Aux États-Unis, une coalition de médias et d’écoles de journalisme vient de créer une équipe d’observateurs pour veiller au bon déroulement des élections du 8 novembre. Craint-on de la fraude? Pas tout à fait. Plutôt des dérapages qui pourraient miner le droit de vote, dans un pays qui se targue pourtant d’être la première démocratie du monde.

ElectionLand est un projet journalistique et citoyen. Des médias comme le magazine en ligne Pro Publicaspécialisé dans le journalisme d’enquête et récipiendaire de nombreux prix, le quotidien USA Today et la chaîne de télé hispanique Univision, auront des journalistes à l’affût aux quatre coins du pays, dès le début des votes par anticipation. Comme l’écrivait le 8 septembre Scott Klein, en charge des projets spéciaux chez Pro Publica : « Nous laisserons la course de chevaux aux autres [médias] et nous nous concentrerons sur les façons par lesquelles des gens peuvent être empêchés de voter. »

Par ailleurs, des citoyens sont également invités, par un formulaire en ligne, à s’inscrire comme observateurs et à rapporter tout problème dont ils seraient témoins dans leur quartier ou leur ville. Des écoles de journalisme vont également mobiliser leurs étudiants à cette fin.

Des comtés défavorisés

Mais de quels problèmes parle-t-on? Des bogues informatiques dans le traitement des inscriptions des électeurs ou de leurs votes. Des machines qui tombent en panne. Des erreurs sur les bulletins. Ou des files d’attente interminables devant un bureau de scrutin, comme celle de plus de trois heures, lors des primaires démocrates de l’Arizona le printemps dernier.

Selon une étude publiée en 2014 par l’École de droit de l’Université de New York, ces files d’attente ne sont pas réparties également à travers les États-Unis ; les comtés majoritairement noirs ou hispaniques sont plus souvent affectés.

Il faut savoir qu’aux États-Unis, il n’y a pas de Directeur général des élections ou d’organisme qui, à l’image d’Élections Canada, coordonnerait l’organisation des scrutins d’un océan à l’autre. La mécanique électorale est gérée indépendamment par chacun des 50 États, et souvent même au niveau des comtés ou des villes. Résultat? Des disparités énormes dans les moyens financiers ; le manque de bureaux de votes dans certaines régions occasionne des files d’attente, dans les façons de voter (papier, électronique ou mélange des deux) et même dans les lois : horaires pour le vote par anticipation, documents autorisés pour s’inscrire sur la liste électorale de son État, etc.

Flous juridiques et prétendues fraudes

L’inscription sur les listes électorales fait même l’objet de plusieurs batailles juridiques. Depuis les années 2000, des groupes de gauche contestent des lois qu’ils qualifient tantôt de discriminatoires. En particulier cette obligation, dans certains États, de montrer une carte d’identité avec photo, exigence qui nuirait plus souvent aux Noirs. Des groupes de droite préfèrent parler d’ingérence « inconstitutionnelle » de la part du gouvernement fédéral. En 2013,  une décision de la Cour suprême leur a donné en partie raison, en rejetant dans les limbes la Loi fédérale sur le droit de vote de 1965 (Voting Rights Act)qui avait été conçue pour pallier à la sous-représentation des Noirs parmi les électeurs. Le 31 août dernier toutefois, la Caroline du Nord s’est fait dire par la même Cour suprême que sa nouvelle loi électorale était raciste et qu’elle devait refaire ses devoirs.

Pro Publica recense plus d’une quinzaine d’États en zone grise, parce que la validité de leurs lois fait l’objet d’une contestation devant les tribunaux — comme en Virginie — ou n’a pas encore été testée devant un juge — comme au New Hampshire.

Et qu’en est-il des nombreuses fraudes électorales à l’origine de ces lois et de ces prétendus électeurs qui votaient plusieurs fois parce que rien ne permettait de les identifier? C’est un mythe. Une étude de l’Université du Wisconsin sur les élections présidentielles de 2012 n’a pas permis de trouver un seul cas d’usurpation d’identité. « L’inscription de l’électeur par une carte d’identité vise un problème qui n’existe pas », concluent les chercheurs. Une étude plus ambitieuse, portant sur les élections présidentielles et de mi-mandat de 2000 à 2014, dit avoir trouvé 31 cas « possibles » de fraudes… sur un milliard de votes.

Ce mythe a toutefois la vie dure : le mois dernier, un sondage Washington Post / ABC a conclu que près de la moitié des électeurs inscrits croient que ce type de fraude se produit « souvent » ou « très souvent ». Parmi ceux qui y croient : les deux tiers des partisans de Donald Trump et le quart de ceux de Clinton. Un éditorial du New York Times dénonçait récemment ce « succès du mythe de l’électeur frauduleux ». Succès, lit-on, parce que cette stratégie a profité aux républicains dans les élections locales. Ils ont ainsi pu justifier des lois dont l’impact pourrait être d’empêcher le vote d’électeurs qui leur sont peu favorables, soit les Noirs, les jeunes électeurs et les gens qui auraient voulu apposer un X pour la première fois de leur vie.

Le problème ne touche pas tant les présidentielles — les équipes disposent d’armées de bénévoles pour faire sortir le vote — que les scrutins locaux. C’est précisément là où les candidats progressistes, jeunes ou représentants des minorités, partent avec plusieurs longueurs de retard.