Vendredi dernier, à l’instar de Jacques Parizeau, Bernard Landry, Jean Duceppe, Fred Pellerin et du Dr Gilles Julien, le président d’Impératif français, Jean-Paul Perreault, en poste depuis trois décennies, a reçu la prestigieuse médaille Bene Merenti de Patria. Cet honneur accordé par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal fait de lui le Patriote de l’année. Rencontre avec «l’un des plus éminents gardiens de notre destinée collective».

 

La Société St-Jean-Baptiste vient de nous nommer Patriote de l’année. Qu’est-ce que cela représente pour vous?

La promotion de la langue française, c’est la promotion de notre moi collectif. De voir qu’on prend le temps de féliciter un organisme comme Impératif français, c’est très valorisant.

Mais le patriote en question, c’est Jean-Paul Perreault.

Oui, mais chaque personne doit avoir le goût de faire avancer son identité, sa langue et son appartenance au Québec à un grand ensemble linguistique international qu’on appelle francophonie et Impératif français, c’est un peu tout le monde. On doit s’assurer qu’au Québec, tout se passe en français. Que les nouveaux arrivants et les anglophones réalisent que pour avoir une qualité de vie et pour travailler, il faut parler français. Il n’y a pas d’excuse. Des cours sont donnés partout.

Comment le Mouvement Impératif français est-il né?

Impératif français est né de la colère d’une mère de famille qui en avait assez de voir que les siens éprouvaient des difficultés à vivre, à travailler et à se divertir en français. Le Mouvement provient de l’Outaouais, où les droits linguistiques étaient totalement écrasés. Il y a des régions comme ça. Tout le Grand Montréal, incluant la rive Nord et la rive Sud du St-Laurent, le Grand Outaouais, l’Estrie et la frontière américaine, connaissent ce type de réalité. Une cinquantaine de personnes a répondu au cri du cœur de Lyse Daniels. Le Mouvement est aujourd’hui connu internationalement.

Impératif français participe à sa façon à la promotion de la démocratie culturelle dans le monde.

Voulez-vous élaborer?

Nous travaillons à l’avancement de la francophonie en mettant de l’avant notre vision du monde. Ça contribue à la diversité et la démocratie culturelle et ça fait contrepoids à l’américanisation planétaire.

Le Québec, dans l’ensemble de l’Amérique et à l’échelle planétaire, doit avoir le goût de bâtir quelque chose d’unique. Cela représente pour tous un défi incroyable.

Nous sommes une des sociétés les plus évoluées dans le monde. On a beaucoup à offrir et on peut offrir encore davantage. Il suffit de mettre l’épaule à la roue, de créer, diffuser, encourager nos artistes, voir à obtenir davantage de diplômés dans nos universités et nos collèges, davantage de médias qui diffusent à l’international, d’avoir des entreprises qui rayonnent, de voir flotter un peu partout à la grandeur de la planète le drapeau du Québec et de voir des Québécois à l’étranger fiers d’afficher leur identité. En parlant français, notamment.

Que pensez-vous du joual?

La francophonie est présente sur les cinq continents. Et la langue française est riche de ses nombreux accents. Au Québec, il y en a plusieurs et nous devons être très fiers de leur beauté.

En plus de promouvoir la langue, Impératif français n’hésite pas à dénoncer les dérives.

À l’échelle mondiale mais encore plus au Québec, on a mis en place des mécanismes qui nous amènent à vivre des choses que l’on ne réalise même plus tellement c’est sournois.

Quand vous téléphonez pour joindre le service d’un établissement, avant même d’avoir entendu entièrement le message en français, on vous dit: « If you want to hear this message in english, press 9 ». Où offrirait-on, ailleurs dans le monde, quelque chose du genre?

Il faut vraiment avoir réussi à implanter une colonisation des cerveaux pour que des pratiques aussi dévalorisantes et affaiblissantes pour notre identité et pour la vitalité du Québec et de la langue française soient en place.

On se trouve à dire à l’anglophone : « Tu es un citoyen tellement important qu’on ne veut pas t’imposer la langue du peuple. Accède tout de suite à ton message. » Ensuite, on dit au francophone : «  Toi – on te l’a dit à l’oreille d’une façon subliminale – tu es un citoyen de dernier ordre. Tu passes après. »

L’immigrant anglophone ou allophone qui vit au Québec comprend qu’on lui offre l’accès à l’anglais dès le départ. C’est une pratique dégueulasse. Quand on parle de ça, les gens tentent de justifier : « Oui mais… » Il n’y a pas de « mais ».

Parlez-nous du concept de « l’anglais, langue universelle ».

Quiconque répète une chose comme celle-là travaille à son affaiblissement et à l’affaiblissement de la démocratie culturelle. C’est une vision des grandes entreprises. Ça leur permet de faire de l’argent en « défrancisant » l’humanité, en la « désespagnolisant », en la « déportugaisant »…

On veut mettre un modèle plus fort pour écraser et banaliser les autres. En faire des larves, des deuxièmes langues. C’est une forme de guerre de velours. Plus une langue avance, plus les autres reculent. Ça enrichit l’anglosphère.

Ce qui est universel, ce n’est pas l’anglais, c’est la diversité des langues et des cultures.

Qu’est-ce qui fait que Jean-Paul Perreault est devenu viscéralement amoureux de la langue française?

Je dirais que c’est le sentiment d’injustice. De voir qu’on nous lave et qu’on se lave le cerveau avec la promotion de la culture américaine. On vient de sortir des élections aux États-Unis. Qui a le goût de développer ce modèle de société-là? Cela devrait nous donner l’envie de faire avancer la francophonie au Québec, d’offrir à l’humanité notre langue, l’égalité entre hommes et femmes, la démocratie. Faire avancer les grandes valeurs et notre vision à l’échelle planétaire pour tenter de faire cesser ce nivellement par le bas et promouvoir plus de démocratie culturelle. Il faut arrêter de rêver d’angliciser la planète.

Le 12 décembre, vous avez réagi à une nouvelle de TVA qui indiquait combien Parcs Canada massacrait le français. Pouvez-vous commenter?

Le gouvernement (fédéral) a beau prétendre à l’international que le Canada est un pays qui défend la francophonie, il se révèle être un très mauvais francophone en publiant sur ses sites Internet des versions françaises truffées de fautes. On voit bien qu’il a une piètre image de son identité francophone. C’est impardonnable. On fait appel à des logiciels de traduction et on n’encourage même pas la création en français. On coupe dans les bureaux de traduction alors qu’on devrait pouvoir gérer, créer, se développer en français. Ça fait également partie de la colonisation des cerveaux.

On veut nous faire croire que notre langue vient en deuxième. Mais notre langue n’est pas la deuxième, c’est la première et elle doit être respectée.

À la frontière de l’Ontario, c’est encore plus difficile.

La région de l’Outaouais, à 90 % francophone, s’est développée pour répondre aux besoins de l’Ontario. Le gouvernement du Québec annonce l’ouverture d’une faculté de médecine à Gatineau mais tenez-vous bien : elle va relever de l’université McGill et l’enseignement va s’y faire en anglais.

Les francophones hors Québec ont réclamé la gestion de leurs établissements dans leur langue et ils l’ont obtenu. Nous sommes majoritaires au Québec et le gouvernement vient ouvrir une faculté de médecine en anglais?

Ici comme ailleurs dans la francophonie, de plus en plus de chercheurs produisent systématiquement leurs travaux en anglais sans même les traduire. Qu’en pensez-vous?

Ça fait partie de la vision qu’on a de la mondialisation : l’anglais langue des affaires, l’anglais langue universelle… C’est une vision que l’anglosphère a avantage à mieux développer pour voir les autres ensembles linguistiques s’en servir pour affaiblir leur propre langue.

Comment se fait-il qu’on en soit rendus là? C‘est par qu’il y en a qui réussissent à faire répéter que l’anglais est une langue qui a plus de pouvoir. Plus de prestige. Qu’elle est universelle. Que c’est la langue de la publication. Qu’elle permet la mondialisation.

Ce n’est pas une vision bonne pour la diversité linguistique et le développement économique mondial mais la dynamique d’auto-effacement et d’auto-soumission au profit de l’enrichissement et du prestige de la culture américaine est tellement avancée!

Les communautés culturelles québécoises savent combien c’est facile de vivre au Québec en anglais. Comment faire pour les inciter à apprendre notre langue?

La responsabilité de l’avancement de soi appartient à chacun de nous. Au Québec, tout le monde doit parler français. C’est la langue de la cohésion sociale et du rapprochement. Assurons-nous donc de le parler en tout temps.

On a sabré dans les budgets de francisation. Est-ce que le gouvernement n’a pas un rôle à jouer pour améliorer la situation?

Oui, mais il ne le joue pas. Va-t-on abandonner notre vision parce qu’on a un gouvernement qui nous écrase? Au contraire!

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Impératif français trouve son énergie dans l’exis-tence du problème. Je ne vais pas me laisser abattre.

Le gouvernement donne des contre-messages. Lui-même pratique le bilinguisme systématique dans à peu près tous ses établissements en tolérant des pratiques comme le « Press 9 ». Il place l’anglais sur un piédestal.

Êtes-vous confiant face à l’avenir du français au Québec?

La jeunesse peut s’approprier un rêve fabuleux. Je crois que les jeunes nous ont montré dans les grandes manifestations qu’ils ont organisées récemment qu’ils sont parfaitement capables de se mobiliser. S’ils s’approprient le rêve de créer un espace qui se distingue en Amérique du Nord par ses grandes valeurs humanitaires, sociales et démocrates – et qu’ils ne s’associent pas à ces grands mouvements de violence des grandes puissances où les pauvres sont très pauvres et les riches, très riches – s’ils veulent bâtir une vision plus égalitaire, axée sur une identité qui leur est propre et de laquelle ils sont fiers, ils pourront créer au Québec un modèle que l’on pourra partager à l’échelle planétaire en exportant nos artistes, notre culture, nos entreprises et nos diplômés.