Le soleil se lève, dans le rose corail, et la lumière change de minute en minute en ce doux matin de mai. Les lilas embaument dans le jardinet miraculeusement vert après l’interminable hiver…

Je me dirige vers la vieille balançoire, mon café à la main : elle est déjà occupée. Par un gros matou de ruelle qui ne paye pas de mine. Malgré sa fourrure miteuse et son oreille amochée, il ronronne au soleil sur le banc de bois vermoulu. Outré par mon intrusion dans sa bulle, il se lève dignement et saute sur la pelouse. La queue en l’air il retourne lentement dans son royaume : la ruelle Saint-André. Le peuple des chats y règne en maître, au grand dam des rongeurs et des moineaux. Un espace autrefois réservé aux déchets et au stationnement.

Les chats y ont élu domicile tandis que, petit à petit, avec obstination, un par un, des habitants des duplex qui bordent notre rue, ont arraché l’asphalte et planté arbres et fleurs dans leurs courettes arrière.

Le dépotoir a graduellement fait place à un charmant corridor de verdure où les enfants peuvent jouer en toute tranquillité, et les chats vivre en paix.

Une paix toute relative, me direz-vous, entre les batailles de territoire et les pleurs nocturnes des chattes en quête d’amour. D’autant plus que c’est bien beau le mois de mai, ajouterez-vous le sourire en coin, mais viens donc voir dans la ruelle en février si c’est toujours le paradis des chats…

Effectivement, je me suis souvent demandé comment la survie était possible dehors en plein hiver à Montréal. Pour tout ce qui vit et grelotte en février dans nos rues grises de sloche. Pour adoucir la situation, nos ineffables autorités municipales ne sont pas en reste. Jugez-en vous-mêmes : vous en oublierez le froid.

Rien de tel qu’une juste colère attisée par la pluie de paperasse et d’amendes qui pleuvra sur vous si vous ne vous pliez pas au mode de vie décrété par nos bureaucrates.

Vous traversez à l’extérieur des passages piétons? Vous pouvez écoper d’une amende salée. Mais il n’y a même pas de passage piéton sur cette rue. Et alors? Rendez-vous au prochain coin grommellera l’agent, sa contravention à la main.

Pour éviter de dormir au froid dehors, vous vous êtes installé dans un recoin du métro. Vous venez enfin de fermer l’œil. Deux agents de sécurité vous réveillent en sursaut, vous retournent dans le congélateur, avec une amende pour flânage dans un endroit public.  Vous êtes sans-abri. Vous ne pouvez pas payer cette amende. Les agents le savent très bien, mais c’est le règlement, vous assurent-ils.  Qu’à cela ne tienne, avec les intérêts elle aura bientôt doublé.

Votre vieux chien de 11 ans, perclus de rhumatismes, marche sans laisse à vos côtés, à quelques mètres du parc à chien où vous l’emmenez ? Et en plus, il est un quart pitbull ? Sortez le porte-monnaie; vous allez y goûter.

Même les chats n’y échappent pas. Ils vivront comme l’administration municipale l’exige. Stérilisés, la médaille au cou, ils n’auront qu’à bien se tenir, et surtout pas chez le voisin.

Mais comment empêcher Mimine de passer sous la clôture chasser une souris… Mettez-la en laisse, que diable! Elle n’apprécie pas le traitement? Qui l’en blâmerait. Ses miaulements ameuteront la voisine, qui n’aura de cesse de vous dénoncer aux inspecteurs municipaux. Vous n’aurez plus qu’à lui faire couper les cordes vocales. Dégriffez-la donc, tant qu’à y être. Elle fera moins de ravages dans la maison lorsque vous l’y aurez enfermée une fois de plus en votre absence.

Consolez-vous : aujourd’hui, croulant sous les amendes, vous vous êtes dirigé, entre les cônes orange et les camions de déneigement, vers le bureau d’arrondissement. Les crampons dans les pieds, les épaules dans le cou sous le vent glacial, vous avez évité les plaques de glace traîtreusement dissimulées sous la neige tapée sur les trottoirs en pente. L’urgence pour une fracture de la hanche, ce sera pour une autre fois.

PS.  La cerise sur le sundae: hier un brave s’est rendu au métro Lionel-Groulx en ski de fond, direction travail. Devinez-quoi? Un règlement abscons interdit de transporter des skis dans le métro. Amende de $ 102. Et vive la mise en forme.