Difficile de nier que le Québec soit actuellement en mode « brassage d’idées ». Devant les failles du système politique et de l’appareil d’État, qu’illustre notamment le rapport Duchesneau, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour en demander une refonte en profondeur. Jean Laliberté, qui vient tout juste de publier l’essai Réinventer la démocratie, aux éditions du Septentrion, propose l’instauration d’une démocratie participative. Survol d’un projet de société.

Qu’est-ce que la démocratie ? Abraham Lincoln, ancien président américain, disait qu’il s’agit du « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Winston Churchill, ancien premier ministre britannique, y voyait quant à lui « le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres qui ont pu être expérimentés dans l’histoire ».

L’idée de démocratie remonte à l’Antiquité grecque, à l’époque d’Athène, où les citoyens (desquels étaient exclus les femmes, les esclaves et les étrangers, soit 90 % de la population) se réunissaient à l’Agora pour discuter et décider des affaires de la Cité. La démocratie telle que nous la connaissons aujourd’hui remonte cependant au XIXe siècle et consacre le principe de souveraineté populaire par l’élection de représentants à un suffrage qui tendra progressivement à devenir universel (d’abord réservé aux propriétaires, puis aux ouvriers, aux femmes, aux Autochtones etc.).

La démocratie élective : un système sclérosé

Le système parlementaire qui prévaut au Québec a été instauré par l’Acte constitutionnel de 1791, ce qui fait du Québec l’une des plus vieilles démocraties du monde. S’installe dès lors la dynamique que l’on connaît aujourd’hui, soit le regroupement des députés en partis politiques qui se confrontent dans le cadre d’un système (le parlementarisme britannique) favorisant le bipartisme.

Comme le démontre Jean Laliberté dans la première partie de son livre, ce système de partis politiques a, de tout temps, entretenu des liens serrés avec les particuliers et les entreprises alimentant les caisses électorales. Ces derniers sont alors récompensés lorsque le parti prend le pouvoir et contrôle l’appareil d’État et sa capacité de dépenser : « Quelle que soient les modalités mises en œuvre, les partis réussiront toujours à obtenir les fonds qui leurs sont nécessaires de même l’argent réussira tout autant à s’infiltrer dans les coffres des partis. Les rapports entre les partis politiques et l’argent sont véritablement incestueux » (p. 72).

Ces conclusions ne sont pas sans rappeler le rapport Duchesneau, récemment coulé dans les médias et qui dénonce un système de collusion entre le financement électoral, le milieu de la construction et le crime organisé : « Nous avons découvert un univers clandestin et bien enraciné, d’une ampleur insoupçonnée, néfaste pour notre société aussi bien sur le plan de la sécurité et de l’économie que sur celui de la justice et de la démocratie. »

Le diagnostic de M. Laliberté est également sans appel. Les nombreuses faillites et la corruption du système politique actuel – voire également de l’appareil d’État – alimentent avec raison le cynisme (pour ne pas dire le décrochage politique) d’une bonne partie de la population. Devant l’incapacité du système à se réformer, l’auteur propose rien de moins qu’une révolution politique : le passage à la démocratie participative.

La démocratie participative : renouveler la politique

Pour M. Laliberté, il importe de refonder le contrat social et la confiance liant les citoyens à l’État et aux institutions politiques. Or, celles-ci sont irrémédiablement discréditées et perverties dans leur forme actuelle. Pour remédier à cette situation, il propose d’instaurer un système qui pousse plus loin l’idéal démocratique en favorisant la participation citoyenne. Celle-ci ne se résume alors plus à un simple vote lors d’élections générales, mais offre plutôt la possibilité à tout citoyen de participer aux décisions collectives : « La démocratie participative vise à donner aux gens le pouvoir sur les décisions qui les affectent, à les impliquer dans la résolution des problèmes et à en faire des acteurs premiers du changement » (p.126).

Le principal instrument de participation proposé par M. Laliberté est le Regroupement de bonne gouvernance, qui permet aux citoyens ordinaires de s’impliquer dans « l’élaboration et la mise en œuvre de politiques publiques » dans un domaine particulier. Cette nouvelle structure, et d’autres également, vient donc remplacer le pouvoir exécutif arbitraire et soumis aux influences extérieures (notamment les lobby) d’un gouvernement et de ses ministres.

Or, ce point précis, qui fait tout l’intérêt de la thèse de M. Laliberté, en constitue également, en quelque sorte, le maillon faible. L’implantation d’un système politique tel que celui proposé apparaît fort peu probable dans la mesure où il devrait l’être par un parti élu qui signerait alors son propre arrêt de mort.

Ensuite, les travaux du philosophe politique Charles Taylor, connu comme co-président de la commission sur les accommodements raisonnables, nous rappellent qu’il importe aussi de prendre en compte « l’imaginaire social » d’un ensemble politique donné. L’idée est qu’un système politique et, plus profondément, la façon d’envisager les relation de pouvoir au sein d’une société découlent, au moins autant qu’ils le conditionnent, d’un cadre culturel particulier. En ce sens, la « révolution » politique définie par M. Laliberté devrait être accompagnée, voire précédée, d’une « révolution » sociale et culturelle qui ferait que l’éthique du vivre-ensemble proposée soit acceptée et intégrée par une bonne partie de la population.

Le ras-le-bol généralisé qu’on observe présentement est peut-être la prémisse d’un tel renversement. Peut-être le Québec se rend-t-il compte que, pour adresser les enjeux du XXIe siècle, il importe de se doter des outils et façons de faire propres à notre époque, et non de ceux hérités des XIXe et XXe siècles. Au-delà du modèle particulier qu’il propose, M. Laliberté nous invite donc à penser la démocratie au 3e millénaire, et c’est sans doute son plus grand mérite.

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Quelques réflexions récentes sur l’état de la politique au Québec :

Lettre à Jean Charest, Voir, 20 septembre 2011
http://voir.ca/jepenseque/2011/09/20/lettre-a-jean-charest/

Manifeste pour un Québec dégrisé – Rompre avec l’idéal du vert-de-gris, Le Devoir, 21 juin 2011
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/325901/manifeste-pour-un-quebec…

Pour une politique du XXe siècle, La Presse, 9 septembre 2011
http://www.cyberpresse.ca/place-publique/opinions/201109/09/01-4432973-u…

À lire :
Charles Taylor, Modern Social Imaginaries, Durham, Duke University Press, 2004.