Le gouvernement Couillard semble résolu à faire adopter le projet de loi 106 malgré l’hostilité flagrante de la population vis-à-vis des hydrocarbures. Autopsie d’une catastrophe annoncée.

Le 4 novembre dernier, le Front commun pour la transition énergétique, qui réunit à lui seul une soixantaine d’organisations non gouvernementales, groupes citoyens et autres organisations de la société civile, a organisé une manifestation soulignant le passage du ministre de l’Énergie et des Ressources naturelles à Drummondville. Pierre Arcand venait rencontrer la communauté d’affaires pour vanter une fois de plus son projet de loi sur les hydrocarbures.

Le comité d’accueil qui lui était réservé martèle depuis des mois un seul et même message : non à l’expropriation pour satisfaire les sociétés gazières et pétrolières, non à la fracturation hydraulique et autres procédés non-conventionnels d’extraction des hydrocarbures, non à l’idée que les municipalités locales et régionales perdent leurs compétences sur l’eau potable et l’aménagement de leurs territoires.

« J’ai lu des milliers de loi dans ma vie mais une loi comme celle-là, j’en ai jamais vu, a lancé le juriste et sociologue Richard E. Langelier, qui a épluché page à page le document dans une présentation Youtube. Il y a au moins une centaine d’endroits où on nous dit que les choses vont être fixées par règlement ou par décret. »

En réponse aux manifestants, le ministre Arcand a déclaré, sur les ondes de TVA : « Je respecte les opinions qui sont contraires aux nôtres mais il faut être réalistes. »

Un plan tracé d’avance

« Ce n’est plus un gouvernement, c’est le conseil d’administration des compagnies gazières et pétrolières », s’insurge Richard E. Langelier dans sa vidéo.

« Derrière tout cela, il y a un projet de transformer le Québec en pétro-économie sinon en pétro-société, avec toutes les conséquences qui en découlent. Jamais le plan d’ensemble n’a été mis devant la population pour qu’il y ait un véritable débat démocratique

Avec l’arrivée de Donald Trump aux commandes des États-Unis, Carole Dupuis, coordonnatrice générale et porte-parole du Regroupement vigilance hydrocarbures Québec (RVHQ), entrevoit une « lame de fond monumentale du point de vue environnemental ». « Je pense que  nous sommes à un point de bascule. La population fait des efforts en prônant l’achat local, en rationalisant les déplacements et le covoiturage mais il faut des signaux forts de la part des gouvernements. Quand on voit qu’à Ottawa, Trudeau nomme trois personnes de l’industrie sur cinq membres d’un comité créé pour réformer l’Office national de l’énergie, ce n’est pas très réjouissant. »

Une levée de boucliers

Bien que le projet de loi 106  ait été présenté alors que tous songeaient aux vacances proches, la réplique ne s’est pas fait attendre. Outré, Francis Saint-Pierre, préfet de la MRC Rimouski-Neigette, a qualifié le processus de consultation « d’antidémocratique ».

Dans un mémoire déposé en août, l’Union des municipalités du Québec (UMQ) recommandait d’ajouter le concept d’acceptabilité sociale parmi les critères menant à l’exploration ou l’exploitation d’hydrocarbures. L’organisme ajoute que « la mise en œuvre de la politique énergétique et la nouvelle loi sur les hydrocarbures doivent soutenir le développement durable des régions ».

De son côté, l’Union des producteurs agricoles (UPA) a demandé en vain de soustraire la zone agricole permanente de tout projet d’hydrocarbures. La moitié de ce maigre 4 % du territoire québécois est déjà lourdement hypothéquée par l’étalement urbain, les routes, aqueducs, et autres besoins du genre, fait valoir l’organisme.

Début octobre, au terme du 75e Congrès de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), les membres ont réclamé à l’unanimité un moratoire de cinq ans sur la fracturation hydraulique au Québec. La FQM déplore que la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme donne la priorité aux permis minier, gazier et pétrolier sur les schémas d’aménagement des MRC, de même que sur les règlements de zonage et de lotissement des municipalités.

Un sondage rendu public lors de la 8e conférence annuelle de l’Association pétrolière et gazière du Québec, indique que 88 % des répondants sont en désaccord avec la vente de licences qui donnent aux pétrolières et gazières un droit d’accès aux propriétés des Québécois. Près des deux tiers des adultes (65 %) sont contre l’extraction de pétrole et de gaz au Québec.

Pour l’heure, près de 56 000 km², soit l’équivalent de 51 % du Québec habité, est déjà sous licence, rappelle le RVHQ. Les permis autorisés sont « presque tous situés dans zones très peuplées et où le potentiel en hydrocarbures serait surtout du gaz de schiste », indique Le Devoir.

« Avec toutes les études sur la santé physique, psychologique et sociale et les consultations qu’il y a eu, le gouvernement devrait arriver à la conclusion que ce n’est pas une filière qui tient la route mais il ne lâchera pas le morceau », craint Carole Dupuis.

La porte-parole du RVHQ lance un cri du coeur: « Les gens ne sont pas assez alertés ». Mme Dupuis est d’autant plus inquiète que le ministre Arcand a promis de faire adopter son projet avant Noël.

Pourquoi s’opposer?

Le projet de loi compte deux volets. Greenpeace parle d’un cheval de Troie pour les combustibles fossiles au Québec. Nombreux sont ceux qui demandent à ce qu’il soit scindé puisqu’il prône une chose et son contraire: la transition énergétique et le développement des hydrocarbures.

Gazières et pétrolières auront le feu vert pour extraire toute l’eau nécessaire à leurs exploitations puisque la Loi sur les hydrocarbures aura préséance sur les schémas d’aménagement des MRC ou les règlements de zonage et de lotissement des municipalités. Comme sur l’Ile d’Anticosti, le pire est à craindre; la fracturation hydraulique nécessite jusqu’à 15 millions de litre d’eau par puits.

« Dans certains puits d’eau potable à Gaspé, on commence à voir apparaître des substances inquiétantes. L’expérience américaine a démontré que souvent, ce sont les produits chimiques utilisés qui remontent à la surface », soutient M. Langelier.

Les forages pourraient se faire à partir de la terre ferme en s’étendant sous la Baie de Gaspé et sous la Baie des chaleurs, avec les conséquences pouvant en découler pour la pêche et les ressources récréotouristiques.

Les périodes d’essais exploratoires passent de 30 jours à 9 mois. Durant cette période, aucune redevance ne sera exigée.

« On ne sait rien du montant que les sociétés pétrolières et gazières auront à nous verser collectivement pour exploiter notre sous-sol. C’est un recul sur la Loi sur les mines.»

Autre faille. Le projet de loi prévoit la mise en place d’un comité de suivi établi « selon un processus par le titulaire de la licence ». À Gaspé, devant l’impossibilité d’obtenir des informations de la part de l’exploitant, plusieurs membres auraient démissionné.

Désormais, les projets-pilote pourront être mis en branle sans certificat d’autorisation de la part du ministère de l’Environnement. Cette nouvelle disposition en effraie plus d’un; des forages exploratoires pourraient être considérés comme tels.

Autre détail important, d’anciens puits ou des réservoirs souterrains pourraient recevoir des eaux de rejet contaminées, comme c’est le cas aux États-Unis, où des nappes phréatiques sont polluées par l’extraction des gaz non-conventionnels.

Bien qu’elles soient incapables de les enrayer, certaines de nos usines de traitement d’eaux usées auraient reçu de tels rejets entre 2008 et 2012.

En Oklahoma, les tremblements de terre se sont multipliés suite aux forages hydrauliques.

Complaisance envers les industries

Le lexique du projet soulève aussi des questions. Ainsi, le ministre va « convenir » avec les promoteurs de conditions « compatibles » avec la loi au lieu d’imposer des critères qui soient conformes, ce qui est nettement moins contraignant pour l’exploitant.

Aucune limite de délai n’a été fixée en ce qui a trait à la réhabilitation des sites et aucun fonds commun n’est prévu pour pallier la situation, comme c’est le cas en Alberta.

En matière d’accès à l’information, les exploitants pourraient s’objecter à divulguer des documents. À Anticosti, les noms des deux experts qui ont accordé le certificat d’autorisation pour les forages ont été caviardés.

Des années de lutte

De 2008 à 2012, quelque 31 puits de gaz de schiste ont été forés au Québec. « Nous sommes le premier groupe à s’être prononcé contre les gaz de schiste en 2008, confie André Bélisle, président de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique. Sur les 31 puits, beaucoup fuyaient. Le ministre Arcand nous a donné raison : 19 fuyaient. Sur la centaine examinée l’an passé, une trentaine montre des signes de fuite. Partout en Amérique du Nord, des puits fuient.»

Dès 2010, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE) se penchait sur la question. Une croisade en faveur d’un moratoire sur les gaz de schiste s’orchestre avec le metteur en scène Dominic Champagne et une pléiade d’artistes québécois pour aboutir au dépôt d’une pétition de 128 000 signatures à l’Assemblée nationale. Parallèlement, l’opération « Vous n’entrerez pas chez nous », mise en place en 2012 par le Regroupement interrégional gaz de schiste de la Vallée du St-Laurent, a encouragé la mobilisation de milliers de citoyens, alors que les manifestations se sont multipliées dans la province.

Six ans plus tard, le projet de loi 106 balaie toute opposition en consacrant le droit aux exploitants d’entrer où bon leur semble.

Si une exploitation a lieu, l’expropriation pourra être envisagée. Les municipalités touchées seront avisées 30 jours avant le début des travaux.

Consacré Artiste de la Paix en 2011 pour sa lutte dans le dossier, M. Champagne avait manifesté son inquiétude lors des audiences publiques de 2014, alors qu’il anticipait un retour de l’industrie gazière en terre québécoise. Le temps semble lui donner raison, bien qu’au terme de l’exercice, le BAPE n’y voyait pas d’avantages.

L’an dernier, l’artiste devenu activiste a lancé le manifeste pour un élan global, aux côtés de Roméo Bouchard et de quelques 200 personnalités québécoises. Le mouvement réclame la fin des projets d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures ainsi que tout passage de pétrole à des fins d’exportation en sol québécois, et en appelle à un plan pour réduire notre consommation de pétrole de moitié d’ici 2030, dans l’espoir d’atteindre la neutralité carbone en 2050. On se souviendra de la vive réaction de Françoise Bertrand, pdg de la Fédération québécoise des chambres de commerce, qui a qualifié ses signataires de «poètes qui ont une vue très romantique de la nature». Gabriel-Nadeau Dubois, qui figure parmi eux, a aussitôt répliqué en rappelant que « le même dollar est sept fois plus producteur d’emplois lorsqu’il est investi dans les énergies propres » et que « partout à travers le monde, de nombreux pays développés sont déjà en train d’enclencher une transition énergétique. »

Il existe actuellement quelque 600 puits dont la localisation demeure incertaine. « Le dossier des puits inactifs est un bon exemple de l’incohérence libérale, a clamé la député solidaire Manon Massé en conférence de presse. Si le gouvernement ne peut pas s’assurer que les anciens puits sont correctement colmatés et n’émettent plus de GES, il ne peut pas en permettre de nouveaux. »