Ironie du sort? Le 16 octobre, Journée mondiale de l’alimentation, l’agriculteur charentais Paul François témoignait au Tribunal international Monsanto. Seul Français invité à La Haye, cet agro-manager devenu paysan est le premier à avoir confronté le géant biotechnologique américain après une intoxication qui aurait pu lui coûter la vie. Entrevue exclusive.

En 2004, la vie de Paul François bascule. Une opération de routine sur la ferme vire au cauchemar. En une fraction de secondes, les vapeurs du Lasso, herbicide développé par Monsanto, ruinent la santé du céréalier. S’ensuit une bataille juridique épique qui écorche la multinationale. En septembre 2015, la cour de Lyon confirme un jugement de première instance et condamne l’entreprise. Une première au monde.

« On peut espérer que dans trois ou quatre ans tout soit fini. Mais avec Monsanto, on peut s’attendre à tout », lance l’agriculteur.

Bien qu’heureux d’avoir remporté ce combat inespéré, M. François doit, jour après jour, composer avec les séquelles de l’accident. « J’ai toujours des hauts et des bas. Il faut que je passe des examens d’ici la fin de l’année parce que les lésions au niveau du cerveau ont augmenté. » Malgré la maladie, l’agriculteur a lancé une association destinée aux victimes de pesticides et parcourt la planète pour alerter l’opinion publique des dangers auxquels le monde est exposé. « Il y a de plus en plus d’appels de malades », confie Paul François.

Témoignages accablants

Le cultivateur a hésité avant d’aller témoigner devant ce tribunal informel organisé par un collectif international de personnalités, scientifiques, juristes et d’ONG et présidé par la juge Françoise Tulkens, ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’homme. « J’ai vu que c’était important parce qu’en France, la justice est indépendante. C’était intéressant pour les autres victimes de savoir que Monsanto pouvait être condamnée. »

L’exercice, qualifié par la multinationale de « parodie de justice », a pointé du doigt le leader agro-industriel pour violations des droits humains, crimes contre l‘humanité et écocide. Au total, 24 personnes ont été entendues. Des représentants du Ski Lanka ont fait état de milliers de morts liées au glyphosate, principal agent actif dans le Roundup. Le pays a pris la décision en 2014 d’interdire son utilisation. La chercheuse américaine Stephanie Seneff lie le produit à l’autisme. En 1998, Monsanto le disait biodégradable.

Figurant comme l’herbicide le plus vendu au Québec et dans le monde, le glyphosate est désormais classé cancérigène probable. Chez nous, on en trouvait dans la quasi-totalité — jusqu’à 97,5 % — des cours d’eau échantillonnés en 2014, indique un document d’Équiterre réalisé en collaboration avec l’Association canadienne des médecins pour l’environnement.

« Au vu des témoignages, il faudrait parler de crime contre l’Humanité, soutient Paul François. Le fait que Monsanto impacte la biodiversité et ait des brevets sur le végétal et l’animal, fait que des populations n’ont même plus accès à une agriculture vivrière. Il va falloir un courage politique international pour dire qu’une telle société ne peut plus se penser au-dessus des lois. »

La technique de Monsanto est la même dans tous les pays, poursuit le céréalier devenu activiste. « Ce qu’on a vu à La Haye, c’est qu’ils se battent coûte que coûte pour dire que leurs produits ne sont pas dangereux, même quand il y a quatre décisions de justice dans mon cas. En Argentine, c’est un ancien directeur de Monsanto qui s’occupe de l’environnement. C’est quand même la seule société qui a les moyens d’avoir une journée mondiale contre elle! »

Visite au Québec

Lors de son passage à Montréal l’an dernier, Paul François a établi des liens avec quelques agriculteurs québécois. « Il semblerait qu’il y ait une prise de conscience. Plusieurs m’ont contacté pour me dire qu’ils commençaient à se poser des questions sur la santé. Ils voient des cas de maladie. »

François a visité Thomas Dewavrin, du Moulin des Cèdres, qui cultive 600 hectares biologiques aux côtés de son frère Loïc depuis 20 ans. « C’est intéressant de voir un producteur à grande échelle produire bio au pays des OGM (Montérégie). Souvent on limite l’agriculture biologique aux petites fermes familiales mais lui, c’est un céréalier. En maïs, en soja ou en tournesol, il a des rendements quasi identiques (aux productions conventionnelles). Ça montre à des sceptiques comme moi que l’agriculture biologique est viable. Quand on dit que ça peut nourrir la planète, y’a pas de souci. »

OGM et CETA même combat?

« Ça m’a frappé quand j’ai rencontré des agriculteurs canadiens, explique Paul François. Ils m’ont dit : on a été trompés. Vingt ans après, les OGM, non seulement ça ne nous rapporte pas plus d’argent parce que les rendements n’ont pas augmenté comme on nous l’avait promis, mais il faut toujours plus de glyphosate. Notre marge économique est moins bonne et en plus, on est stigmatisés par le reste de la population parce qu’on dit qu’on retrouve le glyphosate dans les rivières et que cela a un impact sur l’environnement. »

« Je n’ai pas toujours compris l’action de José Bové, mais aujourd’hui je me dis qu’heureusement il y a eu des gens comme lui pour empêcher les OGM d’être cultivés en France. Je dis à mes collègues : si c’est pour arriver là, le libre-échange, on n’en a pas besoin. J’ai cru en l’agriculture intensive et je l’ai très bien pratiqué. Je me suis trompé. J’espère que dans 5 ans, toute mon exploitation sera bio. La vraie modernité de l’agriculture, c’est de relever le défi sans pesticides. »

Quant au rachat éventuel de Monsanto, Paul François se fait cynique. « Si Bayer veut continuer à soigner des cancers – c’est leur première activité – il faut continuer à empoisonner les gens. »