Saint-André-de-Kamouraska — Dans la région du Bas-Saint-Laurent, où se multiplient depuis plusieurs années les projets en énergies renouvelables, une farouche opposition s’éleve face au projet d’oléoduc Énergie Est de TransCanada, devant transporter le pétrole des sables bitumineux albertains à travers le Québec. Après l’annonce de ce projet, en août, trois rencontres publiques d’information ont été organisées par des citoyen-ne-s, qui ont invité Équiterre et l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) à répondre aux questions de la population de l’Islet, de Mont-Carmel et de Témiscouata-sur-le-Lac. Déjà, un groupe a été créé, sous le nom de Mouvement Stop-oléoduc. — Dernier de quatre articles parus du 10 au 13 septembre.

Depuis des années, de nombreux groupes de la société civile se sont mobilisés pour favoriser le développement des énergies renouvelables. D’autres ont été créés pour empêcher le développement des énergies fossiles. C’est le cas de Non à une marée noire dans le Saint-Laurent, dont le cofondateur, Martin Poirier, était présent à la consultation de Témiscouata-sur-le-Lac. «Le Québec a la chance de ne pas être une pétro-province, s’exclame-t-il. Tout le potentiel convoité est du non-conventionnel qui nécessite la fracturation, tel qu’à Anticosti, ou bien des forages en milieu marin avec Old Harry dans le golfe. Et nous avons encore plus de chance de ne pas le devenir, avec un énorme potentiel en énergies renouvelables pour être des leaders au niveau mondial. Il ne manque qu’une véritable volonté politique.»

L’oléoduc, à contre-courant

Comme le rapportait récemment l’Institut canadien des mines, de la métallurgie et du pétrole, dans un éloquent exposé de la perspective de l’industrie pétrolière, le projet Oléoduc Énergie Est de Transcanada répond à une pression de plus en plus forte de l’industrie albertaine pour l’exportation de son pétrole. En effet, explique l’article, «pendant que les pipelines Keystone XL et Northern Gateway, conçus pour relier le pétrole canadien à la côte du golfe du Mexique aux États-Unis et aux marchés asiatiques, butent sur des obstacles politiques, de nouveaux projets d’acheminement du pétrole vers des marchés assoiffés au Canada même, prennent de la vitesse».

Kim Cornelissen, vice-présidente de l’Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) et conférencière des rencontres de consultation, vient de s’installer au Bas-Saint-Laurent. Elle a choisi la région précisément pour son potentiel en énergies renouvelables. Spécialiste de ce domaine, elle s’étonne qu’on veuille refaire, avec la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec, le même exercice de consultation qu’en 1995. La consultation avait alors abouti au rapport Pour un Québec efficace, qui a alors inspiré une politique énergétique du gouvernement du Québec. «Les conclusions ont été qu’une politique énergétique se base surtout sur l’efficacité énergétique: arrêter de gaspiller, rendre les bâtiments plus écoénergétiques. On parlait de développer l’éolien, le solaire et la biomasse. On n’a jamais parlé de développer le pétrole et le gaz.»

Le maire sortant de Rivière-du-Loup, Michel Morin, inaugurera cet automne le chantier d’une usine de biométhanisation qui restera un projet marquant de son administration. «Avec ce projet, on a quand même trois millions de litres de biométhane qui viennent remplacer trois millions de litres de diesel dans nos transports, à 70¢ du litre!» Selon ses calculs, seulement avec les résidus gras des deux abattoirs de la région, on pourrait même fabriquer ici 17 millions de litres de biodiesel. «Là on commence à parler de carburant de remplacement en grande quantité.» M. Morin prendra la parole à la Commission sur les enjeux énergétiques, et souhaite que le débat se fasse en profondeur. «Quand on aligne toutes nos possibilités au niveau des types d’énergie renouvelable, on quitte notre dépendance au pétrole dans combien de temps? C’est ça que j’aimerais savoir. Il faut avoir les moyens de nos ambitions et prioriser les choix là-dedans.»

La contestation s’organise

Deux jours après l’annonce du projet, le 3 août, un groupe publiait sur Facebook une page intitulée Non au projet « Oléoduc Énergie Est » de Transcanada, et y a publié des dizaines d’articles depuis ce temps. Pendant le mois d’août, les informations ont abondamment circulé dans les réseaux militants, notamment Idle No More et les nouveaux groupes nés à la suite des rencontres d’information d’Équiterre (Témiscouata, L’Islet et Mont-Carmel).

Le 21 août, des citoyens se sont réunis à Saint-André-de-Kamouraska afin de mettre en place un groupe opposé au projet et de mener des actions concrètes pour empêcher sa réalisation. Jérémie Chénard, citoyen de Saint-Germain-de-Kamouraska et Simon Côté, citoyen de Mont-Carmel, ont été nommés co-porte-parole du Mouvement Stop-oléoduc Kamouraska par la quarantaine de personnes présentes.

«Je suis vraiment impressionné, s’exclame M. Chénard. On a avancé très rapidement, il y a des gens très compétents qui se sont engagés dans les différents comités.» Les trois quarts des personnes présentes ont pris en charge des tâches et des responsabilités, souligne Simon Côté.

Les actions envisagées sont «d’informer les gens au niveau local, d’aider les municipalités qui sont un peu prises avec la patate chaude et qui risquent de faire face à la division de leur population.» On parle également de fournir des modèles de résolutions aux conseils municipaux qui souhaitent s’opposer au passage de l’oléoduc sur leur territoire. Les propriétaires fonciers pourraient aussi être appelés à signer des lettres de revendication de droits pour protéger leurs terres.

Pour l’acteur Christian Bégin, citoyen de Saint-Germain-de-Kamouraska, c’est cette mobilisation citoyenne qui sera déterminante dans la réalisation ou non du projet. «On se rend compte que dans le Bas-Saint-Laurent il y a une mobilisation très forte par rapport au projet d’oléoduc en ce moment. Il y a eu des réunions à Mont-Carmel, à L’Islet, à Témiscouata, qui ont mobilisé pas mal de gens, déjà la couverture médiatique est assez importante, on sent que c’est un mouvement qui va faire parler de lui et ce soir on est en train de poser les premières pierres.»

Steven Guilbault, directeur principal chez Équiterre et conférencier lors des rencontres d’information, croit aussi que la volonté populaire est cruciale. «Le fédéral ne passera pas sur le dos d’une province complète pour faire un projet dont la province, l’ensemble de la population et les communautés autochtones ne veulent pas, souligne-t-il. Quand le projet Keystone XL a été annoncé aux États-Unis, c’était fait, c’était réglé. Ce projet-là allait se faire, ça allait passer comme du beurre dans la poêle. Mais cinq ans plus tard, le projet n’est pas fait et le dernier commentaire de Barack Obama sur ce projet n’est pas particulièrement encourageant pour eux. Donc si les gens se mobilisent, je pense qu’on peut arriver à faire de grandes choses.»

Pour Simon Côté, l’enjeu est planétaire et historique: «Peu importe que le pipeline soit sécuritaire ou qu’il rapporte, il s’agit quand même de tripler la superficie des sables bitumineux, l’entreprise humaine la plus polluante de l’histoire.»

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Ceci est le quatrième d’une série de quatre articles parus du 10 au 13 septembre.

Document: Le rapport Pour un Québec efficace semble difficile à trouver sur le site du gouvernement du Québec. Nous en avons trouvé une copie numérisée.

Mise à jour: Une pétition a été déposée à l’Assemblée nationale du Québec: Abandon des projets d’oléoducs et promotion des énergies vertes.

Mise à jour: Un groupe nommé SaveCanada s’était fait remarquer à North Bay en Ontario Bay, par une stratégie d’opposition créative au projet, pour contourner la stratégie de communication de TransCanada. La compagnie tient en effet des journées portes-ouvertes pour répondre individuellement aux questions des citoyens, mais sans possibilité de poser des questions publiquement dans une assemblée. En portant des uniformes aux couleurs de TransCanada, des bénévoles de SaveCanada répondent aux questions des citoyen-ne-s sur le projet, ses enjeux et ses impacts. Le mouvement se déploie pour participer à toutes les journées portes-ouvertes. Au Québec, c’est sous le nom SansTransCanada que se déclinent leurs outils de communication et ils invitent les citoyen-ne-s à prendre part à leur action.