Il y a de cela cinq ans, une coopérative d’habitation de Québec a vendu son immeuble à l’une des membres de son Conseil d’administration. Pourtant évalué à 400000$, l’immeuble est vendu à l’administratrice pour 200000$.

Dans un jugement daté du 19 décembre 2014 et signé par le juge Jean-Pierre Dumais de la Cour du Québec,  l’acheteuse de l’immeuble en question est reconnue coupable d’avoir bénéficié illégalement du partage de la réserve de la Coopérative de la Galéjade, à Québec.

Malgré le consentement exprès des membres de la Coopérative à cette transaction, le juge en arrive à la conclusion que la vente de l’immeuble constitue une infraction pénale au sens de la Loi sur les Coopératives.

Pourquoi? Pour des raisons de principes coopératifs.

Les coopératives sont des entités spéciales, en ce qu’elles sont régies par des règles d’action. Ces règles n’ont pas valeur de symboles: elles sont essentielles à la distinction coopérative face à toute autre organisation. Évidemment, on connaît tous la règle démocratique  «1 membre = 1 vote», mais la volonté des coopérants ne repose pas que sur cet élément. Il faut aussi nommer l’intercoopération comme étant un principe fondamental de notre ADN coop.

Cette intercoopération dicte notre ferme intention de changer le monde, certes, mais surtout de prioriser la voie coopératiste pour ce faire. Donc, l’idée  c’est d’échanger des services avec d’autres coopératives, d’accorder des contrats, de s’offrir mutuellement conseils, bref d’employer la coopération pour s’entraider entre coopératives.

Alors, quand vient le temps de «fermer» une coopérative, donc de la dissoudre, ce qu’il en reste doit demeurer au sein du mouvement coopératif. On doit procéder à une liquidation des biens de la coopérative et le partager parmi le mouvement coopératif. Il s’agit là d’une règle d’action des coopératives, contenue dans nos déclarations de principes, mais aussi contenue dans la Loi sur les Coopératives.

En plus de ce principe coopératiste, le législateur, occupé à demander des comptes sur la gestion des finances publiques, garde toujours en tête l’idée que les coopératives d’habitation bénéficient, pour la plupart, de subventions pour entretenir leur immobilisation et pour garder des loyers à faible coût. Or, ces sommes gouvernementales ne doivent aucunement servir à financer l’achat d’un immeuble d’entreprise collective par un seul individu. La population québécoise n’accepterait jamais de subventionner à grands frais l’enrichissement particulier d’une seule personne.

C’est avec cette préoccupation que nos parlementaires ont étudié, en novembre 2014, le projet de loi modifiant la Loi sur les coopératives. En grande partie, les changements qui seront apportés à cette loi portent sur l’habitation coopérative et tentent de prévenir ces comportements prédateurs pour le parc immobilier coopératif. La Confédération québécoise des coopératives d’habitation (CQCH) assumera désormais un rôle de vigile dans la sauvegarde des immeubles des coopératives québécoises. La CQCH devra être avisée de toute vente et la transaction pourra être déclarée nulle par l’État si elle est nettement au désavantage de la coopérative.

La nouvelle loi aurait très certainement envoyé un message clair aux membres du Conseil d’administration de la Coop de la Galéjade et elle aurait permis de donner une emprise immédiate pour faire annuler la transaction. Et cela sera d’autant plus nécessaire que les coopératives d’habitation sont à la croisée des chemins: les conventions d’exploitation les liant avec les partenaires gouvernementaux tirent à leur fin. Les coopératives d’habitation perdront dès lors un accompagnement précieux, voire des balises administratives importantes dans le cadre de leurs opérations courantes. La législation à venir tentera de combler ce vide, pour ne pas laisser ces coops à elles-mêmes.

Nos parlementaires donnent constamment l’impression d’être en conflit, de se battre sans sens éthique. Voilà aujourd’hui nos députés tous réunis à étudier le projet de loi modifiant la loi sur les coopératives et unanimes dans leur volonté de le faire adopter. Parce qu’il en va du respect des principes coopératistes et du respect des contribuables québécois.

Et simplement parce que nos valeurs de coopérants ne sont pas à vendre.

Me Raphaël Déry
Avocat & Conseiller juridique de coopératives