L’histoire s’est déroulée il y a plusieurs siècles. Ou plutôt, quelques années, quelques semaines. Un temps sans âge, que l’on souhaiterait lointain, mais qui colle à l’humain et lui revient sans cesse. C’était à Damas, à Beyrouth ou à Bethléem. Quelque part où la dictature sévissait, où le rugissement des bombes faisait fuir bien plus que nos deux personnages.

Narration: Simon Van Vliet
Musique : Tryo (Si la vie m’a mis là)

Marie et Joseph marchaient depuis longtemps. En levant les yeux vers la colline escarpée qu’il leur restait à gravir, Marie sembla s’affaisser. Ils avaient traversé les champs d’oliviers noircis par la guerre et parcouru de longues distances que la femme, dans son état de grossesse avancée, n’aurait jamais pensé ni voulu franchir. Il ne lui suffisait donc pas d’avoir quitté un pays sans savoir ce qu’il advenait des ses parents et amis; d’avoir enduré tous ces kilomètres à dos d’âne dans la présence douloureuse d’un enfant à venir? Il lui fallait encore entreprendre cette montée avant d’accéder à cette ville inconnue. Comme s’il avait deviné ses pensées, Joseph posa une main bienveillante sur sa femme, en ajoutant : « nous prendrons le temps qu’il faut. »

L’enfant ne fut cependant pas de cet avis et, à la douleur de l’exil, devait s’ajouter celle de l’enfantement. La montée, déjà pénible, fut entrecoupée de ces douleurs aigües que Marie ressentait pour la première fois. Ils réussirent pourtant à atteindre le sommet et à rejoindre l’hôpital, où ils apprirent que l’accès devait être monnayé par une certaine somme d’argent qu’ils ne possédaient pas. Ils rebroussèrent donc chemin, remplis à la fois de rage et de cette force incroyable qui pousse à la survie. «Allons dans l’étable », gémit Marie, presque dans un cri. «Dans l’étable?», pensa Joseph. Il savait bien de quelle étable elle parlait, car ils n’en avaient croisé qu’une. Mais pouvait-il se résoudre à y voir naître son enfant? Il n’eut pas vraiment le temps d’y penser, car tout se passa ensuite à une vitesse folle. Dès qu’ils furent à l’abri, Joseph eut à peine réuni la paille propre et éloigné les bêtes, que l’enfant était déjà né. Un garçon ou une fille? L’histoire ne le dit pas.

Au moment même où Marie enveloppait chaudement le nouveau né pour le déposer dans une mangeoire vide, un bruit vint perturber l’étable. Le fermier et sa femme, ayant entendu d’étranges cris, entrèrent à la hâte. D’abord effrayés, ils comprirent rapidement la situation et invitèrent les jeunes parents à les suivre. Leur demeure n’étant pas plus grande que l’étable, ils ne purent les accueillir comme ils l’auraient voulu, mais ils leur trouvèrent tout de même un endroit plus propice, où la chaleur et la propreté faisaient moins défaut. Ils leur donnèrent de vieux vêtements chauds, ainsi que trois fromages qu’ils avaient eux-mêmes fabriqués. Ainsi, la journée s’acheva dans un peu de douceur dont ils firent provision pour les jours à venir.