Il y a dix ans, lorsque la mairesse du temps de Drummondville, madame Francine Ruest Jutras et son Conseil municipal, ont décidé d’accepter le projet d’un musée de la photographie, ils manifestaient alors de vision et d’une sensibilité à la connaissance et à la diffusion des arts et de la culture dans leur milieu. Depuis plus de 175 ans, en effet, le médium sur sel d’argent maintenant en numérique demeure la pratique artistique la plus accessible, la plus populaire et une des plus inventives et vivantes des temps modernes. Partout dont au Québec, des artistes et des documentaristes, des photographes de presse nous émeuvent depuis ce temps avec une production visuelle étonnante qui nous touche au cœur tous les jours. Des magazines en vivent et dans tous les pays, de grandes institutions exposent les meilleurs et les plus créatifs. Depuis les années 1980, depuis la création du Mois de la photo à Paris, les Disciples de Daguerre connaissent un intérêt fulgurant, qu’on pense à Orsay ou au MOMA pour s’en convaincre ou à toutes ces nouvelles salles des grands musées focalisées sur ce volet artistique. Le Québec a toujours participé de façon originale à ce mouvement.

La mairesse avait saisi que ce créneau muséal d’avenir était libre au Québec et que les circonstances lui permettaient de confier cet élan à un de ses citoyens, fin prêt à relever le défi. Jean Lauzon, photographe professionnel de métier, enseignant de la discipline, essayiste, détenteur d’un doctorat en Histoire de l’art justement spécialisé en photographie, avait décidé d’appliquer sa passion au développement dans sa ville de l’institution rêvée. On lui a refilé un sous-sol d’église, on l’a bombardé directeur à petit salaire et on l’a regardé nager.

Jean Lauzon

Jean Lauzon, fondateur du MPP et son directeur jusqu’à novembre 2015, actuellement en chômage.

En dix ans, ce professionnel aujourd’hui dans la soixantaine, a aménagé son espace de façon fonctionnelle, développé une impressionnante collection d’appareils catalogués, organisé des dizaines expositions avec les meilleurs et sur des thèmes attrayants, développé des services éducatifs et un programme pédagogique pour accueillir les écoles, administré, budgété avec des moyens de fonctionnement limité, cherché du financement et bien d’autres choses encore. Un homme-orchestre, un pionnier qui défriche, une vocation d’altruisme culturel comme en mènent les travailleurs culturels en région.

Aujourd’hui, la réputation du Musée n’est plus à faire, tous les artistes et tous professionnels de l’image souhaitent y utiliser les cimaises, le directeur est plein de projets dont celui d’aménager dans un édifice moderne déjà en esquisses, à la hauteur du médium et de sa popularité. Depuis dix ans, au Québec, la photographie ancienne et contemporaine reçoit un accueil particulier dans les grandes institutions nationales, plusieurs musées régionaux en font leur choux gras et pour certains, comme le McCord, un volet important de leurs activités et de leur collectionnement. L’édition québécoise dynamise cet élan avec des livres-album à succès fort émouvants, révélant une culture nationale du visuel bien enracinée dans notre histoire, une production ouverte sur le monde par mille voyageurs ou explorateurs de paysages et d’arts de vivre exotiques.

Pour Drummondville, le moment ne devrait pas être à songer à une fermeture, mais à un nouveau départ, à construire sur des bases solides. Le Musée populaire de la photographie de Drummondville devrait recevoir un meilleur encouragement de la municipalité et des autres paliers de gouvernement -Québec et Ottawa n’ont jamais mis une cenne dans l’entreprise-, le MPP devrait étendre ses activités à un colloque annuel sur un thème donné, à un Mois de la photo, inviter théoriciens et praticiens à présenter, décoder et expliquer les images, développer ses collections d’œuvres avec des dons ou des fonds d’artistes, et d’appareils en nourrissant ses réserves. George Eastman, l’inventeur du Kodak no 1 produit à partir de 1888 affirmait que la photographie était la meilleure façon pour chacun d’apprivoiser la création, de maîtriser la composition, d’apprendre à regarder et à contempler la nature et tout le réel. La photographie demeure toujours un calepin de notes qui fouille l’infiniment grand et l’infiniment petit en perfectionnant la technique. Nous avons tous un ou plusieurs appareils-photo, des objectifs de plus en plus performants et nous aimons saluer les anniversaires et les fêtes en sortant l’album de famille ou en présentant un slide show. Les Québécois sont les plus grands producteurs d’images photo au Canada et les plus grands consommateurs d’appareils. Et depuis les débuts du médium, des créateurs inventifs signent le pays de façon originale. Si Atget avait été Québécois, il aurait donné dans le paysage comme Jules-Ernest Livernois, dans la capitale nationale, le plus artiste des photographes comme se plaisait à le répéter Arthur Buies en son temps.

Le Québec entretient des dizaines de musées régionaux qui sont de véritables carrefours culturels identitaires de leur milieu. Certains sont spécialisés comme Nicolet avec son Musée des religions, L’Islet-sur-Mer avec le Musée maritime du Québec, Shawinigan avec la Cité de l’énergie, Trois-Rivières avec le Musée de culture populaire. D’autres assument l’histoire, le patrimoine et la création artistique de leur région, Rivière-du-Loup, Gaspé, La Malbaie, Saint-Joseph-de-Beauce… Aucune raison ne justifie que les Drummondvillois appartenant à un milieu prospère et fort dynamique, ne mettent pas tous l’épaule à la roue pour remplir un immense besoin muséal du Québec moderne et assumer un pan majeur des arts et de la culture sur une des grandes voies carrossables du pays. L’économie et l’image culturelle d’une société en profiteront. Un coup de pouce à la régionalisation tant souhaitée.

Michel Lessard, Ph.D.
Professeur titulaire retraité,
Université du Québec à Montréal
Grand prix du Québec en patrimoine

NDLR: Michel Lessard est un historien de l’art qui a signé plusieurs ouvrages sur le patrimoine du Québec et sur l’histoire de la photographie au Québec.