Fondée il y a cinq ans pour œuvrer à la réduction des gaz à effet de serre (GES) au Québec, la Coop Carbone pourra dorénavant bénéficier d’un crédit rotatif de 2,5 millions de dollars et du premier fonds par contrat carbone à être créé au Québec. Une première en Amérique du Nord.

Du pet de vache aux cheminées d’usine, les gaz à effet de serre nous polluent l’existence depuis des décennies. Mis en force au Québec le 1er janvier 2013, le marché du carbone touche les grands émetteurs (25 000 tonnes de gaz à effet de serre et plus par an) : Hydro-Québec, papetières, alumineries, raffineries, usines de pétrochimie, chaux (ciment), (métaux), sont contraints d’y adhérer.

Depuis l’an dernier, les importateurs et distributeurs de carburant ou combustibles liés aux transports et au secteur du bâtiment doivent également s’y soumettre. Ainsi, ceux qui contribuent à augmenter les gaz à effet de serre achètent et revendent des « droits de polluer » à l’occasion d’une vente aux enchères trimestrielle. Ce système, bien qu’imparfait permet au gouvernement de diminuer d’année en année le plafond d’émission de GES et d’améliorer ainsi son bilan carbone.

Une norme qui s’impose

Le Québec et la Californie signaient, en octobre 2013, un accord dans le but d’harmoniser et intégrer leur système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions en matière de GES. L’Ontario a depuis annoncé son intérêt à établir un système semblable dès 2017 dans le cadre de la Western Climate Initiative.

Au cours d’une mission tenue l’automne dernier au sud de la frontière états-unienne, le premier ministre Couillard soulignait que le succès du marché du carbone Québec-Californie « favorise le développement d’un marché élargi englobant de nouveaux acteurs, dont le Mexique ». Au début du mois, son homologue Justin Trudeau a annoncé que toutes les provinces devront avoir fixé un prix sur le carbone dès 2018.

Passer du gris au vert

Les nouvelles contraintes environnementales imposées par le gouvernement forcent plus que jamais les pollueurs à modifier leurs pratiques. Peu à peu, le bâton fait place à la carotte.

Pour la Coop Carbone, mettre un prix sur les émissions de GES est un élément clé à qui veut s’attaquer avec succès aux gaz à effet de serre. Seule entreprise collective à pouvoir transiger sur le marché du carbone Québec-Californie, l’organisme facilite le virage vert en matière de chauffage et de transports en achetant, de manière groupée, des crédits compensatoires pour les revendre aux grands émetteurs et en aidant ses membres et partenaires à « verdir » leurs pratiques.

Par exemple, en valorisant la matière récoltée, des producteurs de déchets permettent à d’autres entreprises de délaisser le gaz naturel au profit du biométhane, une énergie 100 % renouvelable. Cette ressource peut également réduire considérablement et de façon rentable, les émissions polluantes de certains véhicules. À ce titre, la coop prépare un programme destiné à ses membres gestionnaires de parcs petits camions. L’électri-fication via le regroupement d’achats et l’optimisation des infrastructures de recharge de véhicules est également envisagée.

Dans les régions forestières, ce sont les résidus de bois qui peuvent à profit alimenter les fournaises. En plus de valoriser une matière autrefois délaissée, les papetières peuvent réduire leur empreinte écologique et créer de nouveaux emplois dans des villages où le chômage constitue une plaie.

À l’instar de la géothermie, les réseaux de chaleur, mieux connus en Europe, constituent également une voie des plus prometteuses quand il s’agit notamment d’ériger des quartiers neufs en milieu urbain ou semi-urbain. En France, plus de 500 réseaux semblables sont actuellement déployés, ce qui constitue environ 6 % de la production nationale de chauffage.

Au début du mois, la coop s’est associée à la MRC des Maskoutains pour lancer le projet-pilote Agro Carbone. L’exercice vise à identifier et à structurer des projets de réduction des gaz à effet de serre rentables pour les intervenants de la filière laitière.

Un bien intangible, des résultats palpables

Dans un mémoire présenté l’an dernier, la Coop Carbone soulignait le caractère distinctif du Québec. « Chez nous les émissions de GES sont concentrées dans des secteurs d’activités où les émetteurs sont petits et plus difficiles à mobiliserIl n’y a qu’à penser au fait que la ferme laitière moyenne au Québec comporte 90 vaches alors que l’entreprise type en Californie en compte 900. (…) Cette conjoncture unique rend plus difficile la réduction des émissions sur une base individuelle, mais présente en même temps une opportunité pour la mise en place de mécanismes innovants de coopération pour la réduction des émissions.»

Dans son document, la coopérative soulignait que le secteur financier québécois est peu outillé pour financer des projets de réduction de GES. C’est maintenant chose faite. Grâce à une garantie offerte par Fondaction, la Coop Carbone jouit désormais d’un crédit rotatif de 2,5 millions $ mis en place par la Caisse d’économie solidaire Desjardins. Ainsi, la coop pourra acheter des crédits compensatoires à des moments stratégiques et les revendre aux grands émetteurs de GES, ce qui rend son offre beaucoup plus compétitive.

C’est la première fois en Amérique du Nord que les crédits compensatoires sont reconnus comme actif financier. « Les banquiers traditionnels savent quoi faire avec un inventaire de souliers, mais peu osent s’aventurer dans le marché du carbone », illustre Geneviève Morin, chef de l’investissement chez Fondaction CSN. Même si plusieurs observateurs trouvent la démarche audacieuse, Mme Morin est fière de ce nouveau levier. « On pense que d’autres voudront imiter la recette du colonel », illustre-t-elle.

À l’occasion de la COP22 à Marrakech, les deux partenaires lançaient un fonds de 20 M$ pour stimuler les projets qui s’attaquent la réduction de GES en contrepartie de crédits compensatoires qui seront générés. Fondaction et la Coop Carbone seront actionnaires à 50 % chacun de cette nouvelle entité.

Mme Morin témoigne de l’intérêt grandissant de la demande envers des produits financiers qui correspondent aux valeurs des investisseurs. « Le défaut, c’est qu’il y en a qui font du branding et s’autoproclament éthiques. Nous ça fait partie de notre ADN. J’espère que d’ici 5 ans, on pourra noter une véritable baisse des émissions

« L’émergence d’une économie verte et du marché du carbone implique des solutions et des approches nouvelles. Si on peut donner de l’avantage aux entreprises pour qu’elles modifientleurs équipements et puissent revendre les crédits qu’elles auront accumulés, ça va aider à multiplier les projets du genre», renchérit Marc Picard, directeur général de la Caisse d’économie solidaire Desjardins.

« Ce crédit rotatif est un des éléments qui nous permettra de passer à l’étape suivante de notre développement et intensifier notre implication pour soutenir des projets de réduction de GES », souligne Jean Nolet, directeur général de la Coop Carbone.

Gaz Métro vient de conclure des ententes de plusieurs années avec WSP Canada Inc. en vue d’acheter les crédits compensatoires générés par des réductions d’émissions de gaz à effet de serre issus des réseaux de captage et de destruction de biogaz exploités sur les sites d’enfouissement de l’entreprise situés à Mont-LaurierSaint-Raymond, Rivière-Rouge et Saint-Flavien.  La technologie utilisée permettra à terme une réduction des émissions de GES équivalente à près de 140 000 tonnes métriques en équivalent CO2.

Une transition facilitée

« Tous les acteurs ont une idée des coûts à prévoir à moyen terme, et ils savent que la transition se fera en douceur et qu’il sera avantageux pour eux d’investir dans des modes de consommation et de production moins polluants », soutient Christopher Barrington-Leigh, économiste à l’École d’environnement de l’Université McGill.

Dans une étude révélée en janvier dernier, une équipe de chercheurs qu’il dirigeait concluaient que le marché du carbone québécois est peu coûteux. Toutefois, « le Québec pourrait compenser en accordant des subventions plus élevées ou des remises pour efficacité énergétique » afin de soutenir les familles à faible revenu appelées à absorber la hausse des prix du carburant. Pour l’heure, le prix de vente des unités de gaz à effet de serre tourne autour de 16,50 $ la tonne. Les retombées à la pompe sont d’un peu plus de trois cents le litre.

« La coopération est une force historique du Québec, il ne tient qu’à nous de la mettre à profit dans ce qui s’annonce comme l’axe central du développement économique de la prochaine décennie, la lutte aux changements climatiques. » insistent les instigateurs de la Coop Carbone.

Mise sur pied par Fondaction CSN, le Mouvement Desjardins, La Coop fédérée, le Centre d’excellence en efficacité énergétique et l’Association québécoise pour la maîtrise de l’énergie (AQME), la Coop Carbone a fait l’acquisition en septembre 2014 de ÉcoRessources, firme de consultants spécialisée sur les marchés du carbone en Amérique du Nord et à l’International.