Malgré le déferlement sans précédent de richesses, de machines, de commodités, de spectacles, d’élections et de conventions internationales, dont nous gratifie chaque jour le capitalisme ostentatoire, et malgré «le vent de fraîcheur» que souffle Justin Trudeau, je pense que nous commençons à comprendre que la fête de la croissance tire à sa fin et que nous allons bientôt payer cher ce déchaînement programmé et insensé de production et de consommation.

Le climat

L’année 2015 s’est conclue avec la Conférence de Paris, qui a permis une première prise de conscience planétaire de l’urgence de nous libérer des énergies fossiles si nous voulons éviter les effets catastrophiques du réchauffement du climat en cours. Le débat qui fait rage au Canada et au Québec sur le pétrole et les oléoducs a pris tout son sens. Et la crise du climat n’est qu’un volet du dérèglement des écosystèmes indispensables au maintien de la vie sur cette planète.

Il ne s’est guère passé une journée cette année sans qu’on n’entende parler de la croissance exponentielle de la population, du besoin de nourriture, de la production industrielle, de l’épuisement des ressources non renouvelables, de la contamination des sols, de l’eau, de l’air et des océans, de l’accumulation des déchets, des pertes de biodiversité, des inégalités sociales, croissance qui dépasse déjà largement les limites de notre planète et de ce que peut supporter la vie organisée.

Beaucoup de scientifiques estiment même qu’au rythme où vont les choses, on peut prévoir que l’effondrement irréversible du système actuel de production et des écosystèmes s’enclenchera dans quinze ou vingt ans. L’éloignement et la destruction de la nature nous ont conduit au seuil de l’apocalypse. Nous entrons dans l’ère de la survie.

L’austérité

Pas de journée non plus sans que l’oligarchie économique et financière ne soit pointée du doigt comme responsable du gâchis social et environnemental dans lequel nous nous trouvons. Les millionnaires, leurs banques, leurs multinationales et leurs politiciens de service, qui contrôlent le jeu, sont engagés dans la phase finale de leur entreprise de domination du monde: la prise de contrôle des missions de l’État lui-même pour les inféoder à leur système d’enrichissement.

La Commission Charbonneau nous a permis de mieux mesurer l’ampleur et le caractère systémique de cette infiltration du pouvoir politique par le monde des affaires. À travers l’endettement, la privatisation, la corruption, l’évasion fiscale et l’austérité, citoyens et États sont chaque jour davantage asservis à la cupidité des riches.

Même quand ils tournent au vert comme on le voit présentement, ne nous y trompons pas, les riches pensent bien davantage à sauver leur mise qu’à sauver la planète. Leur objectif demeure la croissance de leurs richesse et de leur pouvoir. Ils ne nous sauveront pas: ils vont nous emporter en enfer avec eux, car, au-delà de l’apparente prospérité qu’ils nous offrent, c’est là qu’ils nous conduisent.

Il suffit pour s’en convaincre, comme on a pu le constater l’année qui s’achève, de les voir aller avec la dette souveraine en Grèce, le gaz et le pétrole de schiste au Dakota du nord, les sables bitumineux en Alberta, les oléoducs au Québec, les projets miniers au Chili et en Afrique, les forêts d’Amazonie, du Congo et d’Indonésie, la forêt boréale au Québec, les guerres au Moyen-Orient, les cultures OGM en Inde et en Afrique, la croissance industrielle en Chine, les paradis fiscaux un peu partout sur la planète.

La spéculation, la production industrielle, l’extraction, la manipulation des États et des esprits sont leurs armes et ils ne s’arrêteront pas tant qu’ils y verront de l’argent à faire.

Le Québec

La crise du mouvement souverainiste et nationaliste, qui a fait la manchette toute l’année au Québec, est une autre facette de cette offensive de mondialisation et de concentration du pouvoir financier. Les riches n’aiment pas les frontières, les identités; l’argent n’a pas de nationalité, il est multiculturel, il est privé, il est libéral, il est fédéraliste et il parle anglais.

Les mouvements de gauche subissent le même sort: les classes sociales n’existent plus: il n’y a plus que la classe moyenne et chacun doit faire sa part. Le mépris et la marginalisation des régions périphériques et des Premières nations, qui ont aussi fait les manchettes en 2015, relèvent de la même philosophie de nivellement des communautés au nom des impératifs de rentabilité économique.

L’Islam

Les dictatures provoquent des rébellions, c’est bien connu. Et la résistance à cette immoralité du grand capital, qui marchande pétrole et minerai contre des armes, sans se soucier des gens qu’on force ainsi à s’entre-tuer ou à fuir, c’est dans l’idéologie de l’Islam politique radical (salafiste-wahhabite) qu’elle a trouvé son nid.

De même, la peur et l’insécurité génèrent des mouvements d’extrême droite qui poussent un peu partout en Europe et aux États-Unis (Le Pen, Trump, etc.). Et cette flambée de terrorisme crypto-religieux et de nationalisme xénophobe vient foutre le bordel dans les esprits et les communautés, ébranler la laïcité républicaine qu’on croyait acquise, détourner tout le monde des vrais problèmes, réveiller la xénophobie et l’islamophobie latentes, remettre en cause la tolérance et la solidarité plus nécessaires que jamais en période de crise et de survie. Jusqu’à faire flotter sur nos têtes la menace d’une troisième guerre mondiale.

La démocratie

Seul le peuple, souverain, s’il sait se libérer de l’envoûtement dont il est victime par ces vendeurs de bonheur à crédit, peut nous sauver. La désillusion des citoyens face à la démocratie de représentation actuelle est totale.

Seule la démocratie, la vraie, peut nous permettre de reprendre les commandes et de mettre un frein à la destruction des ressources naturelles, à la pollution de notre environnement, à l’exploitation des pauvres, à la destruction de la vie sur la Terre et à la folie guerrière. Seule la restauration du pouvoir du peuple nous permettra de survivre aux riches. Et l’adoption d’une constitution qui nous ressemble est un passage obligé de ce virage démocratique, économique et culturel.

Il faut miser, dans tous les secteurs et à tous les niveaux, sur la souveraineté et l’autonomie du peuple, sur l’éducation et la participation démocratique, sur les rapports de proximité, sur le respect de la nature et la collaboration avec nos frères humains partout sur la Terre, car cette planète est notre unique demeure, notre fragile habitat, notre écoumène, notre maison commune.

Mais nous reste-t-il assez de temps pour réaliser cette révolution et prévenir l’effondrement, ou vaut-il mieux organiser dès maintenant notre survie? Une chose est sûre, en 2015, nous sommes entrés dans l’ère de la survie, et c’est bien autre chose que l’ère selfie de Justin Trudeau…

Roméo Bouchard

Ce texte est paru en version abrégée dans Le Devoir,
et constitue le prélude d’un livre à paraître aux éditions Écosociété.