Un véritable séisme secouait Val-d’Or le 23 octobre 2015, au lendemain de la diffusion d’un reportage de l’émission Enquête, à Radio-Canada. Des femmes autochtones y révélaient des abus de pouvoir de la part de policiers. Du coup, elles avaient jeté les projecteurs sur l’inconfort qui persiste depuis longtemps entre Valdoriens et Autochtones. Un an plus tard, plusieurs manches ont été retroussées, mais le malaise lui, flotte toujours.

L’enquête du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur ces allégations est toujours en cours. Huit policiers ont été suspendus en lien avec cette affaire et depuis, et six demeurent sous enquête. Dès octobre, on a vu réapparaître l’image noire et blanc du numéro 144 comme photo de profil de policiers et de citoyens sur les médias sociaux. Cette image, représentant le numéro du poste de la Sûreté du Québec de Val-d’Or, avait circulé à pareille date l’an dernier, en geste de solidarité envers les policiers.

« Ça fait un an que nos policiers sont suspendus en lien avec des allégations et que rien n’a encore bougé. Pire encore, de nouvelles accusations surgissent sans avoir de preuves valables pour les appuyer […] », écrit Carol-Ann Julien sur une publication Facebook virulente. « En tant que conjointe, je me dois de dénoncer les impacts psychologiques que cette situation cause chez nos conjoints. Cela fait un an qu’ils sont, d’une certaine manière, sacrifiés sur la place publique sans pouvoir s’exprimer sur la situation », écrit-elle, en recueillant de nombreux commentaires d’appui et une centaine de « partages » sur la Toile.

Au Québec comme dans le reste du Canada, les femmes autochtones ayant témoigné durant le reportage ont recueilli un grand souffle de sympathie et d’appui de la part du public. De son côté, le mouvement de solidarité à l’endroit des policiers est resté peu perceptible à l’extérieur de l’Abitibi. Il est cependant bien présent dans les chaumières et les réseaux sociaux et s’est renforcé à l’approche du premier anniversaire de la crise.

Pour ne pas envenimer la division, même les têtes d’affiche qui supportaient les femmes autochtones l’an dernier préfèrent demeurer discrètes pour le « un an après ». « Nous attendons comme tout le monde l’issue des enquêtes policières suite aux plaintes des femmes », ont répondu laconiquement les responsables du Centre d’amitié autochtone et de l’organisme Assaut sexuel secours, équivalent du Centre d’aide et de luttes contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) à Val-d’Or.

Le mode «urgence»

Les témoignages entendus l’an dernier ont toutefois poussé les milieux politiques et communautaires à agir. Moins d’un mois après le reportage coup-de-poing, Québec octroyait 6 millions de dollars au Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or. Cette somme a permis à l’organisme d’investir 5 millions dans son projet de logements sociaux pour Autochtones «Kijaté», en plus d’assurer la réouverture d’un centre de jour pour les personnes en situation d’itinérance et un espace d’aide aux femmes vulnérables. Une coordonnatrice des services d’accès à la justice a aussi été embauchée par le Centre pour soutenir les femmes qui voudraient être accompagnées dans un processus judiciaire.

Les entreprises, organismes et institutions publiques, ont tour à tour, voulu se montrer solidaires de la réalité autochtone. L’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) a vu bondir la demande pour sa formation intitulée «Wedokodadowiin» – Travaillons ensemble. Initialement destiné au milieu de la santé, ce cours d’une journée visant l’amélioration des interventions auprès de la clientèle autochtone, s’étend maintenant à plusieurs secteurs d’activités. « Il y a probablement eu un éveil, s’interroge Janet Mark, en charge de la formation. Je me questionne cependant sur le temps qu’il durera.»

D’origine crie, Mme Mark a observé le meilleur et le pire depuis la dernière année, tant sur les réseaux sociaux qu’au cours de ses formations. Cette divergence de vue a servi à alimenter les mises en situation dans ses groupes. « Ça permet aux gens de se regarder et de se rendre compte à quel point ils ont une méconnaissance des Autochtones qu’ils côtoient en ville ».

Une poudrière

« Il ne faut pas faire l’erreur de dire que la crise n’est plus. Elle existe toujours », estime pour sa part Maria-Louise Nanipou, directrice du Centre d’amitié autochtone de Sept-Iles. Des histoires de répressions policières tues depuis des années sont également ressorties là-bas. Le témoignage des victimes présumées a rouvert une plaie fragile et Mme Nanipou soutient qu’un long processus de guérison est toujours en cours, tant du côté des Autochtones que des Québécois.

Pour accélérer cette guérison, les chefs de communautés et le Regroupement des centres d’amitiés autochtones du Québec exigent une enquête publique indépendante provinciale pour connaître l’état véritable de la relation entre les services de police et les Autochtones du Québec, en particulier les femmes de cette nation. Le regroupement Femmes autochtones du Québec appuie la demande et dénonce le gouvernement provincial, qui souhaite inclure cet examen à même l’enquête nationale prévue sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. « Je le vois comme une stratégie politique voulant camoufler ce qui s’est réellement passé, déclare Viviane Michel, présidente de l’organisme. La police, c’est une entité provinciale, et là, on va lui donner la possibilité de témoigner durant la commission d’enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées. C’est complètement différent », s’indigne la militante.

À quelques jours de ce triste anniversaire, le gouvernement du Québec lançait un nouveau programme d’aide aux Autochtones en milieu urbain. Près de 9 millions de dollars seront accordés, dans les cinq prochaines années, pour l’amélioration des services et des infrastructures qui leur sont consacrés. À l’autre bout du spectre, on apprenait hier que 41 agents de la Sûreté du Québec ont intenté une poursuite contre Radio-Canada de 2,3 millions de dollars en lien avec le sulfureux reportage. « Dites-moi que je rêve! » a aussitôt réagi Widia Larivière, cofondatrice du mouvement Idle No More. Samedi, date anniversaire de l’éclatement de la crise, les agents valdoriens et quelque 2 500 confrères de la Sûreté du Québec démontreront leur mécontentement à travers la province en arborant un bracelet rouge identifié 144, du numéro du poste de Val-d’Or.