Professeur émérite de l’Université du Québec en Outaouais et titulaire d’une Chaire de recherche en développement des collectivités (CRDC) depuis deux décennies, Louis Favreau anime l’Observatoire en économie sociale, organisation communautaire et développement régional et le site de recherche en développement international à l’UQO. Pour souligner le Sommet international des coopératives 2016, Ensemble s’est entretenu avec ce chercheur au grand cœur pour discuter des avancées du mouvement coopératif ici et ailleurs dans le monde.

« Small is not so beautiful », paraphrase avec justesse Louis Favreau. L’auteur d’une vingtaine de livres précise sa pensée : « À partir de 2007-2008, les coopératives ont pris conscience qu’il fallait modifier le rapport de force, augmenter notre solidarité à l’échelle internationale pour servir de contre-pouvoir à l’agro-business et à l’ensemble des multinationales. »

À l’époque, la crise des subprimes frappe de plein fouet la planète. « Les mouvements syndicaux, écologistes et coopératifs ont compris qu’une bonne partie des défis qu’ils avaient à relever ne se situaient pas dans un cadre national mais bien international.»

En 2010, Louis Favreau collabore à l’organisation d’une rencontre internationale fixée à Lévis aux côtés du Conseil de la coopération et de la mutualité du Québec. L’événement réunit plus de 600 personnes, réparties dans une vingtaine de délégations issues d’autant de pays, du Nord comme du Sud. « Le mouvement coopératif québécois se découvrait une dimension internationale », confie le chercheur.

Fédérer pour mieux coopérer

La rencontre a permis une nouvelle analyse du monde. Un constat se dégage : le mouvement coopératif détient ses propres solutions et est mieux placé pour répondre aux secousses économiques. Dès lors, les coopératives québécoises, canadiennes et internationales préparent des stratégies pour investir davantage l’espace public, réorganiser leurs lobbies auprès d’institutions internationales. Aujourd’hui, l’Alliance de coopération internationale (ACI) est présente dans une centaine de pays et regroupe 200 mouvements coopératifs nationaux.

« Les crises n’amènent pas des réponses positives mais des replis. En 2007-2008, le mouvement coopératif s’est réactualisé et renouvelé. Au Royaume-Uni, l’inter-coopération est exemplaire. À l’échelle d’une grande ville, il n’est pas rare de voir 6 ou 7 secteurs différents coopérer. Le Conseil de la coopération du Québec est allé voir comment ils font. On n’aurait pas vu ça avant. »

Le premier Sommet international des coopératives en 2012, a été marqué par l’arrivée de Pauline Green, première femme à la tête de l’Alliance, et de fortes préoccupations au niveau du développement durable, alors que la Conférence de Copenhague avait accouché d’une souris.

Cette rencontre de haut niveau aura permis d’établir un inventaire exhaustif de l’impact des coopératives dans le monde. « Globalement, le mouvement coopératif représente 10 % des finances dans le monde, 10 % de l’emploi et 10 % du produit intérieur brut mondial », indique M. Favreau. Selon le spécialiste, en étant plus inter-coopératif et mieux organisé au plan international, cela pourrait modifier l’ensemble de la mondialisation économique qui, à l’heure actuelle, crée d’importantes inégalités au point de vue social.

Avec les Accords de Bâle, la transformation des normes comptables internationales favorisent les multinationales au détriment du mouvement coopératif, soutient le chercheur. « L’ACI a décidé de s’installer à Bruxelles et à New York parce que c’est là que se prennent les décisions et que les lobbies de toutes catégories influencent les choses. Combien d’initiatives locales j’ai vu mourir parce qu’on était ensemble dans notre petit coin à faire quelque chose, mais une fois que les deux ou trois leaders principaux n’étaient plus là, l’affaire mourait », illustre M. Favreau.

Des exemples inspirants

Au cours des 30 dernières années, le mouvement coopératif italien a lancé des entreprises d’insertion socio-économique destinées aux jeunes ainsi que des services de santé coopératifs dans un contexte de crise, ce qui a inspiré chez nous le modèle des coopératives de solidarité. « Toutes les entreprises coopératives du pays donnent un dixième de un pour cent à un fonds de développement coopératif. On n’est pas rendus là mais on va dans le bon sens », affirme Louis Favreau avec conviction.

« Combien de fois on entend dire que Desjardins est pareille aux banques. Le mouvement offre les mêmes services mais il y a une démocratie interne, des Fonds d’aide au développement du milieu, des bourses pour favoriser l’entrée d’étudiants à l’université, soutenir des centres de recherche… Sur les trois nouveaux fonds d’investissement responsable, deux sont inscrits dans le développement durable» illustre M. Favreau.

De son côté, avec des actifs de plus de quatre milliards de dollars au Canada, The Co-operators, créée par des agriculteurs ontariens en 1945, soutient financièrement une dizaine de jeunes coopératives chaque année.

Au niveau international, l’ACI a initié un comité pour distinguer les coopératives par rapport aux entreprises privées dans le domaine du développement durable. « Il y a 10 ans, on avait tendance à copier le privé. Aujourd’hui, on prend le leadership », constate Louis Favreau. À titre d’exemple, la Coop Fédérée, qui regroupe une centaine de coo-pératives agricoles québécoises, compte depuis 6 ans une politique de développement durable. Nutrinor, avec 1200 agriculteurs et 400 employés, délaisse le camionnage au bénéfice du train. Grâce à une collaboration avec des coopératives forestières qui recueillent les résidus de la forêt et les transforment, la biomasse remplace le mazout. « C’est exemplaire comme expérience! »

Loin d’être pessimiste, le professeur émérite félicite les nombreuses avancées du mouvement coopératif ici comme ailleurs sur la planète. « Les médias traditionnels parlent du monde qui se défait, et non du monde qui se refait. Moi je le sais parce que je le vis de l’intérieur. »