Après avoir été bombardés d’images et de nouvelles sombres jusqu’au soir même du Réveillon, les voeux de paix pour 2017 ont pour plusieurs, été qualifiés d’utopistes. Alors que le Dalaï Lama se questionne à savoir si le monde irait mieux sans religion, Ensemble a discuté de spiritualité et christianisme avec Mgr Marc Pelchat, nouvel évêque-auxiliaire de Québec et ex-doyen de l’Université Laval.

Résumez-nous votre parcours.

J’ai été doyen à l’Université Laval pendant 15 ans. J’ai fait trois mandats à la Faculté de théologie et de sciences religieuses et un mandat presque complet à la Faculté des études supérieures. Pendant quelques mois, j’ai également été ombudsman. J’ai été vicaire, curé en paroisse et animateur régional. J’ai donc une expérience à la fois pastorale, professorale et administrative. Je me suis retiré de la Faculté de théologie en 2013 après une carrière de 26 ans. J’ai continué de collaborer avec l’établissement mais j’ai pris une année pour travailler sur des projets de colloques en liturgie et de livres en chantier.

Quels sont vos plus récents ouvrages?

Réinventer la paroisse et un collectif que j’ai dirigé sur l’histoire des huguenots protestants francophones au Québec. J’ai beaucoup d’amis protestants et je me suis beaucoup intéressé à la question.

Quel sera votre mandat?

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Le diocèse de Québec, qu’on appelle aussi église diocésaine de Québec, comprend environ 200 paroisses dans la ville et la grande région de Québec. Comme le diocèse est vaste, le cardinal Gérald Lacroix, évêque de Québec, a deux auxiliaires. L’autre s’appelle Louis Corriveau. Nous avons chacun nos tâches.

En tant que prêtre, j’étais déjà vicaire général du diocèse. Je dirigeais l’organisation. Je vais poursuivre dans cette direction.

Comment l’Église envisage-t-elle son avenir?

Nous avons un travail à faire pour revitaliser nos communautés chrétiennes. Il y a moins de pratiquants et moins de prêtres aussi. Il faut faire redécouvrir le message évangélique. C’est central.

Avec l’Évangile, il y a des pratiques : l’amour fraternel, le partage, la miséricorde, la compassion. On appelle ça la nouvelle évangélisation.

Aider les gens à rencontrer le Christ, c’est d’abord une expérience personnelle.

Comment avez-vous vécu cette rencontre?

J’ai vécu ma jeunesse au moment de la Révolution tranquille et du Vatican II. Je suis allé au Petit séminaire de Saint-Georges-de-Beauce, dirigé par des diocésains. C’était un milieu très ouvert. Je suis entré à l’âge de 13 ans comme pensionnaire. Le Concile Vatican II commençait. Il y avait un vent d’ouverture. Même les journaux régionaux en parlaient. On ressentait ça comme une période de renouveau dans l’Église. C’est dans ce contexte que ma vocation a été nourrie.

D’après vous, où s’en va-t-on, spirituellement parlant?

Le Québec est depuis longtemps en transformation. On ne peut pas nier qu’il y a eu une prise de distance à l’égard notamment de l’Église catholique, qui était omniprésente.

Dans les années soixante, l’Église a entrepris une réforme de sa liturgie, de son discours, de ses formes de gouvernance. Cela a coïncidé avec une profonde transformation de la société québécoise.

On ne peut pas cacher que chez plusieurs, il y a eu une forme de rejet : des institutions, des pratiques, de certaines doctrines. Pas toujours au sujet des valeurs chrétiennes. Plusieurs personnes les ont conservées, même si beaucoup ont oublié que ça vient du christianisme.

C’était une époque où l’église était très engagée socialement.

Elle l’est encore mais avec des moyens beaucoup plus modestes. L’Église a construit un système d’éducation parce que l’État ne s’en occupait pas. Avec les communautés religieuses – surtout féminines – elle a construit un système hospitalier et des services sociaux. L’Église a fait des alliances politiques, entre autres parce qu’elle avait besoin de subventions pour construire ou agrandir des hôpitaux. Mais la première alliance qui a eu lieu, c’était une alliance sociale avec le peuple et c’était pour donner des services. Ensuite il y a peut-être eu des extrêmes, des dérapages. Dans le système d’éducation il y a eu beaucoup de débats. Mais dans le milieu hospitalier, l’Église s’est retirée sans trop de batailles. Maintenant on est ailleurs.

Où, justement?

Il faut nous resituer et plus modestement, rappeler que nous sommes là, avec l’Évangile en mains et un message spirituel, une tradition de prière.

Les gens recherchent des techniques de méditation mais ça fait des millénaires que les moines catholiques méditent.

Ce n’est pas nécessaire d’aller chercher dans le bouddhisme. C’est une expérience que l’on connaît depuis deux mille ans. Les gens pensent qu’ils connaissent le christianisme. Souvent ils n’en savent rien. Ils connaissent des anecdotes. Mais on a un trésor et c’est à nous de le faire connaître. On a des pardons à demander. Il faut être plus humbles, plus modestes, pour être en dialogue. On n’est pas là pour matraquer les gens avec des vérités ou des dogmes. On est là pour engager une conversation.

Beaucoup estiment que sans religion, ce serait la paix sur la Terre.

Ce n’est pas vrai. La religion est souvent instrumentalisée. En Syrie ou en Irak, le clivage et les distinctions entre les groupes sont fondées sur des bases religieuses – les sunnites, les chiites, les chrétiens, etc – mais M. Assad s’en fout. Vladimir Poutine aussi. Ce qu’ils veulent, c’est le pétrole et le pouvoir.

Daesh et les islamistes jouent à fond la carte religieuse mais ce sont des ignorants. Ils se servent de slogans, d’interprétations erronées de leur propre religion, pour endoctriner des jeunes qui sont eux-mêmes dans un profond désarroi. Ce sont souvent des enfants d’immigrants de banlieues, qui sont au chômage, qui n’ont pas d’avenir et qui se laissent embrigader parce qu’on leur fait miroiter une mort héroïque et 70 vierges à leur disposition au ciel.

L’humanité est très bien capable de se déchirer sans la religion. Je ne nierai pas qu’il y a eu et qu’il y a encore des guerres de religion. On en a connu en Irlande. C’est à peine terminé. Mais il y a souvent des bases socioéconomiques et politiques à ça. En Irlande, il faut bien voir que les catholiques étaient pauvres et les protestants riches.

Le clivage est souvent religieux mais la base du conflit est politique.

Selon vous, peut-on vivre sans spiritualité?

Il y a des gens sans religion. Il y a des agnostiques, qui disent : « Je ne peux pas dire que je crois en Dieu, je ne peux pas dire que je n’y crois pas. » Et il y a des gens qui s’affichent athées. Ils refusent qu’il y ait un Dieu. Ils vont jusqu’à réclamer que tous les signes religieux disparaissent de la société. Ils exigent une laïcité totale.

Cela fait débat au Québec et ailleurs dans le monde.

On n’est pas obligés de manger des mets kasher. Personnellement, ça ne me dérange pas. Il y a même du bon dans le fait d’avoir de la diversité culturelle et de la diversité religieuse. En autant qu’on ne cherche pas à imposer nos règles aux autres.

N’est-ce pas le rôle des religieux que de rechercher le consensus?

On ne gère pas les lois mais on a des rencontres et des prières en commun. Le Pape réunit régulièrement les chefs d’autres religions qui veulent bien participer. Il y a des dialogues interreligieux. Ça se passe à Rome ou dans d’autres grandes villes du monde. J’ai participé à une entrevue télévisée avec un imam d’une mosquée de Québec et on partageait les mêmes points de vue. On n’était pas en guerre. On se respectait l’un l’autre. Il faut accepter que nous sommes différents. On a tous la même humanité, mais on n’a pas les mêmes traditions.

Que pensez-vous du débat sur les signes religieux?

Je trouve cela un peu ridicule. Le sapin de Noël n’est pas en soi un objet religieux. Il y a une dimension culturelle à cela.

On n’a pas à nier notre culture parce qu’on accueille des immigrants.

Si vous immigriez en Arabie Saoudite, il faudrait que vous acceptiez la culture du pays. On souhaite que ces peuples-là soient plus ouverts et qu’ils acceptent davantage qu’il y ait des chrétiens. On les autorise à construire des mosquées. Il y a des églises dans des pays musulmans mais on aimerait que certains pays soient davantage ouverts pour que les chrétiens puissent manifester leur existence.

Dans bien des pays, les chrétiens ont la vie difficile.

C’est à cause des guerres civiles. Ils sont les premiers touchés. J’ai rencontré des familles de Syrie et d’Irak qui ont dû fuir sinon ils devaient se convertir à l’islam. Les extrémistes musulmans et les fanatiques islamistes leur donne douze heures pour quitter leur maison autrement, ils sont massacrés.

Les chrétiens sont persécutés. On en parle moins mais plusieurs ont été assassinés à cause de leur foi.

Parlez-nous de la théologie de la libération, qui vous est chère.

La théologie est née en Amérique du Sud dans des communautés très pauvres de paysans indigènes dans les années 50-60, au moment où le renouveau de l’Église se développait. C’est une théologie qui comporte des éléments sociopolitiques, mais qui est fondée sur la création de communautés de chrétiens rassemblés pour lire la parole de Dieu, célébrer le Seigneur et se libérer de leur situation. Les gens étaient appelés à se prendre en mains. Beaucoup de coopératives sont nées comme ça. Elle a davantage été formulée début 70, notamment par le théologien Gustavo Gutierrez, avec qui j’ai eu la chance de faire une session de deux semaines. Il y a eu des actions concrètes, mais également des actions de contestation contre des propriétaires terriens qui exploitaient les fermiers. Il y a eu des actes violents et une certaine tentation de regarder du côté du marxisme, de la lutte des classes, mais en général, cela a été un facteur de rapprochement de l’Église avec le peuple. Des prêtres et missionnaires ont travaillé à appuyer ce mouvement-là. Mgr Oscar Romero au San Salvador a été assassiné du côté des pauvres.

Parlez-nous du thème de l’abandon, si important dans votre vie.

Nous sommes actuellement dans une situation qui ne semble pas reluisante. Nous sommes encore plusieurs dizaines de milliers de chrétiens au Québec.

Il y a plus ou moins un million de baptisés. Peut-être 4 à 5 % d’entre eux pratiquent leur religion.

Et il y a beaucoup de gens qui, même s’ils ne viennent pas à l’église le dimanche, prient et croient en l’Évangile. L’abandon, c’est de faire ce qu’on a à faire et dire à Dieu : « Fais de moi ce que tu veux. Le reste est entre tes mains. » Ce n’est pas uniquement de l’optimisme, c’est de l’espérance.

Que souhaitez pour 2017?

Pour une paix durable, il faut souhaiter le dialogue. La Russie tire de son côté, les Américains tirent de l’autre. Ce sont des grands jeux politiques. On le voit en Israël et en Palestine. Les gens sont dans une situation très conflictuelle mais il y a de plus en plus de mariages interreligieux. Il y a des gens qui sont amis et font des choses ensemble. C’est la seule façon de s’en sortir.

Quand ça fait 20 ans, 30 ans, 50 ans qu’on est en conflit, il n’y a pas d’autre chemin que le pardon.

Et cela est au cœur du christianisme. On entend des choses comme : « Vous les catholiques, vous êtes trop généreux, trop mous. » On n’est pas trop mous. Ce n’est pas nous qui décidons qui est bon ou mauvais. Il faut plutôt manifester la miséricorde, le pardon et favoriser le dialogue, l’écoute des uns des autres. Dans nos petits villages aussi, il faut chercher à se redécouvrir, écouter à nouveau le point de vue de l’autre. Il n’y a pas de truc autre que ce truc profondément humain : la fraternité.