Applaudissons à chaudes mains. Fait rarissime, les membres de l’Assemblée nationale du Québec ont dénoncé la vision colonialiste de la CBC (Canadian Broadcasting Corporation), qui profite du 150e de la Confédération pour servir « coast to coast » une série télévisée réduisant Autochtones, Acadiens et francophones du pays à une vulgaire caricature de l’histoire canadienne.

Indignée par les erreurs et omissions historiques contenues dans la série Canada :The Story of Us, le Premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Stephen McNeil, a vite fait d’exiger des excuses de la part de la CBC, au nom de tous les Acadiens établis sur son territoire.

« C’est malheureux de constater que des gens tentent de réécrire l’Histoire. Le fait est que le Canada a été fondé ici à Port-Royal. Le Canada multiculturel a commencé ici », a dénoncé M. McNeil le 31 mars dernier à l’antenne de l’émission The National.

Introduite sur les ondes de la société de la Couronne canadienne cinq jours plus tôt par le Premier ministre Justin Trudeau, la série coécrite par John English, un ami de la famille, a fait dresser les cheveux sur la tête des élus siégeant à l’ombre des Plaines d’Abraham.

À leur tour, ces derniers réclament des explications. « Avec ses clichés, ses omissions, ses partis-pris, The Story of Us, ce “publi-docu-drame” diffusé sur les ondes de la CBC, ne bonifiera en rien la connaissance de notre histoire, entretenant, bien au contraire, des préjugés tenaces et offensants », a déclaré en Chambre Stéphane Bergeron, député de Verchères. Au Bloc Québécois, on parlait carrément de propagande.

Bien que le gouvernement Couillard se soit fait moins virulent à l’endroit du diffuseur public pancanadien, le parti Libéral, par la voix de Jean-Marc Fournier, ministre des Affaires intergouvernementales canadiennes, a finalement soutenu que la CBC devrait « s’excuser, s’exprimer sur la façon dont on tient une production qui doit, selon le titre, parler de nous, et dans lequel il y a une grande partie du nous qui dit : où sommes-nous? », non sans avoir évoqué que cette polémique était l’occasion de « reprendre un dialogue » (sic).

Sournoise assimilation

L’analyse de l’historien Laurent Turcot est sans équivoque : « On avait l’impression de voir une info-pub des années 30. »

Signataire d’une lettre parue dans le Globe and Mail, M. Turcot a dénoncé la « prise de position idéologique très forte » de la série à la radio de Radio-Canada (francophone) la semaine dernière. Les Acadiens, « on les oublie du grand récit national » et « le barbare, ça reste l’Autochtone ».

L’animatrice Catherine Perrin a confessé en ondes que les recherchistes de son émission n’ont pas réussi à trouver quelqu’un pouvant défendre le controversé documentaire dans la langue de Molière (!). Éloquent.

Soyons clairs. Que ceux et celles qui croient que le processus d’assimilation est bel et bien terminé se ravisent. Lentement mais sûrement, les nations à l’origine du pays perdent du terrain.

Ironiquement, l’an dernier à pareille date ou presque, l’Assemblée nationale adoptait une motion à l’unanimité pour demander « au gouvernement du Canada d’agir afin que le CRTC applique rigoureusement la Loi sur la radiodiffusion, laquelle exige que CBC/Radio-Canada ainsi que les médias qui obtiennent et renouvellent une licence du CRTC reflètent la diversité ethnoculturelle des sociétés québécoises et canadiennes. » Force est de constater que c’était un coup d’épée dans l’eau.

En 2015, souvenez-vous du tollé engendré suite à l’annonce de compressions à la société d’État. Outre une imposante manifestation des Amis de Radio-Canada, trois provinces canadiennes s’étaient unies pour réclamer le maintien de services en français chez le diffuseur. « Il y a des gens qui maintiennent leur francophonie parce qu’ils sont de famille exogame ou vivent dans un milieu très anglophone. Alors c’est Radio-Canada qui leur permet de maintenir leur langue et leur culture», avait alors plaidé la ministre déléguée aux Affaires francophones de l’Ontario, Madeleine Meilleur.

S’il faut saluer la décision du gouvernement Trudeau d’avoir annulé la décision, il ne faut pas perdre de vue que le financement de Radio-Canada « représente la moitié de ce que les démocraties avancées comparables au Canada versent à leur diffuseur public (la moyenne des pays de l’OCDE s’établit à 87 $) ». En négligeant de la sorte la société d’État, on asphyxie d’autant les communautés francophones à travers le pays. « Comment penser que les contenus québécois et canadiens originaux pourront se faire une place dans le nouvel univers numérique sans le soutien énergique d’un diffuseur public fort ? », plaidait la Confédération des syndicats nationaux en novembre 2016.

L’an dernier, Québec a reporté la réforme de l’enseignement de l’histoire du Québec et du Canada au secondaire. « Au lieu de cela, le ministère effectuera des changements au programme pour qu’il reflète mieux les minorités culturelles et linguistiques de la province », rapportait La Presse canadienne.

Au même titre que ses auteurs et diffuseurs, qui n’entendent nullement s’excuser pour leur malhonnêteté intellectuelle et leurs affabulations historiques, cette série aura au moins le mérite de nous faire éclater une fois de plus la réalité au visage. Le Canada, ou ce qu’il en reste justement, n’a rien à foutre des cultures autochtone, québécoise et acadienne, qu’on s’empresse de diluer semaine après semaine avec celle des nouveaux arrivants, qui se voient offrir des accommodements qui n’ont rien de bien raisonnable. Mais entre nous, fallait-il vraiment attendre les 150 ans de la Confédération pour se rendre que nous sommes les cons de la fédération?

Nouvelle preuve du désintérêt du Canada anglophone à l’égard du Québec, le Globe and Mail vient de fermer son bureau de l’Assemblée Nationale, entérinant ainsi la décision du Toronto Star, parti 15 ans plus tôt. Nul doute, il n’y a pas que la CBC qui soit figée dans le ROC (Rest of Canada).