dans ses plus beaux atours traditionnels de Pow Wow vibrant aux sons de la composition Indian Girls de Deejay Elmo. »

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Par : Marine Gaillard