On estime que plus d’un quart de million de Canadiens vivent dans des coopératives d’habitation, dont près de 60 000 au Québec. Mais aujourd’hui, avec la fin des ententes de financement avec l’État, ces coops sont à un tournant critique. Qu’adviendra-t-il de ces logements sociaux? Entrevue avec André Fortin, directeur des comptes et conseiller stratégique en habitation à la Caisse d’économie solidaire Desjardins. 

Les coopératives d’habitation à propriété collective, à but non lucratif et entièrement administrées par leurs membres, ont connu leur âge d’or entre 1979 et 1986 au Québec. Pour se financer, elles ont alors signé, pour la plupart, des accords d’exploitation avec la Société d’habitation du Québec (SHQ) ou avec la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), en grande partie pour une durée de 35 ans. Calcul rapide: depuis 2014 jusqu’en 2021, ces conventions viendront toutes à échéance. Mais le pic est prévu entre 2017 et 2018, alors que plus de la moitié des quelque 1300 coopératives d’habitation au Québec perdront leur partenaire financier.

J.T. : La fin des conventions semble une épée de Damoclès qui pèse sur les coopératives d’habitation aujourd’hui. De quoi s’agit-il concrètement?

A.F. : Les loyers des coops sont entre 30 et 35% plus bas que le marché. À Montréal par exemple, un 4 1/2 à 750$ revient à environ 500 dollars. La SCHL donne une subvention à la coop pour permettre à des ménages de payer en fonction de leurs revenus. Si le loyer est de 800$, et que tu es seulement capable de payer 400$, tu vas recevoir cette aide. Grosso modo, à peu près 25% des ménages dans les coops reçoivent cette aide. Avec la fin des conventions donc, les coopératives ne seront plus capables d’exercer une partie de leur fonction sociale, parce que les conventions publiques qui leur permettaient de le faire vont s’éteindre. On va recréer dans le fond le problème social qu’on a essayé de régler en logeant ces ménages à faible revenu. Donc, c’est un vrai drame. Et c’est ça l’enjeu actuel, mais ce n’est pas le seul!

J.T. : C’est-à-dire? 

A.F. : Près de 45 000 logements sociaux et communautaires au Québec, des OBNL en habitation, ont les mêmes subventions que les coopératives. Elles vont aussi avoir un problème à maintenir de l’aide aux ménages pauvres dans le cadre de la fin des conventions.

J.T. :  Phyllis Lambert, directrice fondatrice émérite du Centre canadien d’architecture, a écrit dans une lettre d’opinion dans Le Devoir en décembre 2014 que « les membres des coopératives et des OBNL en habitation ont consacré d’énormes efforts pour ériger un parc de logements sociaux, qui fait l’admiration de nombreux pays. Il serait déplorable que ce dernier soit appelé à disparaître d’ici quelques années à peine. » Comment réagissez-vous à ça?

A.F. : C’est vrai! Mais ils ne disparaitront pas. Au Québec, on est vraiment bien organisés, contrairement aux autres provinces canadiennes, car notre loi sur les coopératives, notre code civil, protègent le patrimoine coopératif totalement. La loi sur les coops dit que la réserve est impartageable entre les membres, et que toute vente de coopératives à des fins d’intérêts privés est interdite. Elle nécessite d’abord l’accord du ministre qui, lui, doit ensuite consulter la Confédération québécoise des coopératives d’habitation, la CQCH. Donc, autrement dit, tu ne peux pas vendre une coop. C’est une espèce de bien collectif éternel. Nonobstant la fin des conventions. Les cas de coops qui ont fait faillite, il y en a très peu.

J.T. : La Fédération de l’habitation coopérative du Canada exhorte le fédéral à maintenir son financement, et propose qu’Ottawa partage avec les gouvernements provinciaux et territoriaux les coûts pour l’aide aux résidants à faible revenu. Plus de 280 coopératives, municipalités et autres intervenants préconisent aussi cette solution. Êtes-vous de cet avis? 

A.F. : Oui. La position officielle et toute logique, puisqu’il s’agit de ménages à faible revenu, est de trouver une aide publique (provinciale ou fédérale) pour remplacer l’aide obtenue dans le cadre des conventions. Quelques coops ont développé des « aides internes », mais c’est exceptionnel. La plupart, pour répondre aux besoins de rénovations après 35 ans, doivent tellement emprunter qu’elles n’y parviennent pas.

En bref 

  • Il existe environ 1 300 coopératives d’habitation au Québec, offrant près de 30 000 logements abordables dans lesquels vivent quelque 60 000 personnes, selon des chiffres de la CQCH.
  • Le parc immobilier coopératif québécois représente un actif immobilier collectif de 1,5 milliard de dollars.
  • Près de 40% des coops d’habitation au Québec, soit environ 450, font affaire chez la Caisse d’économie solidaire Desjardins.

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Par Julie Turgeon