Rivière-du-Loup — À l’approche de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, le journal Ensemble a rencontré Martine Ouellet, ministre des Ressources naturelles du Québec, afin d’en savoir plus sur le projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada, devant transporter le pétrole des sables bitumineux albertains à travers le Québec. Après l’annonce de ce projet, en août, trois rencontres publiques d’information ont été organisées par des citoyen-ne-s, qui ont invité Équiterre et l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) à répondre aux questions de la population de l’Islet, de Mont-Carmel et de Témiscouata-sur-le-Lac. Quels sont les avantages pour le Québec? Comment le développement des activités pétrolières s’inscrit-il dans le contexte de transition vers l’électrification des transports et la réduction des gaz à effet de serre? — Troisième de quatre articles parus du 10 au 13 septembre.

C’est à l’occasion d’un rassemblement partisan, tenu à Rivière-du-Loup, que le journal Ensemble a pu rencontrer la ministre des Ressources naturelles du Québec, Martine Ouellet. Une brève rencontre de dix minutes a permis d’aborder les enjeux reliés aux projets d’oléoducs, mais également l’orientation du gouvernement en matière de développement des énergies fossiles.

Quels avantages pour le Québec?

Selon la ministre, le projet Oléoduc Énergie Est de TransCanada peut avoir des retombées économiques au Québec. «C’est clair qu’il y a un intérêt économique des deux raffineurs, affirme-t-elle, donc Suncor à Montréal et Ultramar à Québec. Beaucoup d’emplois, parce qu’actuellement il y a un différentiel de prix assez important entre le pétrole de l’ouest et le pétrole brut qui est acheté au Québec.» Elle affirme que dans le cas du projet d’inversion de la ligne 9B d’Enbridge, un autre oléoduc visant à acheminer le pétrole de l’Alberta vers l’est, l’ensemble du pétrole transporté serait dédié au Québec.

Une étude sur ce projet, publiée lundi par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), prétend plutôt que «si ce projet de renversement se réalise, environ 150000 des 300000 barils de pétrole que transporterait chaque jour la Ligne 9B seraient destinés aux raffineries québécoises». Enbridge poursuit aussi un projet d’oléoduc reliant Montréal à la côte Est américaine.

Les raffineries du Québec «ne peuvent pas raffiner le pétrole lourd des sables bitumineux, affirme pour sa part Steven Guilbault, directeur principal chez Équiterre, et conférencier lors des rencontres d’information sur le projet Oléoduc Énergie Est. Ils n’ont pas dit qu’ils allaient investir pour que le pétrole puisse être raffiné au Québec. Ils ont annoncé la construction d’un terminal, d’un port, à St-John, pour pouvoir exporter le pétrole.» Selon lui, la différence de prix (20 ou 30$ de moins le baril) disparaîtra quand le brut atteindra les marchés d’exportation.

Une occasion historique?

Pour atteindre ses objectifs de multiplication par trois au cours des prochaines décennies, l’industrie des sables bitumineux de l’Alberta doit pouvoir exporter. Puisque les projets d’oléoducs du côté de la Colombie britannique et des États-Unis sont bloqués, la seule issue reste de traverser le Québec. Les opposants souhaitent que le Québec bloque le projet à son tour, pour empêcher la croissance des sables bitumineux, considérés comme l’industrie la plus polluante de l’histoire (lire l’article de mardi).

Questionnée sur l’opportunité qu’aurait son gouvernement d’empêcher la multiplication par trois de l’industrie des sables bitumineux, et de ses importants impacts environnementaux, Martine Ouellet est évasive. «Du pétrole, on en consomme actuellement au Québec. On a une volonté de diminuer notre consommation de façon très importante en se donnant des objectifs de -25% en 2020. Ce sont des objectifs ambitieux, mais il va falloir se donner les moyens costauds pour les atteindre.»

EN REPRISE: Gabriel Nadeau-Dubois explique les enjeux reliés au développement des oléoducs, lors de son passage à l’Échofête de Trois-Pistoles. Le militant arrivait alors de Fort McMurray en Alberta, où il avait constaté l’étendue des sables bitumineux (article d’origine: La chute du mur de verre).
Vidéo: Nicolas Falcimaigne

Il apparaît clairement que l’orientation du gouvernement exclut le statu-quo en matière d’approvisionnement pétrolier. «On veut diminuer notre consommation, mais ça ne se fera pas du jour au lendemain. Dans cet intervalle-là, qui va quand même durer quelques années, on en consomme. Donc à ce moment-là, on a le choix ou de l’importer, avec un déficit de balance commerciale évalué à 14 milliards $, ou de l’exploiter.»

Le poids des importations pétrolières dans la balance commerciale du Québec, c’était autrefois un argument utilisé par les citoyens et les groupes en faveur du développement des alternatives, mais pas du tout pour l’exploitation du pétrole québécois. En 2011, le militant Daniel Breton (ministre de l’Environnement aux côtés de Mme Ouellet pendant l’automne 2012) l’affirmait en entrevue au journal Ensemble: «il faut s’affranchir de la dépendance aux énergies fossiles plutôt que chercher à en exploiter dans notre cour. Chaque année, de 13 à 18 milliards $ quittent le Québec en achats d’hydrocarbures. Ce déficit commercial pourrait considérablement être réduit si l’on envisageait des alternatives comme le monorail.»

À savoir si les énergies renouvelables seraient une solution pour redresser la balance commerciale, Martine Ouellet croit que «les énergies renouvelables sont un meilleur moyen. Et c’est pour ça que, au Québec, depuis plusieurs années, les choix qui ont été faits durant les années 1940, 1960, d’hydroélectricité, nous ont positionnés de façon extraordinaire. Ça c’est pour la production d’électricité. Après ça, le combustible fossile, on peut en remplacer une partie par l’électricité, on peut électrifier les transports, et ça ne se fera pas du jour au lendemain. Le combustible fossile est utilisé dans des créneaux où il y a du travail à faire pour faire un remplacement. Il y a des alternatives, tant au niveau du gaz que du pétrole, mais il faut mettre les moyens en place et ça va prendre un certain temps.»

Vers un Québec pétrolier?

Si la possibilité de continuer d’en importer de moins en moins ne semble pas être envisagée, la ministre se fait rassurante dans l’éventualité d’une exploitation du pétrole au Québec: «si on décide de l’exploiter parce qu’on pense qu’il y a un intérêt économique, il va falloir s’assurer de documenter l’ensemble de la problématique, tant au niveau environnemental que des risques, l’ensemble des moyens de mitigation, s’assurer d’avoir les plus hauts standards environnementaux, documenter les impacts sociaux, et documenter les impacts économiques aussi, pour bien s’assurer que le Québec va sortir gagnant de cette exploitation-là.»

Dans l’entourage de la ministre, on a confié que l’exemple des critères imposés par la Colombie-Britannique pour le projet Northern Gateway était sérieusement à l’étude. Martine Ouellet se fait plus prudente: «Je pense que la première étape, c’est la consultation [annoncée par le ministre de l’Environnement, sur le projet spécifique de la Ligne 9B d’Enbridge]. Ensuite, il y aura un positionnement sur l’ensemble de ces éléments-là, de la part du gouvernement.»

La ministre invite la population à participer en grand nombre à la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, «parce que le portrait énergétique du Québec, continental et international a beaucoup changé pendant les dix dernières années, et c’est important qu’on puisse en rediscuter ensemble. La commission fait le tour de toutes les régions du Québec, avec un document de consultation pour aller entendre les citoyens. Nous, on s’est donné quelques grands objectifs, [entendre les citoyens] sur ces objectifs-là, mais aussi et surtout sur les moyens de les atteindre.» Un des six objectifs de la future politique énergétique, selon le document de consultation, est «Explorer et exploiter de façon responsable les réserves d’hydrocarbures du territoire et valoriser cette ressource afin d’enrichir tous les Québécois»

TransCanada organise pour sa part des journées portes-ouvertes pour répondre individuellement aux questions des citoyens, mais sans possibilité de poser des questions publiquement dans une assemblée.

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Troisième de quatre articles parus du 10 au 13 septembre.