Connu pour ses paysages paradisiaques, le pays gaélique n’attire pas que les touristes et les amateurs de folklore. Cette petite île de 70 273 kilomètres carrés et ses 4,7 millions d’habitants, constitue un éden pour les multinationales du monde entier grâce à des mesures fiscales plus qu’avantageuses. Après tout, la couleur traditionnelle de l’Irlande est le vert. Comme celle des billets!

 

En Irlande, près d’un emploi sur huit provient d’une multinationale étrangère. La raison ? À 12,5 %, le taux d’imposition pour les entreprises est l’un des plus faibles de toute l’Union européenne.

D’après un rapport publié par Oxfam le 12 décembre dernier, l’île figure comme le sixième « pire » paradis fiscal au monde, dans le top 15 établi par l’ONG internationale.

L’Irlande surclasse ainsi le Luxembourg, les Bahamas, Jersey et les îles Vierges britanniques, tandis que les Bermudes figurent en tête de liste. Oxfam considère que ces pays « facilitent l’évasion fiscale » en menant une « course » qui tire les impôts sur les sociétés vers un taux à 0 %, ce qui renforce les inégalités et la pauvreté dans le monde.

L’île d’Émeraude fait partie de ce triste palmarès à cause de « son taux d’imposition faible, de sa politique d’incitations fiscales et de l’évidence de profit à grande échelle », note l’ONG.

Depuis 2014, le pays détient une croissance aux alentours de 4 % ; la plus forte de l’Union européenne. En 2015, l’Irlande affichait un taux record de 26,3 %.

« C’est fait de toute pièce », assure Jim Stewart, économiste et chargé de cours à l’école de commerce Trinity College, à Dublin. « Ce chiffre est influencé par les politiques fiscales en place depuis des années. » De fait, les multinationales installées dans le pays déclarent la majorité de leurs profits en Irlande, sans retombées concrètes au niveau national.

Le « modèle irlandais » : des trèfles à quatre feuilles à perte de vue

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De grandes entreprises, principalement américaines, ont massivement installé leurs filiales dans la république. Apple, Facebook, Google, Airbnb, LinkedIn, Microsoft, Abbott connaissent la musique. Sur plus de 1000 multinationales établies dans le pays, 700 ont pris naissance chez Oncle Sam, d’après la Chambre de commerce des États-Unis. Cela leur évite d’être imposées à 35 % sur leurs profits, comme c’est le cas notamment aux États-Unis. Tout le « modèle irlandais » est majoritairement basé sur ces pratiques incitatives.

Canada-Vie Assurance et Nortel figurent parmi les firmes canadiennes établies sur l’île d’Émeraude.

Toutefois, l’Irlande demeure moins convoitée par ces entreprises que les États-Unis ou le Royaume-Uni. En 2014, la Barbade attirait près de 80 G$, soit plus de 14 % de rentrées par rapport à l’année précédente. C’est là que la majeure partie des sommes esquivées de l’impôt canadien apparaît.

Mettre fin aux cadeaux fiscaux

L’État irlandais a toujours cherché à développer son économie en misant sur les investissements directs étrangers, et ce, depuis les années 50. Mise en place en 1998, la mesure d’impôts s’applique à toute entreprise commerciale résidant dans le pays. Et l’Eire constitue une destination de choix. Après Singapour, c’est le deuxième pays où les grandes entreprises des États-Unis déplacent leurs avoirs.

Dans les faits, l’impôt sur les sociétés est bien plus faible que 12,5 %. L’économiste Jim Stewart a calculé que les multinationales américaines payaient autour de 2,2 % en 2011.

Google, Microsoft, LinkedIn, Facebook… Toutes ont eu recours à des montages financiers qui leur ont permis de payer le moins d’impôts possible.

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« Ces géants du numérique empochent des millions – voire des milliards – en profits chaque année grâce aux Canadiens, car nous avons adopté leurs produits », indique le réseau Canadiens pour une fiscalité équitable. Google et Facebook recueilleraient à elles seules 64 % de l’argent investi en publicité sur Internet au Canada, soit plus de 2,4 G$. Déterminé, l’organisme a lancé une campagne de mobilisation comprenant une pétition électronique afin d’exiger des modifications à l’Agence du revenu du Canada (ARC), qui leur accorde une exemption parce qu’elles sont établies dans un autre pays – souvent un paradis fiscal, comme c’est le cas ici.

En août dernier, la Commission européenne a révélé ces pratiques au grand public. Son enquête a démontré que l’entreprise Apple a bénéficié d’aides financières de la part de l’État irlandais. Seul 1 % d’impôts a été payé en 2003. Le taux exigé a fléchi jusqu’à 0,005 % en 2014.

L’institution européenne demande à la firme de Tim Cook de rembourser 13 milliards d’euros à Dublin, soit l’équivalent d’onze années d’impayés. L’entreprise comme le gouvernement irlandais ont fait appel de la décision.

Pour John Christensen, économiste et cofondateur du Tax Justice Network, organisme international composé de chercheurs et d’activistes s’intéressant aux politiques fiscales dans le monde entier, Apple serait loin d’être la seule à avoir pu bénéficier de ristournes financières. Et le gouvernement irlandais n’a aucun intérêt à ce que cela soit rendu public.

Le modèle irlandais, symptôme du régime international

Suite à la publication du rapport, le ministre des Finances Michael Noonan a déclaré que les « vastes » remarques d’Oxfam sont « éloignées de la réalité. Personne ne le prendra au sérieux ».

Le Premier ministre Enda Kenny a pour sa part rappelé que le taux d’imposition à 12,5 % correspond aux (OCDE). Le pays n’est pas considéré comme un paradis fiscal par l’organisation et pour cause : Aucune définition n’a encore été arrêtée sur le terme, ce qui arrange gouvernements et entreprises.

L’État avance par ailleurs que l’Irlande ne peut pas être considérée comme tel car elle s’engage contre l’évasion fiscale. En effet, comme tous les membres de l’OCDE et du G20 – dont le Canada fait partie -, le gouvernement a signé en 2015 l’accord « Base d’imposition et transfert des bénéfices » (BEPS). Le document stipule que pour plus de transparence, les entreprises doivent déclarer les bénéfices réalisés dans les pays avec lesquels ils transigent. Une avancée appuyée par le Tax Justice Network.

De par cet accord, l’Irlande s’est engagée à laisser tomber son montage financier le plus connu, le « double irlandais ».

Depuis 2015, toutes les nouvelles entreprises irlandaises doivent payer des impôts, qu’elles soient fiscalement résidentes ou non. Cette mesure s’appliquera globalement à partir de 2021.

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Malgré tout, c’est loin d’être suffisant, estime le cofondateur du réseau international. Selon M. Christensen, les entreprises, aidées par les gouvernements, trouveront toujours un moyen de contourner les règles. « La fiscalité irlandaise n’est qu’un symptôme du régime fiscal international qui incite à la compétition entre les pays », considère-t-il. Sa solution? Aux citoyens de s’emparer du problème plutôt qu’aux institutions.

Ambassadeur depuis janvier 2016 de la campagne À égalité ! À la recherche des milliards perdus d’Oxfam-Québec, son homologue Alain Deneault, chercheur pour le Réseau pour la justice fiscale Québec (RJFQC), associé au Tax Justice Network, affirme pour sa part qu’«on peut régler la situation en cinq minutes si on veut. Le tout est de voir si les chefs d’état ont la force et la volonté politique d’agir. Ce sont eux qui ont aménagé les échappatoires ».

En septembre 2015, l’auteur d’Une escroquerie légalisée cosignait un mémoire au nom du Collectif Échec aux paradis fiscaux, dans lequel on apprenait que « depuis 1990, la part d’actifs transférés dans les paradis fiscaux par les grandes entreprises canadiennes a augmenté de 1 800 % ».